" On ne vous a jamais reproché d’avoir de l’art : il faudrait être en démence. On vous a reproché de n’en avoir pas assez pour le faire oublier, si la chose est praticable, et d’être tout art. On vous a reproché de laisser toujours percer la grande actrice dans votre jeu si fini. Quelque parfait que soit l’art, il ne peut jamais remplacer absolument la nature, qui, au milieu de la nécessité de quelque secours de l’art, était celui de Dumesnil. On a dit que vous n’aviez pas reçu de la nature, malgré tous vos avantages, ce degré de sensibilité qui fait disparaître l’art. En effet c’est à quoi vous n’avez jamais pu parvenir, et c’est ce point de perfection que Dumesnil a toujours atteint sans le plus petit effort. La nature, si prodigue envers vous, vous avait refusé ce foyer de sensibilité intérieure et profonde, dont les explosions font tout à coup évanouir jusqu’aux apparences du travail, et complètent l’illusion théâtrale "(1) .
Selon Mlle Dumesnil, la principale faiblesse du jeu de Mlle Clairon est l’absence de don au pathétisme, pourtant capital dans le genre tragique, l’acteur devant exprimer avec force les sentiments de personnages pris dans la tourmente de situations éprouvantes et émouvantes. Les critiques adressées à l’encontre de sa rivale dénoncent le manque de sensibilité qui ne permet pas de contrebalancer cet artifice qu’est l’art. Ainsi Mlle Dumesnil, dans sa conception du jeu, ne méprise nullement la nécessité d’art au théâtre, ni ne se méprend sur les avantages qu’apporte celui-ci à la scène. L’alliance art et nature, et la tempérance de l’un par l’autre, semblent donc primordiales. Mlle Dumesnil va ainsi à l’encontre des théories de Mlle Clairon (qui dénie à la sensibilité toute vertu et qui ne tolère pas l’intrusion d’un élément étranger ― instinctif ― à l’étudié) mais aussi de François Riccoboni qui dès 1750 dans son Art du Théâtre préfigurait les positions de Diderot dans ses Observations en prétendant à une absolue insensibilité, c’est-à-dire imperméabilité, de l’acteur à son rôle :
" L’on appelle expression, l’adresse par laquelle on fait sentir au Spectateur tous les mouvements dont on veut paraître pénétré. Je dis que l’on veut le paraître, & non pas que l’on est pénétré véritablement. (…) Lorsqu’un Acteur rend avec la force nécessaire les sentiments de son rôle, le Spectateur voit en lui la plus parfaite image de la vérité. Un homme qui serait vraiment en pareille situation, ne s’exprimerait pas d’une autre manière, & c’est jusqu’à ce point qu’il faut porter l’illusion pour bien jouer. Étonnés d’une si parfaite imitation du vrai, quelques-uns l’ont prise pour la vérité même, & ont cru l’Acteur affecté du sentiment qu’il représentait. (…) Bien loin que je me sois jamais rendu à cet avis, qui est presque généralement reçu, il m’a toujours paru démontré que si l’on a le malheur de ressentir véritablement ce que l’on doit exprimer, on est hors d’état de jouer "(2) .
Selon François Riccoboni, l’acteur n’est pas tenu de ressentir le sentiment mais seulement de le rendre, c’est-à-dire de se limiter au principe de ressemblance en se soumettant à l’esthétique traditionnelle de l’actio qui défend d’adhérer à la passion afin de garder un empire absolu sur soi-même et a fortiori sur le discours. La thèse défendue par Riccoboni fils à une période où le renouveau esthétique en matière de jeu point, semble tout droit émanée de la vieille « Querelle sur la Moralité du Théâtre », l’acteur se faisant un devoir, sinon un plaisir, de contredire ses détracteurs en s’affirmant distinct du caractère joué, et en prétendant à une non-participation effective à la passion représentée. Cependant ici l’argumentation de Riccoboni se pose en regard de la i [doxa]i. L’acteur se place en porte-à-faux avec l’opinion reçue qui, par l’exemplarité même d’acteurs comme Mlle Dumesnil (l’actrice débute en 1737 à la Comédie-Française), mais aussi par des théories telles la Lettre sur l’enthousiasme de Shaftesbury, les Pensées sur la déclamation de Luigi Riccoboni son père, et quelques années auparavant par le Comédien de Sainte-Albine (très populaire) qui véhiculent de nouvelles idées concernant l’identification, est persuadée que l’acteur s’immerge dans la passion alors qu’il est en scène.
François Riccoboni joue ainsi les trublions dans ce mouvement de modernisation amorcé dans l’art théâtral. Polémique il y aura autour de son ouvrage et bien entendu sera-t-il cité comme excellent acteur et penseur par Diderot, ayant les mêmes positions théoriques que lui . Avec François Riccoboni le problème de l’intériorité devient soudain très complexe dans la mesure où il est, d’une part, en opposition complète avec les vues de son père, et d’autre part parce qu’il appartient à la profession, et en tant que tel, a un point de vue interne. Il a cette expérience de la scène que ne possède aucun spectateur-théoricien.
Aborder des questions esthétiques sous cet angle, c’était jeter le trouble dans la réflexion même sur ce qu’était l’Acteur et par là même lancer le débat sur la sensibilité réelle ou factice de l’acteur qui devait perdurer tout au long du XVIIIe siècle et même encore au XIXe siècle. L’intériorité de l’Acteur a donc été posée presque uniquement en termes de sensibilité, celle-ci focalisant toute l’attention des penseurs. Cependant, si l’on observe bien L’Art du théâtre et l’argumentaire développé par François Riccoboni, on peut voir en creux des éléments relatifs à l’impulsion et à l’agir de l’Acteur qui auraient pu lancer un débat d’un autre type.
Dans son chapitre sur l’expression au théâtre, François Riccoboni écrit ainsi : « Je ne dis pas qu’en jouant les morceaux de grande passion l’Acteur ne ressente une émotion très vive, c’est même ce qu’il y a de plus fatigant au Théâtre. Mais cette agitation vient des efforts qu’on est obligé de faire pour peindre une passion que l’on ne ressent pas (4) ». Il souligne, en outre, que le monde en général sert de modèle à l’acteur parce que ceux qui le composent, exceptées les personnes raffinées, « s’abandonnent plus aisément aux impressions qu’ils reçoivent (5) », car ils ne peuvent se maîtriser parfaitement. L’exemplarité du surgissement du sentiment dans sa brutalité, est, à ce titre, utile à l’acteur. L’auteur conclut que dans le genre tragique, « il faut exprimer comme le peuple et se présenter comme les grands (6) ». Il suggère ainsi que « la forte expression » est le fait du peuple. Elle est une disposition de celui-ci qui n’a pas reçu une éducation de l’Être, telle que peut l’avoir acquise l’honnête homme, qui, depuis l’enfance, cultive la maîtrise de soi.
