Los Angeles. Avril 2009. J’assiste, en spectatrice privilégiée, avec mon ami Norman Scott, l’un des acteurs de la troupe, aux toutes premières répétitions de Saint Joan of the Slaughterhouses, adaptation nouvelle d’une pièce de Brecht. Elles se tiennent au Pacific Resident Theatre (1) , sur Venice Boulevard. Très petite salle que cette « co-op ». Espace confiné même. Théâtre nu. À la Peter Brook. Dépouillé. Le décor de la pièce précédente a déjà été démonté, comme balayé par les impératifs de la programmation. Quelques vestiges transparaissent cependant : il ne reste de Charles’s story que la peinture brune sur le sol découpé en damiers et celle des deux murs latéraux. Ce théâtre est devenu à nouveau un lieu consacré aux répétitions. La salle comporte à peine une trentaine de places. La scène est à même le sol, dans le prolongement des deux premières rangées de sièges, une boîte noire quasiment, sans coulisses, avec deux entrées, l’une à l’arrière de la scène et l’autre à l’avant (l’entrée des spectateurs proprement dite). C’est un workshop, ou, si l’on préfère, un atelier. On met en route la pièce ; on la met, en quelque sorte, en œuvre. On la teste : ce n’est donc qu’une représentation en « chantier », à ses premiers balbutiements. Si le succès est au-rendez-vous (et il le sera), le nombre de représentations est alors étendu (trois mois supplémentaires, de fin juin à fin août). Si la pièce est un triomphe, elle peut être transplantée dans la salle principale. Seules les pièces ayant en quelque sorte fait leurs preuves, c’est-à-dire considérées comme « viables », restent à l’affiche. La programmation n’est jamais définitive. Michael Rothhaar (2) , qui bénéficie d’une longue expérience de metteur en scène et de comédien, dirige les acteurs.
Janet Driver (qui tient un rôle secondaire dans la pièce) et Terry Davies produisent la pièce. L’une s’occupe de la publicité (fabrication de flyers et des affiches) ; l’autre de l’organisation des répétitions mais aussi des dépenses à effectuer (le budget alloué est limité à 1.000$ seulement ; il comprend le paiement des costumes, du décor et des affiches). L’ambiance est décontractée autant que studieuse. Chacun prend place quotidiennement dans cette petite « co-op » étroite, et attend les instructions. Rothhaar élabore le programme des répétitions au jour le jour (les acteurs sont prévenus par courrier électronique), tout en ayant à l’esprit la mise en scène globale (ce à quoi devrait ressembler la pièce, une fois montée). Cela ne veut pourtant pas dire qu’elle soit fixée à l’avance. Au contraire, on s’aperçoit qu’au fil des répétitions les placements, le jeu même, sont amenés à évoluer. On réajuste afin de trouver le meilleur effet, ou la meilleure « composition » scénique. Ainsi la taille et l’architecture de la salle, la disposition de la scène, le décor ont une influence sur la manière dont on élabore la mise en scène (elle n’est pas définitivement conçue dès le début, puis réalisée ; au contraire elle se construit progressivement). Les contraintes matérielles jouent un rôle déterminant et peuvent être vues comme des paramètres importants de la représentation. L’espace, par exemple, influence la mise en scène puisqu’il fournit le cadre de jeu.
Tous les acteurs ne sont pas forcément présents à toutes les répétitions. Cela dépend de la scène ou des scènes devant être travaillées. Évidemment, assister à l’ensemble des répétitions permet de suivre l’évolution de la mise en place, d’apprendre quels sont les changements effectués d’une semaine à l’autre, etc. Ceux qui participent à la scène en « formation » apportent le livret de la pièce (de simples photocopies A4 reliées par un anneau de plastique noir) et jouent tout d’abord le rôle à la main. Chacun griffonne ses propres annotations sur celui-ci (elles peuvent être faites après que l’on s’est concerté sur un élément de la mise en scène, le décor, un accessoire, un placement, etc. ; elles sont relatives au rôle interprété ou à la mise en place globale). La costumière prend elle aussi des notes, de même qu’un acteur de la troupe devenu régisseur pour l’occasion. Il est chargé d’établir une liste des accessoires nécessaires, en fonction des partis-pris du metteur en scène, accessoires qu’il faudra bientôt se procurer. Terry Davies organise le planning. Le traducteur, Peter Kemp assiste aussi aux répétitions, veille à la conformité du texte représenté et explicite certains aspects de la pièce ou du théâtre de Berthold Brecht.
Les acteurs sont réunis pour, dans un premier temps, définir les placements et déterminer les mouvements sur scène (l’expression anglaise est « to block the scenes »). Ils commencent par lire leur rôle puis Rothhaar leur demande de jouer les scènes une par une tout en leur indiquant, de manière assez générale, les placements. Il procède ainsi par tâtonnements, adopte ou abandonne certaines positions, reste ouvert à toute suggestion de la part des acteurs. Il teste donc immédiatement la pertinence de celles-ci, dont dépend l’efficacité du jeu. Si la mise en scène est dirigée, elle s’ébauche et se construit néanmoins de manière collective. Rothhaar bénéficie d’une solide expérience qui, très probablement, l’aide à traduire le texte physiquement et à l’interpréter puisqu’il livre sa propre lecture de la pièce. Petit à petit, l’ensemble des acteurs se forme une idée générale de la mise en scène avant de travailler en détails leur rôle (mémorisation, appropriation et construction du personnage, jeu avec ses partenaires, effets etc.). Les acteurs « composent » avec les éléments matériels à leur disposition – le fonds du théâtre (un simple banc tiré du magasin sert ainsi de « chaise »). Chacun doit donc imaginer la scène à partir des informations données par Rothhaar, et aussi à partir d’un décor, au départ, minimaliste et nu. La mise en scène se veut ainsi, à l’origine, immatérielle et ce, avant toute question d’organisation matérielle. Elle se fonde sur l’imagination de celui qui dirige les acteurs – et dont la fonction temporaire de metteur en scène n’est absolument pas discutée ou remise en cause par la troupe. L’adaptation de la pièce de Brecht semble guidée par l’instinct, par la connaissance de la chose théâtrale, ce que les acteurs du XVIIIe siècle appelaient « l’usage du théâtre ». Elle dépend aussi des contingences. Le recyclage des accessoires est privilégié. En effet, un objet peut très bien être adapté à la mise en scène en préparation : une chaise peut par exemple être repeinte d’une autre couleur. Cela ne veut pas dire néanmoins que l’achat de meubles, d’habits, d’accessoires soit exclu. Cependant, on préfère les d’objets de seconde main (brocante, magasins de charité, etc.) dans la mesure où l’on sait très bien qu’une représentation a une durée de vie limitée dans le temps. On loue aussi autant que faire se peut (les costumes en particulier).
Ce travail collectif – presque collégial – d’un groupe d’acteurs professionnels sous la direction d’un seul homme dont la fonction au sein de la troupe est variable, tantôt metteur en scène, tantôt simple acteur, donne à penser. Ici les comédiens disposent de peu de moyens et doivent monter assez rapidement la pièce (deux semaines tout au plus). Chaque membre du groupe a déjà plus ou moins d’expérience en matière de production de spectacles (Janet Driver et Terry Davies sont elles aussi actrices professionnelles ; Norman Scott est non seulement acteur mais scénographe puisqu’il s’occupe de la lumière et du décor qu’il crée et réalise lui-même). Si les rôles sont clairement définis, ils n’en sont pas pour autant définitifs au sein de la troupe dont les membres témoignent de compétences multiples. Cette organisation particulière qui fait se combiner et / ou cumuler différentes tâches et fonctions au sein du théâtre, et s’adapte à la pièce mise au programme, suggère qu’à une période où le metteur en scène n’existait pas en tant que tel, ou n’était pas « visible » dans les théories sur l’art dramatique, un tel système d’organisation a pu être mis en œuvre, notamment pour un théâtre comme la Comédie-Française qui fonctionne comme une société où chaque individu peut à tour de rôle, occuper diverses fonctions (par exemple celle de semainier, de régisseur). Le travail accompli de même que son organisation ressemblent à l’emblème de ce théâtre qui est celui de la ruche bourdonnante.
Simul et singulis : il semble en effet que le mode de fonctionnement contemporain où chacun a un rôle précis tout en œuvrant, fondamentalement, dans un même but, à la fois artistique et financier, rappelle fortement l’agencement et l’organisation du théâtre privilégié et monopolistique des XVIIe et XVIIIe siècles qui repose essentiellement sur ses sociétaires, à la fois acteurs et gestionnaires, artistes et entrepreneurs. La Comédie-Française fut créée en 1680 mais son acte de société ne fut validé devant le Parlement qu’en 1761, comme en témoigne un article tiré du i[Répertoire universel de jurisprudence] de 1784 (3) . Le roi étant intervenu quatre ans plus tôt afin d’empêcher la ruine et la fermeture de la Comédie qui croulait sous les dettes, de nouveaux règlements furent alors instaurés par les Gentilshommes de la Chambre et par le nouvel intendant, Denis Papillon de la Ferté. Néanmoins les comédiens, en obtenant des lettres patentes, dotèrent leur entreprise de statuts légaux. C’est donc aux acteurs, en tant que sociétaires, que revint, de plein droit, la gestion quotidienne du théâtre, ainsi que la répartition des tâches des employés qui concoururent à la bonne tenue des spectacles. D’où la présence de caissiers, d’ouvreuses, d’un tailleur comme par exemple Pontus auquel on passa des commandes et qui installa ses ateliers, après 1770 dans l’ancien théâtre de la rue des Fossés-Saint-Germain-des-Prés, rive gauche, de machinistes, de gagistes, d’un secrétaire-souffleur, de copistes etc.
Il n’existait pas de « Directeur » à la Comédie-Française, comme il pouvait en exister un à l’Académie royale de musique ou au Théâtre de la Monnaie à la même époque à Bruxelles (Pays-Bas autrichiens), directeur qui serait chargé d’embaucher de jeunes recrues, voire d’établir des contrats pour s’assurer temporairement les services de tel ou tel artiste réputé.
Les quatre Premiers Gentilshommes de la Chambre administraient en haut-lieu les affaires de la Comédie, de même que l’intendant, chargé de veiller au bon déroulement de ses activités ou à la bonne tenue de la caisse et des livres de compte. Ils devaient s’assurer que l’intendance des Menus Plaisirs, dont faisait partie la Comédie-Française, était efficace puisqu’il s’agissait d’assurer le prestige du roi et son rayonnement en France et à l’étranger. Ils veillaient aussi aux intérêts des spectateurs, contrôlant la qualité du spectacle et la programmation. Ils arbitraient les conflits entre acteurs (voire les provoquaient par leurs préférences affichées pour certaines demoiselles). Ils participaient alternativement à la vie du théâtre, établissant le programme des spectacles de cour, les règlements, prévoyaient des réunions comme par exemple celle qui consistait à déterminer tous les quinze jours le répertoire à venir. Ce sont eux qui donnaient les ordres de début de sorte que les acteurs n’eurent guère leur mot à dire face à des décisions mûrement réfléchies ou purement arbitraires si ce n’est par l’intermédiaire de cours particuliers qu’ils donnaient à de jeunes talents. Certains élèves, ainsi formés, entrèrent plus facilement à la Comédie-Française (ainsi de Françoise Marie Antoinette Saucerotte, dite Mlle Raucourt ou de Jean-Marie Mauduit-Larive), ou tout du moins eurent-ils l’opportunité de se faire connaître du public. En outre, il faut préciser que tout acteur quittant le théâtre, devait payer une indemnité de 1 200 livres à la troupe pour l’entretien des décors et de la salle (4) .
Certains sociétaires furent plus emblématiques que d’autres, eurent une personnalité charismatique ou une très forte personnalité qui les distinguait de leurs confrères, ou brillèrent par leur intelligence, tels Henri Louis le Caïn dit Lekain dont les mémoires sur l’art du théâtre témoignent d’une rationalisation du métier d’acteur et d’une tentative pour organiser la scène de manière cohérente, François-René Molé souvent cité par Denis Papillon de la Ferté dans son journal pour ses coups d’éclat ou ses manœuvres, ou Hippolyte Claire Léris de la Tude, dite Mlle Clairon.
Ce mode particulier de fonctionnement a son importance. C’est précisément cette forme « collective » et communautaire sur laquelle se fonde la Comédie-Française en tant qu’entreprise qui a, selon nous, masqué la naissance de la mise en scène, ou tout au moins qui a freiné l’émergence de la figure du metteur en scène. Les sociétaires n’avaient guère la possibilité de se singulariser et de se démarquer de leurs prédécesseurs. En outre, très peu d’acteurs ont osé ou eu le temps de partager leur expérience, leur connaissance du théâtre et de ses rouages, avec le « grand » public, c’est-à-dire par le biais d’une publication. Nous avons suggéré, à travers l’édition de nombreux textes sur l’art dramatique parus entre 1700 et 1801, que l’acteur prend peu la parole alors que le XVIIIe siècle est marqué, comme tout le monde le sait, par la théâtromanie et par une prolifération de spectacles en tous genres, même secondaires ou non officiels (théâtres des foires, théâtres de société, théâtre bourgeois, théâtres des boulevards, théâtre érotique).
Tout au long du siècle on voit se dessiner une double pensée du théâtre. Tout d’abord celle qui appartient au domaine public, jalonnée de querelles et de polémiques sur le travail d’acteur et sur ce que doit être l’acteur en scène. La majorité des écrits théoriques sur la représentation sont le fait de spectateurs, le plus généralement de lettrés ou de connaisseurs. Les ouvrages deviennent très souvent des références en la matière et sont très fréquemment cités (ainsi du Comédien de Pierre Rémond de Sainte Albine ou de La Déclamation théâtrale de Claude Joseph Dorat). Malgré la popularité dont bénéficient ces ouvrages, peu y est dit sur le fonctionnement réel du théâtre.
C’est alors qu’il faut se tourner vers les documents administratifs qui donnent une vision précise de la manière dont on préparait les pièces mises à l’affiche. Restés à l’état de manuscrit, ils conservent la mémoire de la vie théâtrale dans son ensemble, et, en ce sens, sont particulièrement intéressants pour le chercheur. Ce sont toutes les factures des fournisseurs qui laissent entrevoir l’organisation matérielle du spectacle comme par exemple celles des machinistes ou des décorateurs, ainsi que, bien évidemment tous les écrits, mémoires, documents et lettres d’acteurs ou d’employés des théâtres parisiens comme le secrétaire-souffleur Delaporte. Insoupçonnée de la majorité des spectateurs de l’époque, cette source d’information est donc passée inaperçue et restée celée puisque les documents eux-mêmes étaient entreposés dans une pièce et rangés dans un placard fermé à clef. Il est vrai néanmoins que certains acteurs, comme Mlle Clairon par exemple, publièrent, de leur vivant, des mémoires accompagnés de « réflexions sur l’art dramatique ». (Mais on observera ici que ceux-ci ne le furent que très tardivement et bien longtemps trente ans après qu’elle eut quitté les planches). De même, Jean-Marie Mauduit-Larive, élève de la célèbre actrice, ayant débuté à la Comédie-Française en 1770, livra au public ses « Réflexions sur l’art théâtral » en 1801, un an après avoir mis fin à sa carrière. Ces deux comédiens ouvraient alors la voie à l’expression de soi en tant qu’artiste, et deviennent des modèles à suivre. La vogue des écrits d’acteurs se développe ainsi au XIXe siècle, parallèlement à l’augmentation du nombre des théâtres parisiens (5) . Néanmoins leurs réflexions restent assez sommaires en ce qui concerne la mise en scène proprement dite, même si l’on relève un certain nombre d’indications. Larive s’attache à l’art théâtral dans son ensemble (architecture, décadence des théâtres, jeu de l’acteur), tout en explorant mémoire sensorielle et affective à travers des souvenirs personnels. Mlle Clairon élabore une typologie des caractères et des emplois, tout en donnant sa propre vision des grands rôles tragiques. L’interprétation se fait au niveau du rôle seulement, mais témoigne d’une pensée de la scène qui pourrait s’apparenter au travail préliminaire du metteur en scène.
Les documents administratifs ou privés des comédiens tels les mémoires des Premiers Gentilshommes, les lettres ou les réflexions personnelles, n’ont pas reçu toute l’attention qu’ils auraient méritée. Celle-ci s’est focalisée surtout sur la dramaturgie et la poétique de l’âge classique (6) ou sur le public (7) . On a tâché aussi de relier le texte à sa représentation par l’intermédiaire de thèmes tels que le jeu de l’acteur, la déclamation, les écrits théoriques sur l’art théâtral (8) , la scénographie ou plus récemment le costume. On peut relever ainsi certains ouvrages importants tels que Scénographies du théâtre occidental d’Anne Surgers (2000), L’Esthétique du tableau dans le théâtre du XVIIIe siècle de Pierre Frantz (1998), l’édition du Mémoire de Mahelot de Pierre Pasquier (2006), Histoire et poétique de l’habit de théâtre en France au XVIIe siècle (2006) d’Anne Verdier. Comme on peut le constater la majorité des études porte sur le XVIIe siècle. Quelques ouvrages clés comme L’Histoire de la mise en scène dans le théâtre français à Paris de 1600 à 1673 de Wilma Deierkauf-Holsboer (réed. 1976) ou La Mise en scène au XVIIIe siècle de Pierre Peyronnet (1974) avaient abordé la mise en scène, mais d’une manière assez générale. Ces études commencent à dater et se révèlent, en outre, incomplètes en ce que nombre de documents, en particulier pour le XVIIIe siècle, ne sont pas même mentionnés tels les imprimés annotés qui pourtant donnent de précieux renseignements sur la mise en place des personnages, ou les inventaires et factures qui, examinés en détail, eussent permis de mieux comprendre l’organisation matérielle des spectacles et leur conception.
Les documents restés à l’état de manuscrit ont ainsi été peu explorés. Les écrits de Lekain tels les « Cahiers de mises en scène » ou ses mémoires ont été analysés par Damien Chardonnet dans le cadre d’une thèse consacrée au célèbre acteur (9) . Mais ils n’ont guère fait l’objet d’études en particulier. Renaud Bret-Vitoz a achevé récemment une monographie sur la scène et l’espace de la tragédie au XVIIIe siècle et a publié un article sur un texte manuscrit de Lekain conservé à la Bibliothèque nationale de France, qui fut sans doute un travail préparatoire au registre de mises en scène que nous venons de mentionner (10) . Or si ces sortes de documents, relevant les éléments de la mise en scène, apportent un éclairage neuf, ou plutôt inédit, sur la manière dont l’acteur concevait les tragédies représentées à la Comédie-Française, qu’en fut-il de la comédie ? Peu a été écrit sur le sujet. Dans son ouvrage intitulé The Art of Gesture. The Practices and Principles of 18th Century Acting (1987), Dene Barnett avait brièvement évoqué l’existence de placements sur scène mais n’avait guère eu le temps d’approfondir le sujet. Il existe ainsi une lacune importante en ce qui concerne la mise en jeu comique au siècle des Lumières, que la présente étude s’attachera à combler tout particulièrement.
Les études les plus récentes sur les répétitions et la mise en scène du théâtre anglais de la Renaissance à la fin du XVIIIe siècle par Tiffany Stern (11) , se fondent sur un grand nombre de documents tirés d’archives et apportent, de fait, un éclairage très pertinent sur le sujet. Mais pour passionnantes qu’elles soient, elles se révèlent incomplètes dans la mesure où les analyses ne sont pas dissociées de la présence de l’auteur, et sont donc le fait de pièces jouées du vivant de celui-ci. S’il est donné des précisions sur l’organisation du théâtre, il n’est pas décrit en quoi consistaient exactement les « mises en scène ». Les répétitions et l’organisation des troupes sont essentiellement pensées à travers l’idée de première représentation, voire des représentations successives d’une nouvelle pièce à l’affiche : gestion de la représentation, avant et après la première incluant des lectures par l’auteur, en privé ou devant les acteurs ; distribution des rôles ; travail sur le texte nécessitant réécriture, coupures, tant en amont qu’en aval de la représentation, etc. Évidemment toutes ces données concourent à une meilleure compréhension de la manière dont on s’y prenait. Mais Tiffany Stern évoque par exemple les reprises (« the revivals ») sans en expliquer réellement le fonctionnement (d’un point de vue pratique et scénique), et sans mentionner, non plus, les traditions rattachées aux pièces et au jeu de l’acteur. Or sont-elles ou non changées ? Si oui, le sont-elles radicalement, ou seulement partiellement ? Faut-il d’ailleurs considérer que les pratiques ne diffèrent pas entre les pièces nouvelles et celles qui sont tirées du répertoire ? Si tel est le cas, que peut-on en conclure relativement au statut de l’auteur, de la pièce et notamment de la propriété du texte ? Pouvait-il être mis en pièces avant la première représentation ou, une fois seulement la pièce acquise par la troupe, au moment de la reprise ?
Cette perspective de recherche biaisée parce que ne séparant pas le dramaturge de la pièce représentée a contribué à faire de l’auteur un élément central de la mise en scène, l’auteur dirigeant les acteurs, ou tout du moins donnant son avis et ses conseils quand bien même son ascendant s’émousse progressivement. Elle a donné l’impression que les acteurs étaient incapables de « mettre en scène » de manière professionnelle ou efficace une pièce sans le concours de celui-ci, voire sans le concours d’un individu « signant » l’organisation matérielle et / ou la conception artistique des décors (qui pourrait être à l’époque le souffleur ou, plus tard, le régisseur).
On notera enfin que des chercheurs tels Jacqueline Ragonnikoff ou John Golder ont été les premiers à s’intéresser aux archives de la période 1700 à 1800 (12) . On doit ainsi à Jacqueline Razgonnikoff une série d’études sur l’histoire de la Comédie-Française, notamment sur le souffleur Delaporte. John Golder s’est penché plus particulièrement sur l’architecture des théâtres parisiens mais aussi sur les répétitions (13) . Plus récemment, Martial Poirson a montré l’importance du manuscrit de souffleur qui témoigne du processus créatif avant la représentation comme nous le verrons plus en détail dans le cours de cet ouvrage (14) . On relève quelque trois cents manuscrits pour la seule période allant de 1680 à 1793 mais aussi une cinquantaine de pièces imprimées annotées par les secrétaires-souffleurs. Les archives conservées à la Bibliothèque-musée de la Comédie-Française font donc apparaître une multiplicité de documents qui attestent qu’une forme de « mise en scène » existait bien au siècle des Lumières, et ce, bien avant qu’elle ne soit formulée de manière théorique ou bien avant que l’on utilise simplement le terme « mise en scène ».
La « mise en scène » est une notion nouvelle et complexe. Le sens du mot varie, comme le montre Patrice Pavis. Il désigne en français, « l’ensemble et le fonctionnement de la représentation », tandis qu’il « se limite en anglais, à l’environnement visuel de la scénographie et des objets (15) ». En Angleterre, Thomas Postlewait dans son article « Mise-en-scène » de l’Oxford Encyclopedia of Theatre and Performance, signale que le mot s’est élargi récemment. La mise en scène est désormais comprise dans les pays anglo-saxons comme un ensemble de techniques liées à la représentation comprenant « l’éclairage, les costumes et tous les aspects liés à l’ordre spatial et temporel (16) », y compris les actions et les mouvements des acteurs, alors qu’elle est, selon Anne Ubersfeld, « la transformation d’un texte […] en un système complexes de signes », en une « œuvre originale » par « tous les procédés de traitement de l’espace […] et de mises en jeu du comédien, concourant à un objet unique (17) ». Il s’agit ici de la mise en scène créée spécifiquement par un metteur en scène. La définition est donc conçue différemment et pose un autre problème : celui de la signature de la mise en scène et de la responsabilité esthétique (la question n’est pas tant technique que socio-esthétique).
L’idée de « mise en scène », au sens donné par Antoine en France au début du XXe siècle, est quant à elle rejetée par la plupart des spécialistes du théâtre d’Ancien Régime qui, concédant que des décisions sont prises par les acteurs aux XVIIe et XVIIIe siècles (jeu de l’acteur, jeux de scène, décor…), réfutent pourtant l’idée qu’il pût y avoir, au théâtre, un ou des « professionnels » du spectacle capables de faire un travail artistique autonome et d’interpréter de manière personnelle un texte dont il n’est ou dont ils ne sont pas l’auteur. Le terme de « mise en scène » est ainsi jugé anachronique, voire abusif. On considère alors que la « mise en scène » avec signature n’apparaît effectivement que dans les années 1820 à 1860 (au moment où les livrets de mise en scène font leur apparition et lorsque les auteurs de ces derniers s’engagent dans une bataille juridique pour faire reconnaître leurs droits et leur statut d’artistes) qu’elle ne prend véritablement son essor qu’à partir de 1880, marquant par la suite tout le XXe siècle. Comme le montre très bien Roxane Martin, la mise en scène doit tout d’abord sa « reconnaissance », ou son « appréhension » tout du moins, à une nécessité pratique : celle de légiférer et contrôler les spectacles sous la Révolution qui, loin de péricliter, ont, au contraire, prospéré et se sont multipliés (18) .