Or la plupart des acteurs est issue d’un « terreau » populaire, et donc est représentatif d’un être dont on pourrait dire qu’il est « à fleur de peau », « à vif », de par son origine sociale et sa non éducation « sentimentale ». D’où un Être pré-disposé à représenter ces « fortes expressions » parce qu’ayant le potentiel requis pour leur donner forme avec énergie, pour leur donner de l’amplitude.
De plus, l’agitation évoquée par François Riccoboni prend le problème de la sensibilité à rebours. Certes, celle-ci est affirmée inexistante, cependant la présence d’une animation interne suggère que l’intériorité de l’acteur n’est jamais inactive (elle produit de l’émotion, un mouvement) au cours de la représentation. Elle est, au contraire, un vecteur essentiel dans la création du personnage. Ainsi François Riccoboni montre en substance que si l’acteur ne ressent pas la passion, il existe néanmoins une « subjectivité » de la personne (à défaut de ce qu’il nomme « sensibilité ») qui entre en jeu et dans le jeu. Or la subjectivité renvoie au psychisme, à l’individu dans toutes ses composantes (savoir, vécu, expérience, caractère).
L’intériorité de l’Acteur était donc posée en creux de manière détournée et aurait pu permettre la venue d’une réflexion de fond sur le concept même d’Acteur. Car il se passe bien quelque chose en l’Acteur au cours du spectacle.
Cependant seul le thème de la sensibilité a donné lieu à polémique et a occulté en partie l’intérêt que pouvait avoir une pensée du processus créateur. Le débat dérive progressivement en un affrontement entre couples antithétiques (art et nature, intelligence et sensibilité) qui traduisent en réalité, une discussion sur le Sublime théâtral.
Selon la majorité des théoriciens, l’acteur doit avoir un jeu de composition (7) , c’est-à-dire allier l’intelligence et la sensibilité : d’une part pour construire le modèle imaginaire (comprendre le texte, l’analyser, l’étudier et imaginer un personnage le plus ressemblant avec l’idéalité-texte/chose) ; d’autre part pour s’inspirer les passions de ce personnage. D’où ce précepte de Sticotti : « L’Acteur vraiment sensible sait exciter les passions qu’il éprouve lui-même. Mais si l’intelligence ne règle le sentiment, la nature toute seule ne conduit qu’un aveugle, impétueux ou tranquille mal à propos (8) . » Le jeu inspiré doit être régulé par l’intelligence au moment de la représentation théâtrale, sous peine d’avoir un déséquilibre intérieur qui produise, en retour, un personnage difforme ou inconvenant. L’acteur idéal ne semble donc jamais la proie de la sensibilité seule. Le jeu sublime naît d’une mobilisation de toutes les forces intérieures, celles-là même qui permettent un pathétique scénique touchant, agissant sur le spectateur parce qu’authentique :
" ce qu’on attend du grand Acteur, est une extrême sensibilité, jointe à une vaste intelligence, qui doit diriger cette sensibilité, de manière, qu’en déchirant son cœur, elle entre dans notre âme, qu’elle y porte le trouble, les orages, les larmes de l’amour, les fureurs de la haine, la paix, le plaisir & la félicité. Si l’Acteur n’était affecté que du sentiment vulgaire qui remue les esprits faibles, il serait souvent plus agité qu’il ne devrait l’être. S’il est pénétré d’un mouvement convenable à la passion, que le Poète a eu dessein d’exciter en nous ; alors la sensibilité, sans excéder l’intelligence, reste dans la nature, l’Acteur ne sent plus ce qu’il doit ressentir, il nous touche " (9) .
L’acteur qui sait harmoniser les rapports entre intelligence et sensibilité peut entrer dans le jeu, sans avoir à se regarder, à penser ce qu’il doit dire ou faire. D’où la formule quelque peu ambiguë « l’Acteur ne sent plus ce qu’il doit ressentir ». L’acteur qui n’a plus conscience de lui-même au moment où il joue, ne songe plus aux sentiments qu’il doit représenter ; il est tout entier à l’instant présent et à la situation scénique. Le jeu dionysiaque a donc certaines limites que doit respecter l’Acteur s’il veut rester dans les bornes de son personnage et avoir une justesse de jeu. La nature brute chez l’Acteur, dépourvue de tout gouvernail, n’est donc pas admise par Sticotti au théâtre. Son idée n’est pas, en soi, originale.
Diderot, quelques années avant la publication de Garrick ou les acteurs anglais (1769), adopte une position identique. Dans une lettre adressée à Mlle Jodin de 1766, le philosophe désire que soit établi un juste milieu entre l’intelligence et la sensibilité chez l’acteur, le trop de sensibilité ainsi que l’absence totale de sensibilité étant à exclure : « Un acteur qui n’a que du sens et du jugement est froid ; celui qui n’a que de la verve et de la sensibilité est fou. C’est un certain tempérament de bon sens et de chaleur qui fait l’homme sublime… ». Ainsi, bien avant la formulation osée des Observations sur Garrick, « C’est la sensibilité qui fait la multitude des acteurs médiocres ; c’est la sensibilité extrême qui fait les acteurs bornés ; c’est le manque de sensibilité qui fait les acteurs sublimes (10) . », le philosophe suit une ligne esthétique, qui est celle de tous les penseurs sur l’art théâtral (11) .
L’art de l’Acteur comprend ainsi et l’intelligence et la sensibilité.
Mais le débat engagé par Diderot dans ses Observations, à propos de l’ouvrage de Sticotti, concerne, au fond, moins la sensibilité que le sublime. En effet celui-ci est compris par l’acteur italien comme l’union entre le style (symbolisé par l’intelligence) et le pathétique (représenté par la sensibilité). Un passage de Garrick est très éclairant sur la manière dont Sticotti conçoit la sublimité de l’Acteur :
" Longin, dans son Traité du sublime, réfute l’orateur Cecilius, qui, ayant écrit avant lui sur le même sujet, n’avait point parlé du pathétique ; Cecilius le croyait être nécessairement une partie du sublime. On peut faire la même objection à tous ceux qui prennent la sensibilité pour une suite nécessaire du jugement. Le sublime dans le style peut, en effet, se comparer à la dignité d’un excellent Acteur, et le pathétique à la sensibilité. Le sublime & le pathétique n’ont ensemble aucun rapport nécessaire ; on voit tous les jours des Acteurs remplis de sublime manquer de pathétique ; cependant ils excellent en certains caractères. Le même Auteur observe que rien ne contribue davantage au sublime qu’un mouvement pathétique. Rien n’est plus vrai ; & nous sommes enchantés de voir un Acteur tranquille paraître tout d’un coup, & lorsqu’on s’y attend le moins, transporté d’une violente passion : la sensibilité & la dignité se prêtent mutuellement une force à laquelle rien ne résiste " (13) .
Ce passage met en évidence un débat ancien qui concerne la définition même du sublime dans le discours. D’après Cecilius le sublime dépend uniquement de l’art (la rhétorique). C’est pourquoi Sticotti mentionne cette assimilation traditionnelle de la sensibilité (le sentir) à la raison et non au cœur (le ressentir). Sur un plan théâtral la mise en œuvre du sublime tel que le conçoit Cecilius, s’apparente au respect des codes oratoires, autrement dit à un art de l’acteur fondé sur l’identification-reproduction où la technique seule ― regroupant les figures et l’expression soit les postures, les inflexions de voix et les gestes ― permet d’atteindre un haut style de jeu.
Longin considère, en revanche, que la passion naturelle, distincte néanmoins du sublime « Céciliusien » est aussi source de sublime. Elle est comparable, selon Sticotti, à la sensibilité de l’acteur .
D’où la possibilité de deux types de jeu : l’un sublime par la « dignité » de l’acteur, l’autre sublime par le pathétique.
Il est, selon Longin, un pathétique sans sublime (les passions avilies) de même qu’un sublime sans pathétique (un discours trop pompeux et trop solennel, élevé). D’où sur scène, des acteurs livrés au pur naturel (à l’instinct) et d’autres étudiés (aux talents acquis). D’où un jeu pouvant être rabaissé par l’introduction trop massive d’un prosaïsme dénué de grâce, ou un jeu pouvant paraître trop artificiel, guindé, tendant à l’emphase, voire tombant dans l’enflure pour avoir recherché trop avidement la grandeur, l’élévation (15) .
Cette séparation entre style sublime et sublime pathétique peut être conservée ou annulée. Selon Longin, puis Sticotti, l’interaction entre sensibilité et art est productive et fertile dans l’art oratoire. D’où un jeu souhaité de composition, c’est-à-dire qui allie pathétique et technique, élan et noblesse. Longin considère que ce qui ressort du naturel est supérieur à l’acquis. Aussi écrit-il : « Mais si Cécilius n’a pas du tout envisagé que le pathétique pût concourir au sublime, et si, pour cette raison, il a pensé qu’il ne valait pas la peine d’en faire mention, il s’est complètement fourvoyé. Car j’affirmerais sans crainte que rien n’est aussi magnifique que la passion généreuse, placée là où il faut, comme si, sous l’effet d’un accès de folie ou du pneuma [souffle], elle soufflait dans le délire de l’enthousiasme, et donnait aux discours une allure apollinienne (16) . »
Longin suggère ainsi qu’il existe un Sublime du sublime en quelque sorte (un sur-sublime si tant est que cette expression puisse être utilisée) qui passe par la passion « inspirée » (autrement dit le jeu dionysiaque) et qui, dans ses effets, est similaire au sublime né de l’art (autrement dit du jeu parfait). La passion naturelle dans un moment de « fureur », est transcendante et foudroyante. Elle agit directement sur la foule et obtient de celle-ci une adhésion instantanée.
Or pour Longin, la marque du sublime, est visible dans les réactions de l’auditoire, c’est pourquoi il conclut par ces mots : « En somme, voici la règle : est sûrement et vraiment sublime ce qui plaît toujours et à tous. Quand, chez des gens qui diffèrent par leurs coutumes, leurs genres de vie, leurs goûts, leurs âges, leurs langages, les avis convergent en même temps vers un seul et même point, sur les mêmes choses, chez tous, alors, issus de témoignages discordants, comme un jugement et un assentiment viennent apporter à l’objet admiré la garantie forte et incontestable (17) . » D’un point de vue scénique, on pourrait alors dire que des spectateurs – quoique d’origine sociale, de goûts, de culture, d’éducation, d’âge, de sexe différents – approuvant unanimement et instantanément le jeu de l’acteur (les applaudissements, les bravos, le brouhaha, voire le silence de stupéfaction, étant la manifestation physique de cette approbation), serait alors le témoignage de l’existence et de la présence effective d’une Sublimité de l’Acteur. Vox populi. D’où, en matière esthétique, un primat de la quantité des jugements, sur la qualité des jugements. D’où ce plébiscite constant en faveur du jeu d’âme dont les caractéristiques et les effets sont évidemment les plus proches de ce que décrit Longin.
L’acteur du sublime serait ainsi celui qui possède un même degré de technique et de passion naturelle. Il est celui qui conjugue sensibilité innée – laquelle varie d’une personne à l’autre – et qualités acquises – lesquelles supposent un temps d’apprentissage. L’Acteur sublime reste exceptionnel puisque il doit à la fois être doté d’une grande sensibilité et posséder une excellente technique, chacune d’elle devant être, de surcroît, maîtrisée . C’est pourquoi Sticotti ajoute :
" On ne doit pas s’étonner que ces qualités rares soient très inégalement départies aux Acteurs, puisque nous voyons des gens de tous les états différemment touchés d’une même passion : il est certain qu’au Parterre, où le bon sens domine sur la cabale, on applaudit généralement de beaux endroits, où chacun est frappé d’une sensation différente. De deux Acteurs à peu près d’une égale intelligence, l’un, presque sans être ému, lira le même couplet ; l’autre se sentira si fort attendri, que ses larmes & ses sanglots lui couperont la parole. Mais la perfection de l’art veut que l’Acteur s’énonce distinctement, & nous persuade à la fois qu’il est bien pénétré de ce qu’il dit ; nous voulons surtout qu’au développement de sa sensibilité bien réglée, la nôtre ne perde rien. On permet cependant à l’Acteur une faible articulation des mots, lorsqu’une extrême douleur intercepte sa voix, c’est alors une grande beauté ; on aime à voir la nature triompher des règles de l’art. Des traits de cette espèce sont au Théâtre, comme les figures dans le discours oratoire ; il ne faut pas pourtant les prodiguer : car la dignité & le pathétique trop répétés, seraient l’ouvrage de l’art & de l’affectation, plutôt que l’expression naïve du sentiment " (19) .
Le jeu doit ainsi cumuler et juguler abandon et retenue, distanciation et intériorisation. Nous nommons ce type de jeu représentant la sublimité de l’Acteur, le jeu intervallaire parce qu’alternant l’élan et la respiration ; le jeu inspiré et le jeu étudié ; le pathétique et l’art. Comme le précise lui-même Diderot, le jeu dionysiaque ne peut être que temporaire, discontinu et éphémère. Le spectacle qui voit s’épanouir un jeu d’enthousiasme ne peut être que mixte, aussi la représentation idéale est une représentation qui combine Sublime et Beau.