Certains documents attestent le fait que le mot « mise en scène » était employé dès la Révolution (19) . Étudiés dans leur ensemble, ils suggèrent qu’il existait déjà, en filigrane, ce qui peut être compris comme une « pré-mise en scène » ou une « mise en scène désassemblée » car parcellaire et partielle, parce que transparaissant à travers des éléments de la mise en espace, du décor, de la mise en place (les placements des acteurs) et de la mise en jeu (le jeu du comédien à proprement parler). Les traces de l’organisation matérielle peuvent montrer cependant qu’il existait bien un travail d’interprétation de l’œuvre. C’est ce que soutient Jacqueline Razgonnikoff qui affirme que « dès le XVIIe siècle, à partir du texte brut destiné à la représentation, différentes propositions se dégagent, que, dans le cours de l’histoire, les comédiens ne reproduisent pas systématiquement les mêmes schémas, et que la « tradition, si souvent invoquée, peut être évolution ou révolution. » Elle ajoute que « Le jeu des acteurs, les décors et costumes, la musique et les accessoires, tous les détails d’un spectacle, témoignent d’une volonté, consciente ou non, d’aboutir à un résultat qui est la représentation » et de conclure que « La convergence de ces détails constitue l’embryon d’une « mise en scène » qui, pour ne pas être, elle, « intérieure » au sens où l’entend Antoine, n’en est pas moins le reflet d’une conception et d’une attitude subjectives face au texte qui se renouvellent, s’annulent ou se complètent au cours du temps (20) . »
Un document imprimé inédit comportant des annotations manuscrites en marge des répliques, suggère effectivement que les acteurs étaient très capables de mettre en jeu et en espace, seuls, une pièce, et qu’ils organisaient de manière mûrement réfléchie ou savamment concertée, la mise en espace et la mise en jeu comme un « tout ». Fait rarissime, soulignons-le, ces annotations à « deux mains » sont à la fois celles du souffleur Delaporte (placements) et celle du célèbre comédien Jean-Joseph Albouy dit Dazincourt (indications scéniques et placements intermédiaires) qui débuta à la Comédie-Française en 1776 et qui s’illustra notamment dans le rôle de Figaro qu’il créa en 1784. Elles donnent des informations sur la manière dont a été joué, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, Le Distrait de Jean-François Regnard. L’auteur n’a donc pu donner aucun conseil à la troupe, étant décédé depuis fort longtemps. Le texte de cette comédie, « fixé » par l’édition imprimée, c’est-à-dire le document de travail, est « retravaillé », non pas par l’auteur en fonction d’une création, mais par l’acteur lui-même ou par le groupe d’acteurs préparant la reprise. Les notes sur l’imprimé laissent clairement apparaître qu’aucun rôle n’est privilégié par rapport à un autre. Il ne peut donc s’agir d’un manuscrit de souffleur, ni d’un rôle distribué à un acteur et travaillé au cours d’une répétition privée. Les notes concernent en effet l’ensemble de la pièce et de ses personnages. Ce n’est pas non plus une pièce « raccommodée » par un littérateur dans la mesure où, si le texte est altéré, il comporte une nouvelle mise en espace et mise en jeu, ainsi que des indications sur les entrées, les sorties et les placements des acteurs. Bien que ce document ne constitue pas en soi une découverte majeure puisque, comme nous l’avons suggéré, la Comédie-Française conserve de nombreux imprimés annotés, sa seule existence laisse supposer que, si les acteurs participaient bien à la mise en œuvre de la pièce – ce qui est évident –, ils pouvaient donner leur propre interprétation du texte et donc avoir un « projet artistique » en tête au moment des reprises qui, de fait, doivent être examinées si l’on veut comprendre comment l’on adaptait une pièce au XVIIIe siècle.
La problématique qui s’offre au chercheur est alors celle de l’articulation entre texte (présence matérielle), organisation du spectacle (la manière de s’y prendre) et pensée de la mise sur la scène (la conception artistique) à une époque où les rôles au sein de la Comédie-Française ne sont pas clairement établis ou nécessairement définis. Il n’existe pas en effet, au XVIIIe siècle, de personne dont la fonction serait expressément celle de préparer un projet artistique une fois la pièce soumise au comité de lecture et approuvée par celui-ci. Personne ne signe explicitement de « mise en scène » ou ne semble décider seul de la production finale. Les tâches des sociétaires (non des employés de la Comédie-Française) sont d’ailleurs interchangeables. L’on est tantôt semainier, tantôt chargé de veiller au luminaire et à l’approvisionnement du bois de chauffage, etc. Chacun est impliqué dans la vie quotidienne du théâtre dont l’esprit collégial et les responsabilités collectives en permettent le fonctionnement, quand bien même certaines rivalités et jalousies entre acteurs sont particulièrement exacerbées comme en témoignent les querelles entre Mlle Clairon et Mlle Dumesnil, entre Mlle Sainval et Mme Vestris ou entre Molé, Préville et Lekain.
Les métiers du théâtre sont, quant à eux, délimités et divisés au sein de l’entreprise : personnel assurant la bonne tenue ou la sûreté du spectacle (suisses, gardes en factions et pompiers), petit personnel contrôlant les billets tels les ouvreuses, les receveurs et le caissier (« receveur des premières places », « receveur au parterre », « receveuses des billets et contremarques »), gagistes (tailleurs, perruquiers, machinistes, menuisier, ferblantier, illuminateur, garçons de théâtre, garçon tapissier), artistes tels les danseurs ou les musiciens. Ces employés sont rattachés à la Comédie mais n’ont pas de pouvoir décisionnaire. Ils exécutent les ordres donnés par les sociétaires. Ainsi les décors créés, réparés ou aménagés au cours des représentations, les travaux de maçonnerie, de menuiserie, les costumes etc., sont-ils le résultat de commandes dont on ne sait véritablement, en particulier en ce qui concerne les décors ou les habits, quelle est la part de liberté « artistique » laissée à l’artisan. La représentation semble un assemblage de différentes opérations artistiques et logistiques, d’un travail manuel et pratique, fruit de directives (qui témoignent donc de choix et de partis-pris), et d’interactions et ce, à tous les niveaux, qu’il s’agisse de celui des sociétaires ou du simple maître-artisan avec ses apprentis ou ouvriers.
Les questions qui se posent sont les suivantes : comment peut-on entrevoir, à travers les traces ou plus exactement les « restes » de la mise en scène (l’organisation matérielle), une intention précise, c’est-à-dire une interprétation de la pièce dans son ensemble ? Qui décide ? Qui régit ? Qui serait susceptible de signer un véritable projet artistique au XVIIIe siècle ? Comment met-on en scène ou comment adopte-t-on une pièce tirée du répertoire dont l’auteur n’est plus ? Quel rapport existe-t-il entre le texte manuscrit et / ou imprimé, et sa mise en spectacle ? Que peut-on apprendre de la génétique théâtrale, des différentes étapes allant de la page (le manuscrit de l’auteur) aux répétitions puis à la version scénique définitive de la pièce ? Que peut-on apprendre du lent processus créatif amenant à la première ou à une reprise ? À quel niveau intervient la troupe ou un acteur en particulier ? Peut-on restituer ou reconstruire une mise en scène dans sa globalité ?
L’organisation de la Comédie-Française au XVIIIe siècle nous semble capitale pour comprendre ce que pouvait être la préparation d’une pièce avant l’ère de la mise en scène. Elle a une incidence sur la manière dont on appréhende la programmation des pièces (qu’elles soient nouvelles ou tirées du « fonds » de la Comédie), dont on prépare une reprise ou une première, dont on planifie les répétitions. Si l’on revient à la mise en scène de la pièce de Brecht par Michael Rothhaar et à ce qu’elle a d’instructif, on notera une chose essentielle : la progressive réalisation de la représentation par les acteurs laisse entendre que le jeu et les placements se font en fonction de l’espace dans lequel va s’actualiser la pièce. Il semble ainsi que la logique veut que l’on ne parte pas forcément de l’étude du rôle pour aboutir à une mise en espace, une mise en jeu, bref à une mise en scène globale (qui pourrait manquer d’harmonie au moment de la première). Cette construction particulière de la mise en scène voulue par Rothhaar, amène à repenser ce que pouvaient être les répétitions au XVIIIe siècle. L’idée émise par John Golder (21) , que l’étude exclusivement individuelle et solitaire, voire avec son partenaire, serait complétée, par la suite par quelques répétitions générales où les acteurs tâcheraient de lier vaille que vaille les scènes les unes aux autres ne paraît pas aller de soi et est peut-être à nuancer. En effet, mettre en scène la pièce requiert ici, apparemment, un travail différent : l’adaptation, non pas du lieu au texte et à ses constituants tels les personnages et leurs répliques, mais inversement du texte au lieu théâtral, c’est-à-dire ce que l’on peut ou ne peut se permettre de faire, en fonction des moyens et de l’espace dont on dispose, mais aussi en fonction des contingences ou d’aspects purement pratiques qui correspondraient, au XVIIIe siècle, à la durée maximale d’une représentation à la Comédie-Française par exemple qui ne pouvait excéder trois heures, que cela soit parce que le parterre, jusqu’en 1782, reste debout et ne peut donc endurer un spectacle interminable, pour des raisons économiques telles les frais des luminaires, ou encore humaines telles la mémorisation de textes trop longs. Toutes ces données agissent simultanément sur ce que pouvait être la mise en scène. Ainsi la durée totale de la représentation théâtrale avait-t-elle une influence sur la longueur des pièces ? Délimitait-t-elle le nombre de vers ou de lignes à ne pas dépasser par pièce, si l’on considère que l’on programmait une petite et une grande pièce ? Comment adaptait-on le texte aux exigences de la scène ?
Le « modèle » Rothhaar montre que l’on peut aller de la scène et de la vie du théâtre au texte puis du texte à sa mise en jeu et à son adaptation à la scène. Prétendre que la mise en scène peut se faire de façon totalement autonome à partir d’un « modèle imaginaire » (pour reprendre le mot de Diderot), ne nous semble pas prudent, surtout en ce qui concerne le XVIIIe siècle. Affirmer que les représentations étaient inévitablement vouées à une certaine anarchie ou manquaient totalement d’harmonie nous paraît exagéré. Les troupes des théâtres privilégiés étaient en effet composées d’acteurs professionnels. En outre, la gestion du théâtre étant, en soi, très complexe comme en témoignent les multiples commandes, registres, et pièces programmées, on imagine mal les acteurs incapables de s’organiser pour répéter, pour préparer leur rôle ou prévoir des effets scéniques. Insistons sur le fait que la Comédie-Française n’a jamais connu une ruine totale et ne s’est jamais arrêtée complètement de fonctionner jusqu’en 1793 (si ce n’est les quelques jours de relâche dus à des fêtes ou des événements fortuits comme par exemple les deuils successifs qu’a connus la famille royale ou la compagnie). N’oublions pas aussi qu’elle assurait le service de la Cour à Fontainebleau ou à Versailles. Bien entendu, penser, inversement, que toute production était parfaite serait faire preuve de naïveté.
La méthode Rotthaar se fonde sur un certain empirisme. Il détermine en premier lieu les grandes lignes du spectacle, les placements, les jeux de scène, pour ensuite affiner le jeu et pousser les acteurs à jouer en quelque sorte en situation réelle (avec les bons costumes, le « vrai » décor, tous les accessoires, qu’ils soient absolument nécessaires ou non au bon déroulement de la représentation). Elle montre qu’une pièce sans aucune concertation ou répétition ne pourrait vraisemblablement pas être viable ou tenable parce qu’elle n’aurait aucune continuité ni aucune cohérence elle ne serait pas le fait de professionnels. Elle suggère, en outre, qu’il faut un « leader » expérimenté, qui soit moins « répétiteur » que maître d’œuvre, et qui soit capable de guider les acteurs, ou de fédérer les différentes « visions » de la mise en scène. L’organisation matérielle du spectacle peut être répartie entre les acteurs comme il est apparu. Il faut ainsi un minimum d’entente entre acteurs mais aussi d’organisation. Cela ne veut pas dire qu’une pièce ne nécessite qu’un simple travail de placements. Au contraire, les acteurs sont tenus, une fois la mise en scène choisie et déterminée, de « façonner » leur rôle et les scènes de manière à ne pas rester « approximatifs » quand bien même ils conserveraient une certaine part de liberté dans leurs gestes et interprétation du personnage.
Les archives de la Comédie-Française, de la Bibliothèque nationale de France et des Archives nationales incluent des lettres adressées aux acteurs trublions ou fautifs lors des représentations, des mises en garde contre les retardataires (certains s’autorisent à manquer leur entrée ou à arriver au théâtre, une fois le premier acte commencé) et des amendes infligées aux acteurs récalcitrants, absents aux répétitions ou peu attentifs à leur rôle. Nous avons en outre montré dans une précédente étude que les acteurs avaient tendance à négliger l’écoute (22) . D’après certains témoignages de spectateurs, quelques actrices galantes se laissaient distraire par les loges ou par les polissonneries des petits marquis. D’autres comédiens se voyaient interrompus par le public, avaient des trous de mémoire ou ne savaient leur texte que de manière approximative comme le suggèrent les anecdotes dramatiques du temps. Tous ces paramètres, tels que l’attitude du public, l’espace scénique, l’organisation du théâtre, les responsabilités individuelles ou collectives, les choix artistiques des sociétaires, forment un cadre à la mise en scène et en déterminent les tenants et les aboutissants.
Le présent ouvrage se veut une étude globale de la « mise en scène » pré-moderne à la Comédie-Française entre 1680, date de la création de celle-ci, et 1815, date de l’inventaire du Théâtre Français (Odéon) et du Théâtre de la République (23) . Nous nous pencherons plus particulièrement sur la période allant de 1765 à 1793, dans la mesure où le secrétaire-souffleur Delaporte, très méticuleux et très méthodique, joue un rôle essentiel au sein du théâtre, mais aussi parce que la majorité des imprimés sont annotés par lui, sa petite écriture ronde et soignée étant facilement reconnaissable. Nous souhaitons montrer comment peuvent être ébauchées, en creux, la figure et la présence du « maître d’œuvre » selon le mot d’Anne Ubersfeld (quand bien même serait-il protéiforme), sinon d’une « pensée » collective et d’une véritable gestion en ce qui concerne la production du spectacle et du spectaculaire au XVIIIe siècle.
La première partie met en contexte la mise en scène. Le premier chapitre définit ce que l’on entend par « mise en scène » aux XVIIIe et XIXe siècles, tâchant d’en délimiter les différents lieux : émergence de l’expression « mise en scène » (champ lexical et sémantique) ; mise en scène en filigrane dans les écrits théoriques et critiques du temps mais aussi à travers les recueils d’anecdotes et les témoignages de spectateurs ou de journalistes. Le deuxième chapitre évalue les rapports entre texte et représentation, de même qu’entre texte et édition, passant en revue les comptes rendus de la Correspondance de Grimm, les divers imprimeurs et dates d’édition des pièces les plus souvent jouées à la Comédie-Française. Le troisième chapitre se fonde sur l’ouvrage d’Alexandre Joannidès (24) . La notion de répertoire y est discutée mais aussi la manière dont ce dernier s’est constitué. Le théâtre français de Jean-François Regnard sert de cas d’étude dans la mesure où il fait partie du répertoire au XVIIIe siècle. Nous avons recours aux statistiques afin de donner un panorama de l’évolution des genres théâtraux et de la programmation des XVIIIe et XIXe siècles. Sont ainsi examinés le nombre de nouveautés, le nombre d’auteurs dont les pièces sont mises à l’affiche, le nombre de pièces jouées annuellement. Ceci amène à analyser la programmation de manière plus précise : les saisons 1773-1774 et 1774-1775 sont alors mises en lumière.
La génétique de la mise en scène ainsi que son herméneutique sont abordées dans la deuxième partie : mise à l’étude, mise en forme et système de l’annotation utilisé par les souffleurs et acteurs à partir des années 1760. Il s’agit d’explorer tout ce qui a trait à la production des comédies et plus généralement des pièces jouées au XVIIIe siècle à la Comédie-Française, qu’elles soient nouvelles ou non. Les enjeux liés aux différents états du texte sont dévoilés afin de mieux comprendre le processus créatif, de la lecture de la pièce à sa réception par la troupe, puis des répétitions aux représentations, voire aux reprises. C’est ainsi toutes les étapes de la fabrication de la pièce qui sont passées en revue, notamment l’évolution et les changements perceptibles dans les versions conservées à la Bibliothèque-musée de la Comédie-Française tels que les coupures, les altérations, les corrections à la mine de plomb, la réorganisation des scènes et leur liaison, les indications scéniques. La pièce apparaît comme une juxtaposition de « pièces ». Les affiches, la présence de becquets et de collés sur les manuscrits de souffleurs, l’ajout de feuilles dans le livre imprimé, mais aussi les copies de rôles forment en effet un ensemble composite. La pièce est donc en morceaux avant de trouver son unification sur la scène parce qu’elle est mise « en pièces ». C’est ainsi qu’apparaît le véritable sens de la mise en scène qui mène à la réalisation de tous ces fragments en une forme achevée, une, et dans une certaine mesure, unique. La mise en temps et la mise en espace, leurs spécificités, sont aussi abordées, à travers notamment l’organisation des représentations, la durée des pièces, la vitesse de la déclamation.
La dernière partie de cet ouvrage est consacrée à la conduite de la pièce (c’est-à-dire à la mise en jeu proprement dite, l’agencement spatial du plateau, la mise en « place » – position des acteurs et signification des placements, déplacements et mouvements sur la scène, entrées, sorties, fausses sorties), et aux interprétations scéniques des acteurs lors de reprises. Le deuxième chapitre examine la mise sur la scène, étape ultime de la mise en scène, en particulier la mise en espace. Un dernier élément intéresse la problématique de la mise en scène avant la mise en scène : la scénographie. Faut-il croire que le décor est ajusté au texte ou le texte aux décors dont on dispose ? L’analyse des mémoires de Paul Brunetti et des machinistes permet de répondre à cette question. Enfin la mise en « habits » (tensions entre vêtements d’antan et habits contemporains dans le comique), et la prise de distance avec les traditions donnent une idée de ce à quoi pouvait ressembler la mise en scène au XVIIIe siècle et quelle en a été finalement l’esthétique.
Janet Driver (qui tient un rôle secondaire dans la pièce) et Terry Davies produisent la pièce. L’une s’occupe de la publicité (fabrication de flyers et des affiches) ; l’autre de l’organisation des répétitions mais aussi des dépenses à effectuer (le budget alloué est limité à 1.000$ seulement ; il comprend le paiement des costumes, du décor et des affiches). L’ambiance est décontractée autant que studieuse. Chacun prend place quotidiennement dans cette petite « co-op » étroite, et attend les instructions. Rothhaar élabore le programme des répétitions au jour le jour (les acteurs sont prévenus par courrier électronique), tout en ayant à l’esprit la mise en scène globale (ce à quoi devrait ressembler la pièce, une fois montée). Cela ne veut pourtant pas dire qu’elle soit fixée à l’avance. Au contraire, on s’aperçoit qu’au fil des répétitions les placements, le jeu même, sont amenés à évoluer. On réajuste afin de trouver le meilleur effet, ou la meilleure « composition » scénique. Ainsi la taille et l’architecture de la salle, la disposition de la scène, le décor ont une influence sur la manière dont on élabore la mise en scène (elle n’est pas définitivement conçue dès le début, puis réalisée ; au contraire elle se construit progressivement). Les contraintes matérielles jouent un rôle déterminant et peuvent être vues comme des paramètres importants de la représentation. L’espace, par exemple, influence la mise en scène puisqu’il fournit le cadre de jeu.
Tous les acteurs ne sont pas forcément présents à toutes les répétitions. Cela dépend de la scène ou des scènes devant être travaillées. Évidemment, assister à l’ensemble des répétitions permet de suivre l’évolution de la mise en place, d’apprendre quels sont les changements effectués d’une semaine à l’autre, etc. Ceux qui participent à la scène en « formation » apportent le livret de la pièce (de simples photocopies A4 reliées par un anneau de plastique noir) et jouent tout d’abord le rôle à la main. Chacun griffonne ses propres annotations sur celui-ci (elles peuvent être faites après que l’on s’est concerté sur un élément de la mise en scène, le décor, un accessoire, un placement, etc. ; elles sont relatives au rôle interprété ou à la mise en place globale). La costumière prend elle aussi des notes, de même qu’un acteur de la troupe devenu régisseur pour l’occasion. Il est chargé d’établir une liste des accessoires nécessaires, en fonction des partis-pris du metteur en scène, accessoires qu’il faudra bientôt se procurer. Terry Davies organise le planning. Le traducteur, Peter Kemp assiste aussi aux répétitions, veille à la conformité du texte représenté et explicite certains aspects de la pièce ou du théâtre de Berthold Brecht.
Les acteurs sont réunis pour, dans un premier temps, définir les placements et déterminer les mouvements sur scène (l’expression anglaise est « to block the scenes »). Ils commencent par lire leur rôle puis Rothhaar leur demande de jouer les scènes une par une tout en leur indiquant, de manière assez générale, les placements. Il procède ainsi par tâtonnements, adopte ou abandonne certaines positions, reste ouvert à toute suggestion de la part des acteurs. Il teste donc immédiatement la pertinence de celles-ci, dont dépend l’efficacité du jeu. Si la mise en scène est dirigée, elle s’ébauche et se construit néanmoins de manière collective. Rothhaar bénéficie d’une solide expérience qui, très probablement, l’aide à traduire le texte physiquement et à l’interpréter puisqu’il livre sa propre lecture de la pièce. Petit à petit, l’ensemble des acteurs se forme une idée générale de la mise en scène avant de travailler en détails leur rôle (mémorisation, appropriation et construction du personnage, jeu avec ses partenaires, effets etc.). Les acteurs « composent » avec les éléments matériels à leur disposition – le fonds du théâtre (un simple banc tiré du magasin sert ainsi de « chaise »). Chacun doit donc imaginer la scène à partir des informations données par Rothhaar, et aussi à partir d’un décor, au départ, minimaliste et nu. La mise en scène se veut ainsi, à l’origine, immatérielle et ce, avant toute question d’organisation matérielle. Elle se fonde sur l’imagination de celui qui dirige les acteurs – et dont la fonction temporaire de metteur en scène n’est absolument pas discutée ou remise en cause par la troupe. L’adaptation de la pièce de Brecht semble guidée par l’instinct, par la connaissance de la chose théâtrale, ce que les acteurs du XVIIIe siècle appelaient « l’usage du théâtre ». Elle dépend aussi des contingences. Le recyclage des accessoires est privilégié. En effet, un objet peut très bien être adapté à la mise en scène en préparation : une chaise peut par exemple être repeinte d’une autre couleur. Cela ne veut pas dire néanmoins que l’achat de meubles, d’habits, d’accessoires soit exclu. Cependant, on préfère les d’objets de seconde main (brocante, magasins de charité, etc.) dans la mesure où l’on sait très bien qu’une représentation a une durée de vie limitée dans le temps. On loue aussi autant que faire se peut (les costumes en particulier).
Ce travail collectif – presque collégial – d’un groupe d’acteurs professionnels sous la direction d’un seul homme dont la fonction au sein de la troupe est variable, tantôt metteur en scène, tantôt simple acteur, donne à penser. Ici les comédiens disposent de peu de moyens et doivent monter assez rapidement la pièce (deux semaines tout au plus). Chaque membre du groupe a déjà plus ou moins d’expérience en matière de production de spectacles (Janet Driver et Terry Davies sont elles aussi actrices professionnelles ; Norman Scott est non seulement acteur mais scénographe puisqu’il s’occupe de la lumière et du décor qu’il crée et réalise lui-même). Si les rôles sont clairement définis, ils n’en sont pas pour autant définitifs au sein de la troupe dont les membres témoignent de compétences multiples. Cette organisation particulière qui fait se combiner et / ou cumuler différentes tâches et fonctions au sein du théâtre, et s’adapte à la pièce mise au programme, suggère qu’à une période où le metteur en scène n’existait pas en tant que tel, ou n’était pas « visible » dans les théories sur l’art dramatique, un tel système d’organisation a pu être mis en œuvre, notamment pour un théâtre comme la Comédie-Française qui fonctionne comme une société où chaque individu peut à tour de rôle, occuper diverses fonctions (par exemple celle de semainier, de régisseur). Le travail accompli de même que son organisation ressemblent à l’emblème de ce théâtre qui est celui de la ruche bourdonnante.
Simul et singulis : il semble en effet que le mode de fonctionnement contemporain où chacun a un rôle précis tout en œuvrant, fondamentalement, dans un même but, à la fois artistique et financier, rappelle fortement l’agencement et l’organisation du théâtre privilégié et monopolistique des XVIIe et XVIIIe siècles qui repose essentiellement sur ses sociétaires, à la fois acteurs et gestionnaires, artistes et entrepreneurs. La Comédie-Française fut créée en 1680 mais son acte de société ne fut validé devant le Parlement qu’en 1761, comme en témoigne un article tiré du i[Répertoire universel de jurisprudence] de 1784 (3) . Le roi étant intervenu quatre ans plus tôt afin d’empêcher la ruine et la fermeture de la Comédie qui croulait sous les dettes, de nouveaux règlements furent alors instaurés par les Gentilshommes de la Chambre et par le nouvel intendant, Denis Papillon de la Ferté. Néanmoins les comédiens, en obtenant des lettres patentes, dotèrent leur entreprise de statuts légaux. C’est donc aux acteurs, en tant que sociétaires, que revint, de plein droit, la gestion quotidienne du théâtre, ainsi que la répartition des tâches des employés qui concoururent à la bonne tenue des spectacles. D’où la présence de caissiers, d’ouvreuses, d’un tailleur comme par exemple Pontus auquel on passa des commandes et qui installa ses ateliers, après 1770 dans l’ancien théâtre de la rue des Fossés-Saint-Germain-des-Prés, rive gauche, de machinistes, de gagistes, d’un secrétaire-souffleur, de copistes etc.