Le processus créatif a cette fonction. Tension de soi à soi, et de soi au personnage, il engage l’être intégralement, c’est-à-dire, aussi bien sa part instinctive qu’acquise.
Mais il se produit à l’âge des Lumières, avec la venue du jeu dionysiaque et son esthétique de l’enthousiasme, une assimilation, voire un fusionnement, entre sublime et pathétique comme si l’identification-interprétation était elle-même l’illustration des propos de Longin sur le pouvoir de la seule passion naturelle. Le portrait de l’acteur sublime évolue. Il est tout d’abord celui qui est intelligent et sensible, puis la sensibilité passant au premier plan dans les débats, il est le fait de l’acteur sensible exclusivement.
Le moment pathétique ou délire de l’acteur (la passion violente naturelle) l’emporte, dans le cœur des spectateurs, sur le discours sublime (la technique). L’élan prend ainsi progressivement le pas sur la « composition ». D’où, comme nous l’avons remarqué, une confusion entre art et nature, et ces questionnements sur la mimèsis scénique, c’est-à-dire suivre ou imiter la Nature ? C’est une des raisons pour lesquelles, nous semble-t-il, Diderot fait volte-face dans son esthétique du jeu à la fin des années 1760. Celui-ci a sans doute été irrité par le fait que Sticotti met fortement l’accent sur la sensibilité (il y consacre quatre chapitres mais ne nie pas pour autant le besoin d’art) comme si elle fût le substrat de l’art de l’Acteur, donc comme si la technique n’était que subséquente à celle-ci, subalterne et même subsidiaire. De plus, avec les ouvrages du temps relatifs à l’art théâtral se plaisant à prôner un jeu fondé sur l’élan et le sentiment (20) , se développe de plus en plus l’idée que les dispositions naturelles chez l’acteur sont premières parce qu’à l’origine du sublime, l’art n’étant alors que simple adjuvant (et les conventions même parfois inutiles).
Face à cet extrême engouement pour la sensibilité, Diderot, dans sa logique esthétique du Beau scénique, répond avec excès, évinçant la passion naturelle dans le jeu. Celui-ci doit être le fait d’un acteur insensible : « j’ai d’autres idées que l’auteur sur les qualités premières d’un grand acteur. Je lui veux beaucoup de jugement, je le veux spectateur froid et tranquille de la nature humaine ; qu’il ait par conséquent beaucoup de finesse, mais nulle sensibilité, ou, ce qui est la même chose, l’art de tout imiter (21). » Diderot exclut donc tout naturel dans le sublime – rejoignant en cela la position de Cecilius – et donc tout pathétique, si ce n’est un pathétique technique, soit artificiel et illusionniste. L’Art de l’Acteur n’est donc bien appréhendé chez Diderot qu’à travers une représentation de l’imitation (le jeu cérébral) et non de l’interprétation (jeu où intervient la subjectivité, soit la sensibilité, les entrailles de l’acteur). D’où la position très paradoxale d’un Diderot en désaccord total avec son époque, et qui, surtout, ne tient absolument pas compte : ni du jeu de composition, c’est-à-dire de cet équilibre entre sensibilité et intelligence (la passion guidée par l’art, le ressentir par le sentir) ; ni même de l’intérêt qu’est le jeu inspiré en matière d’identification et de processus créatif. Le philosophe va à l’encontre des vues modernes sur le jeu, se soustrait à l’opinion commune, qu’elle soit le fait des penseurs-spectateurs (ceux qui se disent Connaisseurs), comme de la multitude (la foule soi-disant ignorante). Le jeu dionysiaque est trop aléatoire, trop ponctuel, trop dépendant des contingences. L’acteur en enthousiasme fleure la fange ou frise les nues. Il n’est donc pas fiable. Seule la technique est à même d’assurer sa grandeur à la scène tragique. Seul l’Art est essentiel, primordial.
Pour pallier à cette absence de la passion innée dans le jeu de composition, Diderot lui substitue alors le concept de préparation (le modèle imaginaire) qui nécessite l’étude, l’imagisation et l’imaginisation du texte, la répétition, soit un travail où se mêlent conjointement l’imagination et l’intelligence. D’où un jeu fondé uniquement sur la sensibilité spirituelle (le tact) mais non sur la sensibilité de cœur : le jeu « parfait » (le jeu techniciste) est, selon Diderot, le vrai jeu « sublime ».
La controverse sur l’esthétique du jeu est loin d’être close par Diderot avec ses Observations sur une brochure intitulée Garrick ou les acteurs anglais (ni même avec la parution du Paradoxe en 1830). Tournon, Larive, Talma répondent indirectement au philosophe. Les critiques de ce dernier sont particulièrement cinglantes :
" Il (Diderot) s’écrie assez froidement : « Quel jeu plus parfait que celui de mademoiselle Clairon ? » J’avoue que je préfère le jeu sublime au jeu parfait. Ainsi, entre deux personnes destinées au théâtre, dont l’une aurait cette extrême sensibilité que j’ai définie plus haut, et l’autre une profonde intelligence, je préfèrerais sans contredit la première. Elle sera sans doute sujette à quelques écarts ; mais sa sensibilité lui inspirera ces mouvements sublimes qui saisissent le spectateur et portent le ravissement jusqu’au fond des cœurs. L’intelligence rendra l’autre froidement sage et réglée. L’une ira par-delà votre attente et votre pensée ; l’autre ne fera que les accomplir. Votre âme sera profondément émue par l’acteur inspiré ; votre esprit seul sera satisfait par l’acteur intelligent. Celui-là vous associera tellement aux émotions qu’il éprouve, qu’il ne vous laissera pas même la liberté du jugement. Celui-ci, par un jeu sage et sans reproche, vous laissera parfaitement à vous-même et vous permettra de raisonner tout à votre aise. Le premier sera le personnage lui-même, l’autre ne sera qu’un acteur qui représente le personnage. L’inspiration chez l’un suppléera souvent à l’intelligence, tandis que chez l’autre les combinaisons de l’intelligence ne suppléeront que faiblement aux effets de l’inspiration "(22) .
Avec la venue des romantiques, la supériorité est accordée à l’acteur doué de sensibilité. La passion naturelle l’emporte sur le techniciste. C’est ainsi le jeu dionysiaque, devenu jeu sublime, qui triomphera et qui permettra l’ancrage de ce nouveau concept de l’Acteur et de cette nouvelle esthétique de l’Art théâtral. Mais derrière ce débat houleux entre partisans de la sensibilité et patrons de l’insensibilité, qui tente de définir avec exactitude ce qu’est l’Acteur Sublime, se cache peut-être le nœud du problème, ce nœud gordien qui donne matière à véritablement philosopher l’Acteur : le Génie.