Il n’existait pas de « Directeur » à la Comédie-Française, comme il pouvait en exister un à l’Académie royale de musique ou au Théâtre de la Monnaie à la même époque à Bruxelles (Pays-Bas autrichiens), directeur qui serait chargé d’embaucher de jeunes recrues, voire d’établir des contrats pour s’assurer temporairement les services de tel ou tel artiste réputé.
Les quatre Premiers Gentilshommes de la Chambre administraient en haut-lieu les affaires de la Comédie, de même que l’intendant, chargé de veiller au bon déroulement de ses activités ou à la bonne tenue de la caisse et des livres de compte. Ils devaient s’assurer que l’intendance des Menus Plaisirs, dont faisait partie la Comédie-Française, était efficace puisqu’il s’agissait d’assurer le prestige du roi et son rayonnement en France et à l’étranger. Ils veillaient aussi aux intérêts des spectateurs, contrôlant la qualité du spectacle et la programmation. Ils arbitraient les conflits entre acteurs (voire les provoquaient par leurs préférences affichées pour certaines demoiselles). Ils participaient alternativement à la vie du théâtre, établissant le programme des spectacles de cour, les règlements, prévoyaient des réunions comme par exemple celle qui consistait à déterminer tous les quinze jours le répertoire à venir. Ce sont eux qui donnaient les ordres de début de sorte que les acteurs n’eurent guère leur mot à dire face à des décisions mûrement réfléchies ou purement arbitraires si ce n’est par l’intermédiaire de cours particuliers qu’ils donnaient à de jeunes talents. Certains élèves, ainsi formés, entrèrent plus facilement à la Comédie-Française (ainsi de Françoise Marie Antoinette Saucerotte, dite Mlle Raucourt ou de Jean-Marie Mauduit-Larive), ou tout du moins eurent-ils l’opportunité de se faire connaître du public. En outre, il faut préciser que tout acteur quittant le théâtre, devait payer une indemnité de 1 200 livres à la troupe pour l’entretien des décors et de la salle (4) .
Certains sociétaires furent plus emblématiques que d’autres, eurent une personnalité charismatique ou une très forte personnalité qui les distinguait de leurs confrères, ou brillèrent par leur intelligence, tels Henri Louis le Caïn dit Lekain dont les mémoires sur l’art du théâtre témoignent d’une rationalisation du métier d’acteur et d’une tentative pour organiser la scène de manière cohérente, François-René Molé souvent cité par Denis Papillon de la Ferté dans son journal pour ses coups d’éclat ou ses manœuvres, ou Hippolyte Claire Léris de la Tude, dite Mlle Clairon.
Ce mode particulier de fonctionnement a son importance. C’est précisément cette forme « collective » et communautaire sur laquelle se fonde la Comédie-Française en tant qu’entreprise qui a, selon nous, masqué la naissance de la mise en scène, ou tout au moins qui a freiné l’émergence de la figure du metteur en scène. Les sociétaires n’avaient guère la possibilité de se singulariser et de se démarquer de leurs prédécesseurs. En outre, très peu d’acteurs ont osé ou eu le temps de partager leur expérience, leur connaissance du théâtre et de ses rouages, avec le « grand » public, c’est-à-dire par le biais d’une publication. Nous avons suggéré, à travers l’édition de nombreux textes sur l’art dramatique parus entre 1700 et 1801, que l’acteur prend peu la parole alors que le XVIIIe siècle est marqué, comme tout le monde le sait, par la théâtromanie et par une prolifération de spectacles en tous genres, même secondaires ou non officiels (théâtres des foires, théâtres de société, théâtre bourgeois, théâtres des boulevards, théâtre érotique).
Tout au long du siècle on voit se dessiner une double pensée du théâtre. Tout d’abord celle qui appartient au domaine public, jalonnée de querelles et de polémiques sur le travail d’acteur et sur ce que doit être l’acteur en scène. La majorité des écrits théoriques sur la représentation sont le fait de spectateurs, le plus généralement de lettrés ou de connaisseurs. Les ouvrages deviennent très souvent des références en la matière et sont très fréquemment cités (ainsi du Comédien de Pierre Rémond de Sainte Albine ou de La Déclamation théâtrale de Claude Joseph Dorat). Malgré la popularité dont bénéficient ces ouvrages, peu y est dit sur le fonctionnement réel du théâtre.
C’est alors qu’il faut se tourner vers les documents administratifs qui donnent une vision précise de la manière dont on préparait les pièces mises à l’affiche. Restés à l’état de manuscrit, ils conservent la mémoire de la vie théâtrale dans son ensemble, et, en ce sens, sont particulièrement intéressants pour le chercheur. Ce sont toutes les factures des fournisseurs qui laissent entrevoir l’organisation matérielle du spectacle comme par exemple celles des machinistes ou des décorateurs, ainsi que, bien évidemment tous les écrits, mémoires, documents et lettres d’acteurs ou d’employés des théâtres parisiens comme le secrétaire-souffleur Delaporte. Insoupçonnée de la majorité des spectateurs de l’époque, cette source d’information est donc passée inaperçue et restée celée puisque les documents eux-mêmes étaient entreposés dans une pièce et rangés dans un placard fermé à clef. Il est vrai néanmoins que certains acteurs, comme Mlle Clairon par exemple, publièrent, de leur vivant, des mémoires accompagnés de « réflexions sur l’art dramatique ». (Mais on observera ici que ceux-ci ne le furent que très tardivement et bien longtemps trente ans après qu’elle eut quitté les planches). De même, Jean-Marie Mauduit-Larive, élève de la célèbre actrice, ayant débuté à la Comédie-Française en 1770, livra au public ses « Réflexions sur l’art théâtral » en 1801, un an après avoir mis fin à sa carrière. Ces deux comédiens ouvraient alors la voie à l’expression de soi en tant qu’artiste, et deviennent des modèles à suivre. La vogue des écrits d’acteurs se développe ainsi au XIXe siècle, parallèlement à l’augmentation du nombre des théâtres parisiens (5) . Néanmoins leurs réflexions restent assez sommaires en ce qui concerne la mise en scène proprement dite, même si l’on relève un certain nombre d’indications. Larive s’attache à l’art théâtral dans son ensemble (architecture, décadence des théâtres, jeu de l’acteur), tout en explorant mémoire sensorielle et affective à travers des souvenirs personnels. Mlle Clairon élabore une typologie des caractères et des emplois, tout en donnant sa propre vision des grands rôles tragiques. L’interprétation se fait au niveau du rôle seulement, mais témoigne d’une pensée de la scène qui pourrait s’apparenter au travail préliminaire du metteur en scène.
Les documents administratifs ou privés des comédiens tels les mémoires des Premiers Gentilshommes, les lettres ou les réflexions personnelles, n’ont pas reçu toute l’attention qu’ils auraient méritée. Celle-ci s’est focalisée surtout sur la dramaturgie et la poétique de l’âge classique (6) ou sur le public (7) . On a tâché aussi de relier le texte à sa représentation par l’intermédiaire de thèmes tels que le jeu de l’acteur, la déclamation, les écrits théoriques sur l’art théâtral (8) , la scénographie ou plus récemment le costume. On peut relever ainsi certains ouvrages importants tels que Scénographies du théâtre occidental d’Anne Surgers (2000), L’Esthétique du tableau dans le théâtre du XVIIIe siècle de Pierre Frantz (1998), l’édition du Mémoire de Mahelot de Pierre Pasquier (2006), Histoire et poétique de l’habit de théâtre en France au XVIIe siècle (2006) d’Anne Verdier. Comme on peut le constater la majorité des études porte sur le XVIIe siècle. Quelques ouvrages clés comme L’Histoire de la mise en scène dans le théâtre français à Paris de 1600 à 1673 de Wilma Deierkauf-Holsboer (réed. 1976) ou La Mise en scène au XVIIIe siècle de Pierre Peyronnet (1974) avaient abordé la mise en scène, mais d’une manière assez générale. Ces études commencent à dater et se révèlent, en outre, incomplètes en ce que nombre de documents, en particulier pour le XVIIIe siècle, ne sont pas même mentionnés tels les imprimés annotés qui pourtant donnent de précieux renseignements sur la mise en place des personnages, ou les inventaires et factures qui, examinés en détail, eussent permis de mieux comprendre l’organisation matérielle des spectacles et leur conception.
Les documents restés à l’état de manuscrit ont ainsi été peu explorés. Les écrits de Lekain tels les « Cahiers de mises en scène » ou ses mémoires ont été analysés par Damien Chardonnet dans le cadre d’une thèse consacrée au célèbre acteur (9) . Mais ils n’ont guère fait l’objet d’études en particulier. Renaud Bret-Vitoz a achevé récemment une monographie sur la scène et l’espace de la tragédie au XVIIIe siècle et a publié un article sur un texte manuscrit de Lekain conservé à la Bibliothèque nationale de France, qui fut sans doute un travail préparatoire au registre de mises en scène que nous venons de mentionner (10) . Or si ces sortes de documents, relevant les éléments de la mise en scène, apportent un éclairage neuf, ou plutôt inédit, sur la manière dont l’acteur concevait les tragédies représentées à la Comédie-Française, qu’en fut-il de la comédie ? Peu a été écrit sur le sujet. Dans son ouvrage intitulé The Art of Gesture. The Practices and Principles of 18th Century Acting (1987), Dene Barnett avait brièvement évoqué l’existence de placements sur scène mais n’avait guère eu le temps d’approfondir le sujet. Il existe ainsi une lacune importante en ce qui concerne la mise en jeu comique au siècle des Lumières, que la présente étude s’attachera à combler tout particulièrement.
Les études les plus récentes sur les répétitions et la mise en scène du théâtre anglais de la Renaissance à la fin du XVIIIe siècle par Tiffany Stern (11) , se fondent sur un grand nombre de documents tirés d’archives et apportent, de fait, un éclairage très pertinent sur le sujet. Mais pour passionnantes qu’elles soient, elles se révèlent incomplètes dans la mesure où les analyses ne sont pas dissociées de la présence de l’auteur, et sont donc le fait de pièces jouées du vivant de celui-ci. S’il est donné des précisions sur l’organisation du théâtre, il n’est pas décrit en quoi consistaient exactement les « mises en scène ». Les répétitions et l’organisation des troupes sont essentiellement pensées à travers l’idée de première représentation, voire des représentations successives d’une nouvelle pièce à l’affiche : gestion de la représentation, avant et après la première incluant des lectures par l’auteur, en privé ou devant les acteurs ; distribution des rôles ; travail sur le texte nécessitant réécriture, coupures, tant en amont qu’en aval de la représentation, etc. Évidemment toutes ces données concourent à une meilleure compréhension de la manière dont on s’y prenait. Mais Tiffany Stern évoque par exemple les reprises (« the revivals ») sans en expliquer réellement le fonctionnement (d’un point de vue pratique et scénique), et sans mentionner, non plus, les traditions rattachées aux pièces et au jeu de l’acteur. Or sont-elles ou non changées ? Si oui, le sont-elles radicalement, ou seulement partiellement ? Faut-il d’ailleurs considérer que les pratiques ne diffèrent pas entre les pièces nouvelles et celles qui sont tirées du répertoire ? Si tel est le cas, que peut-on en conclure relativement au statut de l’auteur, de la pièce et notamment de la propriété du texte ? Pouvait-il être mis en pièces avant la première représentation ou, une fois seulement la pièce acquise par la troupe, au moment de la reprise ?
Cette perspective de recherche biaisée parce que ne séparant pas le dramaturge de la pièce représentée a contribué à faire de l’auteur un élément central de la mise en scène, l’auteur dirigeant les acteurs, ou tout du moins donnant son avis et ses conseils quand bien même son ascendant s’émousse progressivement. Elle a donné l’impression que les acteurs étaient incapables de « mettre en scène » de manière professionnelle ou efficace une pièce sans le concours de celui-ci, voire sans le concours d’un individu « signant » l’organisation matérielle et / ou la conception artistique des décors (qui pourrait être à l’époque le souffleur ou, plus tard, le régisseur).
On notera enfin que des chercheurs tels Jacqueline Ragonnikoff ou John Golder ont été les premiers à s’intéresser aux archives de la période 1700 à 1800 (12) . On doit ainsi à Jacqueline Razgonnikoff une série d’études sur l’histoire de la Comédie-Française, notamment sur le souffleur Delaporte. John Golder s’est penché plus particulièrement sur l’architecture des théâtres parisiens mais aussi sur les répétitions (13) . Plus récemment, Martial Poirson a montré l’importance du manuscrit de souffleur qui témoigne du processus créatif avant la représentation comme nous le verrons plus en détail dans le cours de cet ouvrage (14) . On relève quelque trois cents manuscrits pour la seule période allant de 1680 à 1793 mais aussi une cinquantaine de pièces imprimées annotées par les secrétaires-souffleurs. Les archives conservées à la Bibliothèque-musée de la Comédie-Française font donc apparaître une multiplicité de documents qui attestent qu’une forme de « mise en scène » existait bien au siècle des Lumières, et ce, bien avant qu’elle ne soit formulée de manière théorique ou bien avant que l’on utilise simplement le terme « mise en scène ».
La « mise en scène » est une notion nouvelle et complexe. Le sens du mot varie, comme le montre Patrice Pavis. Il désigne en français, « l’ensemble et le fonctionnement de la représentation », tandis qu’il « se limite en anglais, à l’environnement visuel de la scénographie et des objets (15) ». En Angleterre, Thomas Postlewait dans son article « Mise-en-scène » de l’Oxford Encyclopedia of Theatre and Performance, signale que le mot s’est élargi récemment. La mise en scène est désormais comprise dans les pays anglo-saxons comme un ensemble de techniques liées à la représentation comprenant « l’éclairage, les costumes et tous les aspects liés à l’ordre spatial et temporel (16) », y compris les actions et les mouvements des acteurs, alors qu’elle est, selon Anne Ubersfeld, « la transformation d’un texte […] en un système complexes de signes », en une « œuvre originale » par « tous les procédés de traitement de l’espace […] et de mises en jeu du comédien, concourant à un objet unique (17) ». Il s’agit ici de la mise en scène créée spécifiquement par un metteur en scène. La définition est donc conçue différemment et pose un autre problème : celui de la signature de la mise en scène et de la responsabilité esthétique (la question n’est pas tant technique que socio-esthétique).
L’idée de « mise en scène », au sens donné par Antoine en France au début du XXe siècle, est quant à elle rejetée par la plupart des spécialistes du théâtre d’Ancien Régime qui, concédant que des décisions sont prises par les acteurs aux XVIIe et XVIIIe siècles (jeu de l’acteur, jeux de scène, décor…), réfutent pourtant l’idée qu’il pût y avoir, au théâtre, un ou des « professionnels » du spectacle capables de faire un travail artistique autonome et d’interpréter de manière personnelle un texte dont il n’est ou dont ils ne sont pas l’auteur. Le terme de « mise en scène » est ainsi jugé anachronique, voire abusif. On considère alors que la « mise en scène » avec signature n’apparaît effectivement que dans les années 1820 à 1860 (au moment où les livrets de mise en scène font leur apparition et lorsque les auteurs de ces derniers s’engagent dans une bataille juridique pour faire reconnaître leurs droits et leur statut d’artistes) qu’elle ne prend véritablement son essor qu’à partir de 1880, marquant par la suite tout le XXe siècle. Comme le montre très bien Roxane Martin, la mise en scène doit tout d’abord sa « reconnaissance », ou son « appréhension » tout du moins, à une nécessité pratique : celle de légiférer et contrôler les spectacles sous la Révolution qui, loin de péricliter, ont, au contraire, prospéré et se sont multipliés (18) .
Certains documents attestent le fait que le mot « mise en scène » était employé dès la Révolution (19) . Étudiés dans leur ensemble, ils suggèrent qu’il existait déjà, en filigrane, ce qui peut être compris comme une « pré-mise en scène » ou une « mise en scène désassemblée » car parcellaire et partielle, parce que transparaissant à travers des éléments de la mise en espace, du décor, de la mise en place (les placements des acteurs) et de la mise en jeu (le jeu du comédien à proprement parler). Les traces de l’organisation matérielle peuvent montrer cependant qu’il existait bien un travail d’interprétation de l’œuvre. C’est ce que soutient Jacqueline Razgonnikoff qui affirme que « dès le XVIIe siècle, à partir du texte brut destiné à la représentation, différentes propositions se dégagent, que, dans le cours de l’histoire, les comédiens ne reproduisent pas systématiquement les mêmes schémas, et que la « tradition, si souvent invoquée, peut être évolution ou révolution. » Elle ajoute que « Le jeu des acteurs, les décors et costumes, la musique et les accessoires, tous les détails d’un spectacle, témoignent d’une volonté, consciente ou non, d’aboutir à un résultat qui est la représentation » et de conclure que « La convergence de ces détails constitue l’embryon d’une « mise en scène » qui, pour ne pas être, elle, « intérieure » au sens où l’entend Antoine, n’en est pas moins le reflet d’une conception et d’une attitude subjectives face au texte qui se renouvellent, s’annulent ou se complètent au cours du temps (20) . »
Un document imprimé inédit comportant des annotations manuscrites en marge des répliques, suggère effectivement que les acteurs étaient très capables de mettre en jeu et en espace, seuls, une pièce, et qu’ils organisaient de manière mûrement réfléchie ou savamment concertée, la mise en espace et la mise en jeu comme un « tout ». Fait rarissime, soulignons-le, ces annotations à « deux mains » sont à la fois celles du souffleur Delaporte (placements) et celle du célèbre comédien Jean-Joseph Albouy dit Dazincourt (indications scéniques et placements intermédiaires) qui débuta à la Comédie-Française en 1776 et qui s’illustra notamment dans le rôle de Figaro qu’il créa en 1784. Elles donnent des informations sur la manière dont a été joué, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, Le Distrait de Jean-François Regnard. L’auteur n’a donc pu donner aucun conseil à la troupe, étant décédé depuis fort longtemps. Le texte de cette comédie, « fixé » par l’édition imprimée, c’est-à-dire le document de travail, est « retravaillé », non pas par l’auteur en fonction d’une création, mais par l’acteur lui-même ou par le groupe d’acteurs préparant la reprise. Les notes sur l’imprimé laissent clairement apparaître qu’aucun rôle n’est privilégié par rapport à un autre. Il ne peut donc s’agir d’un manuscrit de souffleur, ni d’un rôle distribué à un acteur et travaillé au cours d’une répétition privée. Les notes concernent en effet l’ensemble de la pièce et de ses personnages. Ce n’est pas non plus une pièce « raccommodée » par un littérateur dans la mesure où, si le texte est altéré, il comporte une nouvelle mise en espace et mise en jeu, ainsi que des indications sur les entrées, les sorties et les placements des acteurs. Bien que ce document ne constitue pas en soi une découverte majeure puisque, comme nous l’avons suggéré, la Comédie-Française conserve de nombreux imprimés annotés, sa seule existence laisse supposer que, si les acteurs participaient bien à la mise en œuvre de la pièce – ce qui est évident –, ils pouvaient donner leur propre interprétation du texte et donc avoir un « projet artistique » en tête au moment des reprises qui, de fait, doivent être examinées si l’on veut comprendre comment l’on adaptait une pièce au XVIIIe siècle.
La problématique qui s’offre au chercheur est alors celle de l’articulation entre texte (présence matérielle), organisation du spectacle (la manière de s’y prendre) et pensée de la mise sur la scène (la conception artistique) à une époque où les rôles au sein de la Comédie-Française ne sont pas clairement établis ou nécessairement définis. Il n’existe pas en effet, au XVIIIe siècle, de personne dont la fonction serait expressément celle de préparer un projet artistique une fois la pièce soumise au comité de lecture et approuvée par celui-ci. Personne ne signe explicitement de « mise en scène » ou ne semble décider seul de la production finale. Les tâches des sociétaires (non des employés de la Comédie-Française) sont d’ailleurs interchangeables. L’on est tantôt semainier, tantôt chargé de veiller au luminaire et à l’approvisionnement du bois de chauffage, etc. Chacun est impliqué dans la vie quotidienne du théâtre dont l’esprit collégial et les responsabilités collectives en permettent le fonctionnement, quand bien même certaines rivalités et jalousies entre acteurs sont particulièrement exacerbées comme en témoignent les querelles entre Mlle Clairon et Mlle Dumesnil, entre Mlle Sainval et Mme Vestris ou entre Molé, Préville et Lekain.
Les métiers du théâtre sont, quant à eux, délimités et divisés au sein de l’entreprise : personnel assurant la bonne tenue ou la sûreté du spectacle (suisses, gardes en factions et pompiers), petit personnel contrôlant les billets tels les ouvreuses, les receveurs et le caissier (« receveur des premières places », « receveur au parterre », « receveuses des billets et contremarques »), gagistes (tailleurs, perruquiers, machinistes, menuisier, ferblantier, illuminateur, garçons de théâtre, garçon tapissier), artistes tels les danseurs ou les musiciens. Ces employés sont rattachés à la Comédie mais n’ont pas de pouvoir décisionnaire. Ils exécutent les ordres donnés par les sociétaires. Ainsi les décors créés, réparés ou aménagés au cours des représentations, les travaux de maçonnerie, de menuiserie, les costumes etc., sont-ils le résultat de commandes dont on ne sait véritablement, en particulier en ce qui concerne les décors ou les habits, quelle est la part de liberté « artistique » laissée à l’artisan. La représentation semble un assemblage de différentes opérations artistiques et logistiques, d’un travail manuel et pratique, fruit de directives (qui témoignent donc de choix et de partis-pris), et d’interactions et ce, à tous les niveaux, qu’il s’agisse de celui des sociétaires ou du simple maître-artisan avec ses apprentis ou ouvriers.
Les questions qui se posent sont les suivantes : comment peut-on entrevoir, à travers les traces ou plus exactement les « restes » de la mise en scène (l’organisation matérielle), une intention précise, c’est-à-dire une interprétation de la pièce dans son ensemble ? Qui décide ? Qui régit ? Qui serait susceptible de signer un véritable projet artistique au XVIIIe siècle ? Comment met-on en scène ou comment adopte-t-on une pièce tirée du répertoire dont l’auteur n’est plus ? Quel rapport existe-t-il entre le texte manuscrit et / ou imprimé, et sa mise en spectacle ? Que peut-on apprendre de la génétique théâtrale, des différentes étapes allant de la page (le manuscrit de l’auteur) aux répétitions puis à la version scénique définitive de la pièce ? Que peut-on apprendre du lent processus créatif amenant à la première ou à une reprise ? À quel niveau intervient la troupe ou un acteur en particulier ? Peut-on restituer ou reconstruire une mise en scène dans sa globalité ?
L’organisation de la Comédie-Française au XVIIIe siècle nous semble capitale pour comprendre ce que pouvait être la préparation d’une pièce avant l’ère de la mise en scène. Elle a une incidence sur la manière dont on appréhende la programmation des pièces (qu’elles soient nouvelles ou tirées du « fonds » de la Comédie), dont on prépare une reprise ou une première, dont on planifie les répétitions. Si l’on revient à la mise en scène de la pièce de Brecht par Michael Rothhaar et à ce qu’elle a d’instructif, on notera une chose essentielle : la progressive réalisation de la représentation par les acteurs laisse entendre que le jeu et les placements se font en fonction de l’espace dans lequel va s’actualiser la pièce. Il semble ainsi que la logique veut que l’on ne parte pas forcément de l’étude du rôle pour aboutir à une mise en espace, une mise en jeu, bref à une mise en scène globale (qui pourrait manquer d’harmonie au moment de la première). Cette construction particulière de la mise en scène voulue par Rothhaar, amène à repenser ce que pouvaient être les répétitions au XVIIIe siècle. L’idée émise par John Golder (21) , que l’étude exclusivement individuelle et solitaire, voire avec son partenaire, serait complétée, par la suite par quelques répétitions générales où les acteurs tâcheraient de lier vaille que vaille les scènes les unes aux autres ne paraît pas aller de soi et est peut-être à nuancer. En effet, mettre en scène la pièce requiert ici, apparemment, un travail différent : l’adaptation, non pas du lieu au texte et à ses constituants tels les personnages et leurs répliques, mais inversement du texte au lieu théâtral, c’est-à-dire ce que l’on peut ou ne peut se permettre de faire, en fonction des moyens et de l’espace dont on dispose, mais aussi en fonction des contingences ou d’aspects purement pratiques qui correspondraient, au XVIIIe siècle, à la durée maximale d’une représentation à la Comédie-Française par exemple qui ne pouvait excéder trois heures, que cela soit parce que le parterre, jusqu’en 1782, reste debout et ne peut donc endurer un spectacle interminable, pour des raisons économiques telles les frais des luminaires, ou encore humaines telles la mémorisation de textes trop longs. Toutes ces données agissent simultanément sur ce que pouvait être la mise en scène. Ainsi la durée totale de la représentation théâtrale avait-t-elle une influence sur la longueur des pièces ? Délimitait-t-elle le nombre de vers ou de lignes à ne pas dépasser par pièce, si l’on considère que l’on programmait une petite et une grande pièce ? Comment adaptait-on le texte aux exigences de la scène ?