S. Chaouche
Selon Mlle Dumesnil, la principale faiblesse du jeu de Mlle Clairon est l’absence de don au pathétisme, pourtant capital dans le genre tragique, l’acteur devant exprimer avec force les sentiments de personnages pris dans la tourmente de situations éprouvantes et émouvantes. Les critiques adressées à l’encontre de sa rivale dénoncent le manque de sensibilité qui ne permet pas de contrebalancer cet artifice qu’est l’art. Ainsi Mlle Dumesnil, dans sa conception du jeu, ne méprise nullement la nécessité d’art au théâtre, ni ne se méprend sur les avantages qu’apporte celui-ci à la scène. L’alliance art et nature, et la tempérance de l’un par l’autre, semblent donc primordiales. Mlle Dumesnil va ainsi à l’encontre des théories de Mlle Clairon (qui dénie à la sensibilité toute vertu et qui ne tolère pas l’intrusion d’un élément étranger ― instinctif ― à l’étudié) mais aussi de François Riccoboni qui dès 1750 dans son Art du Théâtre préfigurait les positions de Diderot dans ses Observations en prétendant à une absolue insensibilité, c’est-à-dire imperméabilité, de l’acteur à son rôle :
" L’on appelle expression, l’adresse par laquelle on fait sentir au Spectateur tous les mouvements dont on veut paraître pénétré. Je dis que l’on veut le paraître, & non pas que l’on est pénétré véritablement. (…) Lorsqu’un Acteur rend avec la force nécessaire les sentiments de son rôle, le Spectateur voit en lui la plus parfaite image de la vérité. Un homme qui serait vraiment en pareille situation, ne s’exprimerait pas d’une autre manière, & c’est jusqu’à ce point qu’il faut porter l’illusion pour bien jouer. Étonnés d’une si parfaite imitation du vrai, quelques-uns l’ont prise pour la vérité même, & ont cru l’Acteur affecté du sentiment qu’il représentait. (…) Bien loin que je me sois jamais rendu à cet avis, qui est presque généralement reçu, il m’a toujours paru démontré que si l’on a le malheur de ressentir véritablement ce que l’on doit exprimer, on est hors d’état de jouer "(2) .
Selon François Riccoboni, l’acteur n’est pas tenu de ressentir le sentiment mais seulement de le rendre, c’est-à-dire de se limiter au principe de ressemblance en se soumettant à l’esthétique traditionnelle de l’actio qui défend d’adhérer à la passion afin de garder un empire absolu sur soi-même et a fortiori sur le discours. La thèse défendue par Riccoboni fils à une période où le renouveau esthétique en matière de jeu point, semble tout droit émanée de la vieille « Querelle sur la Moralité du Théâtre », l’acteur se faisant un devoir, sinon un plaisir, de contredire ses détracteurs en s’affirmant distinct du caractère joué, et en prétendant à une non-participation effective à la passion représentée. Cependant ici l’argumentation de Riccoboni se pose en regard de la i [doxa]i. L’acteur se place en porte-à-faux avec l’opinion reçue qui, par l’exemplarité même d’acteurs comme Mlle Dumesnil (l’actrice débute en 1737 à la Comédie-Française), mais aussi par des théories telles la Lettre sur l’enthousiasme de Shaftesbury, les Pensées sur la déclamation de Luigi Riccoboni son père, et quelques années auparavant par le Comédien de Sainte-Albine (très populaire) qui véhiculent de nouvelles idées concernant l’identification, est persuadée que l’acteur s’immerge dans la passion alors qu’il est en scène.
François Riccoboni joue ainsi les trublions dans ce mouvement de modernisation amorcé dans l’art théâtral. Polémique il y aura autour de son ouvrage et bien entendu sera-t-il cité comme excellent acteur et penseur par Diderot, ayant les mêmes positions théoriques que lui . Avec François Riccoboni le problème de l’intériorité devient soudain très complexe dans la mesure où il est, d’une part, en opposition complète avec les vues de son père, et d’autre part parce qu’il appartient à la profession, et en tant que tel, a un point de vue interne. Il a cette expérience de la scène que ne possède aucun spectateur-théoricien.
Aborder des questions esthétiques sous cet angle, c’était jeter le trouble dans la réflexion même sur ce qu’était l’Acteur et par là même lancer le débat sur la sensibilité réelle ou factice de l’acteur qui devait perdurer tout au long du XVIIIe siècle et même encore au XIXe siècle. L’intériorité de l’Acteur a donc été posée presque uniquement en termes de sensibilité, celle-ci focalisant toute l’attention des penseurs. Cependant, si l’on observe bien L’Art du théâtre et l’argumentaire développé par François Riccoboni, on peut voir en creux des éléments relatifs à l’impulsion et à l’agir de l’Acteur qui auraient pu lancer un débat d’un autre type.
Dans son chapitre sur l’expression au théâtre, François Riccoboni écrit ainsi : « Je ne dis pas qu’en jouant les morceaux de grande passion l’Acteur ne ressente une émotion très vive, c’est même ce qu’il y a de plus fatigant au Théâtre. Mais cette agitation vient des efforts qu’on est obligé de faire pour peindre une passion que l’on ne ressent pas (4) ». Il souligne, en outre, que le monde en général sert de modèle à l’acteur parce que ceux qui le composent, exceptées les personnes raffinées, « s’abandonnent plus aisément aux impressions qu’ils reçoivent (5) », car ils ne peuvent se maîtriser parfaitement. L’exemplarité du surgissement du sentiment dans sa brutalité, est, à ce titre, utile à l’acteur. L’auteur conclut que dans le genre tragique, « il faut exprimer comme le peuple et se présenter comme les grands (6) ». Il suggère ainsi que « la forte expression » est le fait du peuple. Elle est une disposition de celui-ci qui n’a pas reçu une éducation de l’Être, telle que peut l’avoir acquise l’honnête homme, qui, depuis l’enfance, cultive la maîtrise de soi.
Or la plupart des acteurs est issue d’un « terreau » populaire, et donc est représentatif d’un être dont on pourrait dire qu’il est « à fleur de peau », « à vif », de par son origine sociale et sa non éducation « sentimentale ». D’où un Être pré-disposé à représenter ces « fortes expressions » parce qu’ayant le potentiel requis pour leur donner forme avec énergie, pour leur donner de l’amplitude.
De plus, l’agitation évoquée par François Riccoboni prend le problème de la sensibilité à rebours. Certes, celle-ci est affirmée inexistante, cependant la présence d’une animation interne suggère que l’intériorité de l’acteur n’est jamais inactive (elle produit de l’émotion, un mouvement) au cours de la représentation. Elle est, au contraire, un vecteur essentiel dans la création du personnage. Ainsi François Riccoboni montre en substance que si l’acteur ne ressent pas la passion, il existe néanmoins une « subjectivité » de la personne (à défaut de ce qu’il nomme « sensibilité ») qui entre en jeu et dans le jeu. Or la subjectivité renvoie au psychisme, à l’individu dans toutes ses composantes (savoir, vécu, expérience, caractère).
L’intériorité de l’Acteur était donc posée en creux de manière détournée et aurait pu permettre la venue d’une réflexion de fond sur le concept même d’Acteur. Car il se passe bien quelque chose en l’Acteur au cours du spectacle.
Cependant seul le thème de la sensibilité a donné lieu à polémique et a occulté en partie l’intérêt que pouvait avoir une pensée du processus créateur. Le débat dérive progressivement en un affrontement entre couples antithétiques (art et nature, intelligence et sensibilité) qui traduisent en réalité, une discussion sur le Sublime théâtral.
Selon la majorité des théoriciens, l’acteur doit avoir un jeu de composition (7) , c’est-à-dire allier l’intelligence et la sensibilité : d’une part pour construire le modèle imaginaire (comprendre le texte, l’analyser, l’étudier et imaginer un personnage le plus ressemblant avec l’idéalité-texte/chose) ; d’autre part pour s’inspirer les passions de ce personnage. D’où ce précepte de Sticotti : « L’Acteur vraiment sensible sait exciter les passions qu’il éprouve lui-même. Mais si l’intelligence ne règle le sentiment, la nature toute seule ne conduit qu’un aveugle, impétueux ou tranquille mal à propos (8) . » Le jeu inspiré doit être régulé par l’intelligence au moment de la représentation théâtrale, sous peine d’avoir un déséquilibre intérieur qui produise, en retour, un personnage difforme ou inconvenant. L’acteur idéal ne semble donc jamais la proie de la sensibilité seule. Le jeu sublime naît d’une mobilisation de toutes les forces intérieures, celles-là même qui permettent un pathétique scénique touchant, agissant sur le spectateur parce qu’authentique :
" ce qu’on attend du grand Acteur, est une extrême sensibilité, jointe à une vaste intelligence, qui doit diriger cette sensibilité, de manière, qu’en déchirant son cœur, elle entre dans notre âme, qu’elle y porte le trouble, les orages, les larmes de l’amour, les fureurs de la haine, la paix, le plaisir & la félicité. Si l’Acteur n’était affecté que du sentiment vulgaire qui remue les esprits faibles, il serait souvent plus agité qu’il ne devrait l’être. S’il est pénétré d’un mouvement convenable à la passion, que le Poète a eu dessein d’exciter en nous ; alors la sensibilité, sans excéder l’intelligence, reste dans la nature, l’Acteur ne sent plus ce qu’il doit ressentir, il nous touche " (9) .
L’acteur qui sait harmoniser les rapports entre intelligence et sensibilité peut entrer dans le jeu, sans avoir à se regarder, à penser ce qu’il doit dire ou faire. D’où la formule quelque peu ambiguë « l’Acteur ne sent plus ce qu’il doit ressentir ». L’acteur qui n’a plus conscience de lui-même au moment où il joue, ne songe plus aux sentiments qu’il doit représenter ; il est tout entier à l’instant présent et à la situation scénique. Le jeu dionysiaque a donc certaines limites que doit respecter l’Acteur s’il veut rester dans les bornes de son personnage et avoir une justesse de jeu. La nature brute chez l’Acteur, dépourvue de tout gouvernail, n’est donc pas admise par Sticotti au théâtre. Son idée n’est pas, en soi, originale.
Diderot, quelques années avant la publication de Garrick ou les acteurs anglais (1769), adopte une position identique. Dans une lettre adressée à Mlle Jodin de 1766, le philosophe désire que soit établi un juste milieu entre l’intelligence et la sensibilité chez l’acteur, le trop de sensibilité ainsi que l’absence totale de sensibilité étant à exclure : « Un acteur qui n’a que du sens et du jugement est froid ; celui qui n’a que de la verve et de la sensibilité est fou. C’est un certain tempérament de bon sens et de chaleur qui fait l’homme sublime… ». Ainsi, bien avant la formulation osée des Observations sur Garrick, « C’est la sensibilité qui fait la multitude des acteurs médiocres ; c’est la sensibilité extrême qui fait les acteurs bornés ; c’est le manque de sensibilité qui fait les acteurs sublimes (10) . », le philosophe suit une ligne esthétique, qui est celle de tous les penseurs sur l’art théâtral (11) .
L’art de l’Acteur comprend ainsi et l’intelligence et la sensibilité.
Mais le débat engagé par Diderot dans ses Observations, à propos de l’ouvrage de Sticotti, concerne, au fond, moins la sensibilité que le sublime. En effet celui-ci est compris par l’acteur italien comme l’union entre le style (symbolisé par l’intelligence) et le pathétique (représenté par la sensibilité). Un passage de Garrick est très éclairant sur la manière dont Sticotti conçoit la sublimité de l’Acteur :
" Longin, dans son Traité du sublime, réfute l’orateur Cecilius, qui, ayant écrit avant lui sur le même sujet, n’avait point parlé du pathétique ; Cecilius le croyait être nécessairement une partie du sublime. On peut faire la même objection à tous ceux qui prennent la sensibilité pour une suite nécessaire du jugement. Le sublime dans le style peut, en effet, se comparer à la dignité d’un excellent Acteur, et le pathétique à la sensibilité. Le sublime & le pathétique n’ont ensemble aucun rapport nécessaire ; on voit tous les jours des Acteurs remplis de sublime manquer de pathétique ; cependant ils excellent en certains caractères. Le même Auteur observe que rien ne contribue davantage au sublime qu’un mouvement pathétique. Rien n’est plus vrai ; & nous sommes enchantés de voir un Acteur tranquille paraître tout d’un coup, & lorsqu’on s’y attend le moins, transporté d’une violente passion : la sensibilité & la dignité se prêtent mutuellement une force à laquelle rien ne résiste " (13) .