Le « modèle » Rothhaar montre que l’on peut aller de la scène et de la vie du théâtre au texte puis du texte à sa mise en jeu et à son adaptation à la scène. Prétendre que la mise en scène peut se faire de façon totalement autonome à partir d’un « modèle imaginaire » (pour reprendre le mot de Diderot), ne nous semble pas prudent, surtout en ce qui concerne le XVIIIe siècle. Affirmer que les représentations étaient inévitablement vouées à une certaine anarchie ou manquaient totalement d’harmonie nous paraît exagéré. Les troupes des théâtres privilégiés étaient en effet composées d’acteurs professionnels. En outre, la gestion du théâtre étant, en soi, très complexe comme en témoignent les multiples commandes, registres, et pièces programmées, on imagine mal les acteurs incapables de s’organiser pour répéter, pour préparer leur rôle ou prévoir des effets scéniques. Insistons sur le fait que la Comédie-Française n’a jamais connu une ruine totale et ne s’est jamais arrêtée complètement de fonctionner jusqu’en 1793 (si ce n’est les quelques jours de relâche dus à des fêtes ou des événements fortuits comme par exemple les deuils successifs qu’a connus la famille royale ou la compagnie). N’oublions pas aussi qu’elle assurait le service de la Cour à Fontainebleau ou à Versailles. Bien entendu, penser, inversement, que toute production était parfaite serait faire preuve de naïveté.
La méthode Rotthaar se fonde sur un certain empirisme. Il détermine en premier lieu les grandes lignes du spectacle, les placements, les jeux de scène, pour ensuite affiner le jeu et pousser les acteurs à jouer en quelque sorte en situation réelle (avec les bons costumes, le « vrai » décor, tous les accessoires, qu’ils soient absolument nécessaires ou non au bon déroulement de la représentation). Elle montre qu’une pièce sans aucune concertation ou répétition ne pourrait vraisemblablement pas être viable ou tenable parce qu’elle n’aurait aucune continuité ni aucune cohérence elle ne serait pas le fait de professionnels. Elle suggère, en outre, qu’il faut un « leader » expérimenté, qui soit moins « répétiteur » que maître d’œuvre, et qui soit capable de guider les acteurs, ou de fédérer les différentes « visions » de la mise en scène. L’organisation matérielle du spectacle peut être répartie entre les acteurs comme il est apparu. Il faut ainsi un minimum d’entente entre acteurs mais aussi d’organisation. Cela ne veut pas dire qu’une pièce ne nécessite qu’un simple travail de placements. Au contraire, les acteurs sont tenus, une fois la mise en scène choisie et déterminée, de « façonner » leur rôle et les scènes de manière à ne pas rester « approximatifs » quand bien même ils conserveraient une certaine part de liberté dans leurs gestes et interprétation du personnage.
Les archives de la Comédie-Française, de la Bibliothèque nationale de France et des Archives nationales incluent des lettres adressées aux acteurs trublions ou fautifs lors des représentations, des mises en garde contre les retardataires (certains s’autorisent à manquer leur entrée ou à arriver au théâtre, une fois le premier acte commencé) et des amendes infligées aux acteurs récalcitrants, absents aux répétitions ou peu attentifs à leur rôle. Nous avons en outre montré dans une précédente étude que les acteurs avaient tendance à négliger l’écoute (22) . D’après certains témoignages de spectateurs, quelques actrices galantes se laissaient distraire par les loges ou par les polissonneries des petits marquis. D’autres comédiens se voyaient interrompus par le public, avaient des trous de mémoire ou ne savaient leur texte que de manière approximative comme le suggèrent les anecdotes dramatiques du temps. Tous ces paramètres, tels que l’attitude du public, l’espace scénique, l’organisation du théâtre, les responsabilités individuelles ou collectives, les choix artistiques des sociétaires, forment un cadre à la mise en scène et en déterminent les tenants et les aboutissants.
Le présent ouvrage se veut une étude globale de la « mise en scène » pré-moderne à la Comédie-Française entre 1680, date de la création de celle-ci, et 1815, date de l’inventaire du Théâtre Français (Odéon) et du Théâtre de la République (23) . Nous nous pencherons plus particulièrement sur la période allant de 1765 à 1793, dans la mesure où le secrétaire-souffleur Delaporte, très méticuleux et très méthodique, joue un rôle essentiel au sein du théâtre, mais aussi parce que la majorité des imprimés sont annotés par lui, sa petite écriture ronde et soignée étant facilement reconnaissable. Nous souhaitons montrer comment peuvent être ébauchées, en creux, la figure et la présence du « maître d’œuvre » selon le mot d’Anne Ubersfeld (quand bien même serait-il protéiforme), sinon d’une « pensée » collective et d’une véritable gestion en ce qui concerne la production du spectacle et du spectaculaire au XVIIIe siècle.
La première partie met en contexte la mise en scène. Le premier chapitre définit ce que l’on entend par « mise en scène » aux XVIIIe et XIXe siècles, tâchant d’en délimiter les différents lieux : émergence de l’expression « mise en scène » (champ lexical et sémantique) ; mise en scène en filigrane dans les écrits théoriques et critiques du temps mais aussi à travers les recueils d’anecdotes et les témoignages de spectateurs ou de journalistes. Le deuxième chapitre évalue les rapports entre texte et représentation, de même qu’entre texte et édition, passant en revue les comptes rendus de la Correspondance de Grimm, les divers imprimeurs et dates d’édition des pièces les plus souvent jouées à la Comédie-Française. Le troisième chapitre se fonde sur l’ouvrage d’Alexandre Joannidès (24) . La notion de répertoire y est discutée mais aussi la manière dont ce dernier s’est constitué. Le théâtre français de Jean-François Regnard sert de cas d’étude dans la mesure où il fait partie du répertoire au XVIIIe siècle. Nous avons recours aux statistiques afin de donner un panorama de l’évolution des genres théâtraux et de la programmation des XVIIIe et XIXe siècles. Sont ainsi examinés le nombre de nouveautés, le nombre d’auteurs dont les pièces sont mises à l’affiche, le nombre de pièces jouées annuellement. Ceci amène à analyser la programmation de manière plus précise : les saisons 1773-1774 et 1774-1775 sont alors mises en lumière.
La génétique de la mise en scène ainsi que son herméneutique sont abordées dans la deuxième partie : mise à l’étude, mise en forme et système de l’annotation utilisé par les souffleurs et acteurs à partir des années 1760. Il s’agit d’explorer tout ce qui a trait à la production des comédies et plus généralement des pièces jouées au XVIIIe siècle à la Comédie-Française, qu’elles soient nouvelles ou non. Les enjeux liés aux différents états du texte sont dévoilés afin de mieux comprendre le processus créatif, de la lecture de la pièce à sa réception par la troupe, puis des répétitions aux représentations, voire aux reprises. C’est ainsi toutes les étapes de la fabrication de la pièce qui sont passées en revue, notamment l’évolution et les changements perceptibles dans les versions conservées à la Bibliothèque-musée de la Comédie-Française tels que les coupures, les altérations, les corrections à la mine de plomb, la réorganisation des scènes et leur liaison, les indications scéniques. La pièce apparaît comme une juxtaposition de « pièces ». Les affiches, la présence de becquets et de collés sur les manuscrits de souffleurs, l’ajout de feuilles dans le livre imprimé, mais aussi les copies de rôles forment en effet un ensemble composite. La pièce est donc en morceaux avant de trouver son unification sur la scène parce qu’elle est mise « en pièces ». C’est ainsi qu’apparaît le véritable sens de la mise en scène qui mène à la réalisation de tous ces fragments en une forme achevée, une, et dans une certaine mesure, unique. La mise en temps et la mise en espace, leurs spécificités, sont aussi abordées, à travers notamment l’organisation des représentations, la durée des pièces, la vitesse de la déclamation.
La dernière partie de cet ouvrage est consacrée à la conduite de la pièce (c’est-à-dire à la mise en jeu proprement dite, l’agencement spatial du plateau, la mise en « place » – position des acteurs et signification des placements, déplacements et mouvements sur la scène, entrées, sorties, fausses sorties), et aux interprétations scéniques des acteurs lors de reprises. Le deuxième chapitre examine la mise sur la scène, étape ultime de la mise en scène, en particulier la mise en espace. Un dernier élément intéresse la problématique de la mise en scène avant la mise en scène : la scénographie. Faut-il croire que le décor est ajusté au texte ou le texte aux décors dont on dispose ? L’analyse des mémoires de Paul Brunetti et des machinistes permet de répondre à cette question. Enfin la mise en « habits » (tensions entre vêtements d’antan et habits contemporains dans le comique), et la prise de distance avec les traditions donnent une idée de ce à quoi pouvait ressembler la mise en scène au XVIIIe siècle et quelle en a été finalement l’esthétique.
Notes
1. Voir : http://www.pacificresidenttheatre.com/.
2. Michael Rothhaar est un acteur professionnel qui a débuté sa carrière en 1975. Il s’est spécialisé dans la mise en scène depuis 1985. Il a reçu en 1997 le « Los Angeles Drama Critics Circle Award » ainsi que le « Drama Logue Award for Outstanding Lead Performance in Ardèle », et le « Drama Logue Award in Direction for Ms Warren’s Profession. » Il a aussi joué dans des spectacles à Broadway et a été le directeur artistique de la Pennsylvania’s Allenberry Playhouse de 1987 à 1992. Il enseigne également le théâtre et l’art du discours à Valley College, San Bernardino (État-Unis, CA).
3. « En conséquence de cette disposition, les Comediens François ont obtenu des lettres-patentes le 11 Août 1761, qui ont été enregistrées par le parlement de Paris le 7 Septembre de la meme année, pour etre executées selon leur forme & teneur […]. Depuis l’enregistrement de ces lettres-patentes, les Comediens Francois forment une societe legalement établie dans la capitale. Auparavant ils n’existoient qu’en vertu d’ordres du roi & de traités particuliers. Maintenant leur existence est appuyee sur les titres que les lois exigent pour donner a un corps ou a une communaute, un état legal. » (Guyot, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence civile, criminelle, canonique et bénéficiale, Paris, Visse, 1784, t. 4, p. 15).
4. Les théâtres de province, de même que les théâtres non officiels, fonctionnent différemment comme le suggère Jacques-Thomas Mague de Saint-Aubin dans sa Réforme des théâtres (1787). Le directeur est en effet responsable de la programmation, il recrute lui-même les acteurs, le plus souvent annuellement. Voir : Jacques-Thomas Mague Saint-Aubin, La Réforme des théâtres ou Vues d’un amateur, Paris, Guyot, 1787, chapitre I.
5. Ils font actuellement l’objet de la thèse de Cécile Couraud, sous la direction du Professeur Catherine Naugrette (Université de Paris-Sorbonne Nouvelle).
6. Voir par exemple les ouvrages de Georges Forestier sur la génétique cornélienne et sur les passions tragiques, et l’édition de la Pratique du théâtre de l’abbé d’Aubignac par Hélène Baby (parue chez Honoré Champion en 2001).
7. Voir John Lough, Paris Theatre Audiences in the Seventeenth and Eighteenth Centuries, London / Oxford University Press, 1957 ; Henri Lagrave, Le Théâtre et le Public à Paris de 1715 à 1750, Paris, Librairie C. Klincksiek, 1972 ; Jeffrey Ravel, The Contested Parterre, Public Theater and French Political Culture, 1680-1791, Ythaca, New York, Cornell University Press, 1999.
8. Voir en particulier nos ouvrages : L’Art du comédien, Déclamation et jeu scénique en France à l’âge classique, 1629-1680, Paris, Honoré Champion, 2001 ; Sept Traités sur le jeu du comédien et autres textes. De l’action oratoire à l’art dramatique (1657-1750), Paris, Honoré Champion, 2001 ; Écrits sur l’art théâtral, Paris, Honoré Champion, 2005, 2 vol. et La Philosophie de l’Acteur. La dialectique de l’intérieur et de l’extérieur dans les écrits sur l’art théâtral français, 1738-1801, Paris, Honoré Champion, 2007. Voir aussi : Julia Gros-de Gasquet, En disant l’alexandrin, l’acteur tragique et son art, XVIIe-XXe siècles, Paris, Honoré Champion, 2006. Voir aussi Pierre Pasquier, « Déclamation dramatique et actio oratoire à l’âge classique en France », (in) L’Acteur en son métier, Didier Souiller et Philippe Baron (éd.), Dijon, éd. Université de Dijon, 1997, p. 143-163, et Roger Herzel, « Le ‘jeu’ naturel de Molière et de sa troupe », Dix-septième siècle)i, 132, 1981, p. 279-284.