Ce passage met en évidence un débat ancien qui concerne la définition même du sublime dans le discours. D’après Cecilius le sublime dépend uniquement de l’art (la rhétorique). C’est pourquoi Sticotti mentionne cette assimilation traditionnelle de la sensibilité (le sentir) à la raison et non au cœur (le ressentir). Sur un plan théâtral la mise en œuvre du sublime tel que le conçoit Cecilius, s’apparente au respect des codes oratoires, autrement dit à un art de l’acteur fondé sur l’identification-reproduction où la technique seule ― regroupant les figures et l’expression soit les postures, les inflexions de voix et les gestes ― permet d’atteindre un haut style de jeu.
Longin considère, en revanche, que la passion naturelle, distincte néanmoins du sublime « Céciliusien » est aussi source de sublime. Elle est comparable, selon Sticotti, à la sensibilité de l’acteur .
D’où la possibilité de deux types de jeu : l’un sublime par la « dignité » de l’acteur, l’autre sublime par le pathétique.
Il est, selon Longin, un pathétique sans sublime (les passions avilies) de même qu’un sublime sans pathétique (un discours trop pompeux et trop solennel, élevé). D’où sur scène, des acteurs livrés au pur naturel (à l’instinct) et d’autres étudiés (aux talents acquis). D’où un jeu pouvant être rabaissé par l’introduction trop massive d’un prosaïsme dénué de grâce, ou un jeu pouvant paraître trop artificiel, guindé, tendant à l’emphase, voire tombant dans l’enflure pour avoir recherché trop avidement la grandeur, l’élévation (15) .
Cette séparation entre style sublime et sublime pathétique peut être conservée ou annulée. Selon Longin, puis Sticotti, l’interaction entre sensibilité et art est productive et fertile dans l’art oratoire. D’où un jeu souhaité de composition, c’est-à-dire qui allie pathétique et technique, élan et noblesse. Longin considère que ce qui ressort du naturel est supérieur à l’acquis. Aussi écrit-il : « Mais si Cécilius n’a pas du tout envisagé que le pathétique pût concourir au sublime, et si, pour cette raison, il a pensé qu’il ne valait pas la peine d’en faire mention, il s’est complètement fourvoyé. Car j’affirmerais sans crainte que rien n’est aussi magnifique que la passion généreuse, placée là où il faut, comme si, sous l’effet d’un accès de folie ou du pneuma [souffle], elle soufflait dans le délire de l’enthousiasme, et donnait aux discours une allure apollinienne (16) . »
Longin suggère ainsi qu’il existe un Sublime du sublime en quelque sorte (un sur-sublime si tant est que cette expression puisse être utilisée) qui passe par la passion « inspirée » (autrement dit le jeu dionysiaque) et qui, dans ses effets, est similaire au sublime né de l’art (autrement dit du jeu parfait). La passion naturelle dans un moment de « fureur », est transcendante et foudroyante. Elle agit directement sur la foule et obtient de celle-ci une adhésion instantanée.
Or pour Longin, la marque du sublime, est visible dans les réactions de l’auditoire, c’est pourquoi il conclut par ces mots : « En somme, voici la règle : est sûrement et vraiment sublime ce qui plaît toujours et à tous. Quand, chez des gens qui diffèrent par leurs coutumes, leurs genres de vie, leurs goûts, leurs âges, leurs langages, les avis convergent en même temps vers un seul et même point, sur les mêmes choses, chez tous, alors, issus de témoignages discordants, comme un jugement et un assentiment viennent apporter à l’objet admiré la garantie forte et incontestable (17) . » D’un point de vue scénique, on pourrait alors dire que des spectateurs – quoique d’origine sociale, de goûts, de culture, d’éducation, d’âge, de sexe différents – approuvant unanimement et instantanément le jeu de l’acteur (les applaudissements, les bravos, le brouhaha, voire le silence de stupéfaction, étant la manifestation physique de cette approbation), serait alors le témoignage de l’existence et de la présence effective d’une Sublimité de l’Acteur. Vox populi. D’où, en matière esthétique, un primat de la quantité des jugements, sur la qualité des jugements. D’où ce plébiscite constant en faveur du jeu d’âme dont les caractéristiques et les effets sont évidemment les plus proches de ce que décrit Longin.
L’acteur du sublime serait ainsi celui qui possède un même degré de technique et de passion naturelle. Il est celui qui conjugue sensibilité innée – laquelle varie d’une personne à l’autre – et qualités acquises – lesquelles supposent un temps d’apprentissage. L’Acteur sublime reste exceptionnel puisque il doit à la fois être doté d’une grande sensibilité et posséder une excellente technique, chacune d’elle devant être, de surcroît, maîtrisée . C’est pourquoi Sticotti ajoute :
" On ne doit pas s’étonner que ces qualités rares soient très inégalement départies aux Acteurs, puisque nous voyons des gens de tous les états différemment touchés d’une même passion : il est certain qu’au Parterre, où le bon sens domine sur la cabale, on applaudit généralement de beaux endroits, où chacun est frappé d’une sensation différente. De deux Acteurs à peu près d’une égale intelligence, l’un, presque sans être ému, lira le même couplet ; l’autre se sentira si fort attendri, que ses larmes & ses sanglots lui couperont la parole. Mais la perfection de l’art veut que l’Acteur s’énonce distinctement, & nous persuade à la fois qu’il est bien pénétré de ce qu’il dit ; nous voulons surtout qu’au développement de sa sensibilité bien réglée, la nôtre ne perde rien. On permet cependant à l’Acteur une faible articulation des mots, lorsqu’une extrême douleur intercepte sa voix, c’est alors une grande beauté ; on aime à voir la nature triompher des règles de l’art. Des traits de cette espèce sont au Théâtre, comme les figures dans le discours oratoire ; il ne faut pas pourtant les prodiguer : car la dignité & le pathétique trop répétés, seraient l’ouvrage de l’art & de l’affectation, plutôt que l’expression naïve du sentiment " (19) .
Le jeu doit ainsi cumuler et juguler abandon et retenue, distanciation et intériorisation. Nous nommons ce type de jeu représentant la sublimité de l’Acteur, le jeu intervallaire parce qu’alternant l’élan et la respiration ; le jeu inspiré et le jeu étudié ; le pathétique et l’art. Comme le précise lui-même Diderot, le jeu dionysiaque ne peut être que temporaire, discontinu et éphémère. Le spectacle qui voit s’épanouir un jeu d’enthousiasme ne peut être que mixte, aussi la représentation idéale est une représentation qui combine Sublime et Beau.
Le processus créatif a cette fonction. Tension de soi à soi, et de soi au personnage, il engage l’être intégralement, c’est-à-dire, aussi bien sa part instinctive qu’acquise.