9. Thèse sous la direction du Professeur Christian Biet (Université de Paris X-Nanterre).
10. i[L’Espace et la scène : dramaturgie de la tragédie française, 1691-1759, Oxford, Voltaire Foundation, coll., SVEC, 2008, 11, et « ‘Lekain, maître de la scène’: la mise en scène à la lumière d’un manuscrit de l’acteur », (in) La Fabrique du théâtre. Avant la mise en scène (1650-1880), Pierre Frantz et Mara Fazio (dir.), Paris, Desjonquères, 2010, p. 217-227.
11. Tiffany Stern, Rehearsal from Shakespeare to Sheridan, Oxford, OUP, 2000.
12. Voir leurs ouvrages dans la bibliographie.
13. “Rehearsals at the Comédie-Française in the late eighteenth century”, British Journal of Eighteenth-Century Studies, vol. 30, no3, 2007, p. 325-361.
14. « Le plateau à l’œuvre : du manuscrit de souffleur au relevé de mise en scène (XVIIe-XXIe siècles) », (in) « Mémoires de l’éphémère », Revue d’Histoire du Théâtre, 1, 2008, p. 5-12, et « “Souffler n’est pas jouer” : Pratiques et représentations du copiste-souffleur (1680-1850) », (in) La Fabrique du théâtre. Avant la mise en scène, op. cit., p. 51-69.
15. Patrice Pavis, La Mise en scène contemporaine. Origines, tendances, perspectives, Paris, Armand Colin, 2007, p. 16.
16. Thomas Postlewait, article « Mise-en-scène », (in) The Oxford Encyclopedia of Theatre and Performance, Oxford, OUP, 2003, p. 863.
17. Anne Ubersfeld, Les Termes clés de l’analyse de théâtre, Paris, Seuil, 1996, p. 54.
18. « L’apparition des termes “mise en scène” et “metteur en scène” dans le vocabulaire dramatique français », (in) La Fabrique du théâtre. Avant la mise en scène, op. cit., p. 19-31 et « La ‘naissance’ de la mise en scène et sa théorisation », (in) Les Arts de la scène à l’épreuve de l’histoire : les outils et les méthodes de l’historiographie des spectacles produits sur la scène française (1635-1906), Roxane Martin et Marina Nordera (dir.), Paris, Honoré Champion, 2011, p. 155-172.
19. Roxane Martin, La Féerie romantique sur les scènes parisiennes. 1791-1864, Paris, Honoré Champion, 2007.
20. Jacqueline Razgonikoff, Journal des Trois Théâtres, n°18, janv. 2006, p. 30.
21. John Golder, “Rehearsals at the Comédie-Française…” , op. cit. Les répétitions ont été présentées comme étant généralement une étude solitaire du rôle chez soi (« self-study ») ou guidée par un acteur chevronné lorsque l’on était un acteur « en formation », qui était suivie de peu de répétitions collectives, faute de temps, parce que l’on ne voyait pas l’absolue nécessité de se regrouper pour jouer à la perfection une pièce dont on ne savait si elle serait ou non un succès, ou parce que les acteurs vedettes privilégiaient certaines scènes importantes où ils pouvaient parader et refusaient en quelque sorte de « perdre leur temps » à assister aux différents filages (d’où le besoin de réglementer les répétitions et instituer le système des amendes à l’encontre des acteurs n’y ayant pas assisté). les représentations manquant d’harmonie et d’ensemble on a déduit que la générale ou la première représentation était en réalité le lieu où l’acteur répétait véritablement son rôle et s’exerçait. Tiffany Stern conclut aussi, dans son étude sur les répétitions, au sujet de la production d’une pièce dans la seconde moitié du XVIIIe siècle (en particulier à Drury Lane, sous la houlette de Garrick), que les acteurs travaillaient uniquement leur rôle individuellement et non la pièce dans son ensemble, et donc qu’il n’existait pas même une pensée de la mise en scène, si ce n’est une pensée de la « théâtralisation » du texte (réécriture de passages trop littéraires).
22. La Philosophie de l’Acteur, op. cit., chapitre II.
23. La troupe de la Comédie-Française s’était scindée en deux au moment de la Révolution.
24. Alexandre Joannidès, La Comédie-Française de 1680 à 1900, Paris, Plon-Nourrit, 1900.
2. Michael Rothhaar est un acteur professionnel qui a débuté sa carrière en 1975. Il s’est spécialisé dans la mise en scène depuis 1985. Il a reçu en 1997 le « Los Angeles Drama Critics Circle Award » ainsi que le « Drama Logue Award for Outstanding Lead Performance in Ardèle », et le « Drama Logue Award in Direction for Ms Warren’s Profession. » Il a aussi joué dans des spectacles à Broadway et a été le directeur artistique de la Pennsylvania’s Allenberry Playhouse de 1987 à 1992. Il enseigne également le théâtre et l’art du discours à Valley College, San Bernardino (État-Unis, CA).
3. « En conséquence de cette disposition, les Comediens François ont obtenu des lettres-patentes le 11 Août 1761, qui ont été enregistrées par le parlement de Paris le 7 Septembre de la meme année, pour etre executées selon leur forme & teneur […]. Depuis l’enregistrement de ces lettres-patentes, les Comediens Francois forment une societe legalement établie dans la capitale. Auparavant ils n’existoient qu’en vertu d’ordres du roi & de traités particuliers. Maintenant leur existence est appuyee sur les titres que les lois exigent pour donner a un corps ou a une communaute, un état legal. » (Guyot, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence civile, criminelle, canonique et bénéficiale, Paris, Visse, 1784, t. 4, p. 15).
4. Les théâtres de province, de même que les théâtres non officiels, fonctionnent différemment comme le suggère Jacques-Thomas Mague de Saint-Aubin dans sa Réforme des théâtres (1787). Le directeur est en effet responsable de la programmation, il recrute lui-même les acteurs, le plus souvent annuellement. Voir : Jacques-Thomas Mague Saint-Aubin, La Réforme des théâtres ou Vues d’un amateur, Paris, Guyot, 1787, chapitre I.
5. Ils font actuellement l’objet de la thèse de Cécile Couraud, sous la direction du Professeur Catherine Naugrette (Université de Paris-Sorbonne Nouvelle).
6. Voir par exemple les ouvrages de Georges Forestier sur la génétique cornélienne et sur les passions tragiques, et l’édition de la Pratique du théâtre de l’abbé d’Aubignac par Hélène Baby (parue chez Honoré Champion en 2001).
7. Voir John Lough, Paris Theatre Audiences in the Seventeenth and Eighteenth Centuries, London / Oxford University Press, 1957 ; Henri Lagrave, Le Théâtre et le Public à Paris de 1715 à 1750, Paris, Librairie C. Klincksiek, 1972 ; Jeffrey Ravel, The Contested Parterre, Public Theater and French Political Culture, 1680-1791, Ythaca, New York, Cornell University Press, 1999.
8. Voir en particulier nos ouvrages : L’Art du comédien, Déclamation et jeu scénique en France à l’âge classique, 1629-1680, Paris, Honoré Champion, 2001 ; Sept Traités sur le jeu du comédien et autres textes. De l’action oratoire à l’art dramatique (1657-1750), Paris, Honoré Champion, 2001 ; Écrits sur l’art théâtral, Paris, Honoré Champion, 2005, 2 vol. et La Philosophie de l’Acteur. La dialectique de l’intérieur et de l’extérieur dans les écrits sur l’art théâtral français, 1738-1801, Paris, Honoré Champion, 2007. Voir aussi : Julia Gros-de Gasquet, En disant l’alexandrin, l’acteur tragique et son art, XVIIe-XXe siècles, Paris, Honoré Champion, 2006. Voir aussi Pierre Pasquier, « Déclamation dramatique et actio oratoire à l’âge classique en France », (in) L’Acteur en son métier, Didier Souiller et Philippe Baron (éd.), Dijon, éd. Université de Dijon, 1997, p. 143-163, et Roger Herzel, « Le ‘jeu’ naturel de Molière et de sa troupe », Dix-septième siècle)i, 132, 1981, p. 279-284.
9. Thèse sous la direction du Professeur Christian Biet (Université de Paris X-Nanterre).
10. i[L’Espace et la scène : dramaturgie de la tragédie française, 1691-1759, Oxford, Voltaire Foundation, coll., SVEC, 2008, 11, et « ‘Lekain, maître de la scène’: la mise en scène à la lumière d’un manuscrit de l’acteur », (in) La Fabrique du théâtre. Avant la mise en scène (1650-1880), Pierre Frantz et Mara Fazio (dir.), Paris, Desjonquères, 2010, p. 217-227.
11. Tiffany Stern, Rehearsal from Shakespeare to Sheridan, Oxford, OUP, 2000.
12. Voir leurs ouvrages dans la bibliographie.
13. “Rehearsals at the Comédie-Française in the late eighteenth century”, British Journal of Eighteenth-Century Studies, vol. 30, no3, 2007, p. 325-361.
14. « Le plateau à l’œuvre : du manuscrit de souffleur au relevé de mise en scène (XVIIe-XXIe siècles) », (in) « Mémoires de l’éphémère », Revue d’Histoire du Théâtre, 1, 2008, p. 5-12, et « “Souffler n’est pas jouer” : Pratiques et représentations du copiste-souffleur (1680-1850) », (in) La Fabrique du théâtre. Avant la mise en scène, op. cit., p. 51-69.
15. Patrice Pavis, La Mise en scène contemporaine. Origines, tendances, perspectives, Paris, Armand Colin, 2007, p. 16.
16. Thomas Postlewait, article « Mise-en-scène », (in) The Oxford Encyclopedia of Theatre and Performance, Oxford, OUP, 2003, p. 863.
17. Anne Ubersfeld, Les Termes clés de l’analyse de théâtre, Paris, Seuil, 1996, p. 54.
18. « L’apparition des termes “mise en scène” et “metteur en scène” dans le vocabulaire dramatique français », (in) La Fabrique du théâtre. Avant la mise en scène, op. cit., p. 19-31 et « La ‘naissance’ de la mise en scène et sa théorisation », (in) Les Arts de la scène à l’épreuve de l’histoire : les outils et les méthodes de l’historiographie des spectacles produits sur la scène française (1635-1906), Roxane Martin et Marina Nordera (dir.), Paris, Honoré Champion, 2011, p. 155-172.
19. Roxane Martin, La Féerie romantique sur les scènes parisiennes. 1791-1864, Paris, Honoré Champion, 2007.
20. Jacqueline Razgonikoff, Journal des Trois Théâtres, n°18, janv. 2006, p. 30.
21. John Golder, “Rehearsals at the Comédie-Française…” , op. cit. Les répétitions ont été présentées comme étant généralement une étude solitaire du rôle chez soi (« self-study ») ou guidée par un acteur chevronné lorsque l’on était un acteur « en formation », qui était suivie de peu de répétitions collectives, faute de temps, parce que l’on ne voyait pas l’absolue nécessité de se regrouper pour jouer à la perfection une pièce dont on ne savait si elle serait ou non un succès, ou parce que les acteurs vedettes privilégiaient certaines scènes importantes où ils pouvaient parader et refusaient en quelque sorte de « perdre leur temps » à assister aux différents filages (d’où le besoin de réglementer les répétitions et instituer le système des amendes à l’encontre des acteurs n’y ayant pas assisté). les représentations manquant d’harmonie et d’ensemble on a déduit que la générale ou la première représentation était en réalité le lieu où l’acteur répétait véritablement son rôle et s’exerçait. Tiffany Stern conclut aussi, dans son étude sur les répétitions, au sujet de la production d’une pièce dans la seconde moitié du XVIIIe siècle (en particulier à Drury Lane, sous la houlette de Garrick), que les acteurs travaillaient uniquement leur rôle individuellement et non la pièce dans son ensemble, et donc qu’il n’existait pas même une pensée de la mise en scène, si ce n’est une pensée de la « théâtralisation » du texte (réécriture de passages trop littéraires).
22. La Philosophie de l’Acteur, op. cit., chapitre II.
23. La troupe de la Comédie-Française s’était scindée en deux au moment de la Révolution.
24. Alexandre Joannidès, La Comédie-Française de 1680 à 1900, Paris, Plon-Nourrit, 1900.