Mais il se produit à l’âge des Lumières, avec la venue du jeu dionysiaque et son esthétique de l’enthousiasme, une assimilation, voire un fusionnement, entre sublime et pathétique comme si l’identification-interprétation était elle-même l’illustration des propos de Longin sur le pouvoir de la seule passion naturelle. Le portrait de l’acteur sublime évolue. Il est tout d’abord celui qui est intelligent et sensible, puis la sensibilité passant au premier plan dans les débats, il est le fait de l’acteur sensible exclusivement.
Le moment pathétique ou délire de l’acteur (la passion violente naturelle) l’emporte, dans le cœur des spectateurs, sur le discours sublime (la technique). L’élan prend ainsi progressivement le pas sur la « composition ». D’où, comme nous l’avons remarqué, une confusion entre art et nature, et ces questionnements sur la mimèsis scénique, c’est-à-dire suivre ou imiter la Nature ? C’est une des raisons pour lesquelles, nous semble-t-il, Diderot fait volte-face dans son esthétique du jeu à la fin des années 1760. Celui-ci a sans doute été irrité par le fait que Sticotti met fortement l’accent sur la sensibilité (il y consacre quatre chapitres mais ne nie pas pour autant le besoin d’art) comme si elle fût le substrat de l’art de l’Acteur, donc comme si la technique n’était que subséquente à celle-ci, subalterne et même subsidiaire. De plus, avec les ouvrages du temps relatifs à l’art théâtral se plaisant à prôner un jeu fondé sur l’élan et le sentiment (20) , se développe de plus en plus l’idée que les dispositions naturelles chez l’acteur sont premières parce qu’à l’origine du sublime, l’art n’étant alors que simple adjuvant (et les conventions même parfois inutiles).
Face à cet extrême engouement pour la sensibilité, Diderot, dans sa logique esthétique du Beau scénique, répond avec excès, évinçant la passion naturelle dans le jeu. Celui-ci doit être le fait d’un acteur insensible : « j’ai d’autres idées que l’auteur sur les qualités premières d’un grand acteur. Je lui veux beaucoup de jugement, je le veux spectateur froid et tranquille de la nature humaine ; qu’il ait par conséquent beaucoup de finesse, mais nulle sensibilité, ou, ce qui est la même chose, l’art de tout imiter (21). » Diderot exclut donc tout naturel dans le sublime – rejoignant en cela la position de Cecilius – et donc tout pathétique, si ce n’est un pathétique technique, soit artificiel et illusionniste. L’Art de l’Acteur n’est donc bien appréhendé chez Diderot qu’à travers une représentation de l’imitation (le jeu cérébral) et non de l’interprétation (jeu où intervient la subjectivité, soit la sensibilité, les entrailles de l’acteur). D’où la position très paradoxale d’un Diderot en désaccord total avec son époque, et qui, surtout, ne tient absolument pas compte : ni du jeu de composition, c’est-à-dire de cet équilibre entre sensibilité et intelligence (la passion guidée par l’art, le ressentir par le sentir) ; ni même de l’intérêt qu’est le jeu inspiré en matière d’identification et de processus créatif. Le philosophe va à l’encontre des vues modernes sur le jeu, se soustrait à l’opinion commune, qu’elle soit le fait des penseurs-spectateurs (ceux qui se disent Connaisseurs), comme de la multitude (la foule soi-disant ignorante). Le jeu dionysiaque est trop aléatoire, trop ponctuel, trop dépendant des contingences. L’acteur en enthousiasme fleure la fange ou frise les nues. Il n’est donc pas fiable. Seule la technique est à même d’assurer sa grandeur à la scène tragique. Seul l’Art est essentiel, primordial.
Pour pallier à cette absence de la passion innée dans le jeu de composition, Diderot lui substitue alors le concept de préparation (le modèle imaginaire) qui nécessite l’étude, l’imagisation et l’imaginisation du texte, la répétition, soit un travail où se mêlent conjointement l’imagination et l’intelligence. D’où un jeu fondé uniquement sur la sensibilité spirituelle (le tact) mais non sur la sensibilité de cœur : le jeu « parfait » (le jeu techniciste) est, selon Diderot, le vrai jeu « sublime ».
La controverse sur l’esthétique du jeu est loin d’être close par Diderot avec ses Observations sur une brochure intitulée Garrick ou les acteurs anglais (ni même avec la parution du Paradoxe en 1830). Tournon, Larive, Talma répondent indirectement au philosophe. Les critiques de ce dernier sont particulièrement cinglantes :
" Il (Diderot) s’écrie assez froidement : « Quel jeu plus parfait que celui de mademoiselle Clairon ? » J’avoue que je préfère le jeu sublime au jeu parfait. Ainsi, entre deux personnes destinées au théâtre, dont l’une aurait cette extrême sensibilité que j’ai définie plus haut, et l’autre une profonde intelligence, je préfèrerais sans contredit la première. Elle sera sans doute sujette à quelques écarts ; mais sa sensibilité lui inspirera ces mouvements sublimes qui saisissent le spectateur et portent le ravissement jusqu’au fond des cœurs. L’intelligence rendra l’autre froidement sage et réglée. L’une ira par-delà votre attente et votre pensée ; l’autre ne fera que les accomplir. Votre âme sera profondément émue par l’acteur inspiré ; votre esprit seul sera satisfait par l’acteur intelligent. Celui-là vous associera tellement aux émotions qu’il éprouve, qu’il ne vous laissera pas même la liberté du jugement. Celui-ci, par un jeu sage et sans reproche, vous laissera parfaitement à vous-même et vous permettra de raisonner tout à votre aise. Le premier sera le personnage lui-même, l’autre ne sera qu’un acteur qui représente le personnage. L’inspiration chez l’un suppléera souvent à l’intelligence, tandis que chez l’autre les combinaisons de l’intelligence ne suppléeront que faiblement aux effets de l’inspiration "(22) .
Avec la venue des romantiques, la supériorité est accordée à l’acteur doué de sensibilité. La passion naturelle l’emporte sur le techniciste. C’est ainsi le jeu dionysiaque, devenu jeu sublime, qui triomphera et qui permettra l’ancrage de ce nouveau concept de l’Acteur et de cette nouvelle esthétique de l’Art théâtral. Mais derrière ce débat houleux entre partisans de la sensibilité et patrons de l’insensibilité, qui tente de définir avec exactitude ce qu’est l’Acteur Sublime, se cache peut-être le nœud du problème, ce nœud gordien qui donne matière à véritablement philosopher l’Acteur : le Génie.
S. Chaouche
NOTES
(1) Dumesnil, Mémoires ; dans Collection des mémoires sur l’art dramatique, vol. X, Paris, Tenré, 1823 ; réed. Genève, Slatkine reprints, 1968, p. 57.
(2) L’Art du Théâtre, 1750 ; dans S. Chaouche (éd.), Sept Traités sur le jeu du comédien, de l’art oratoire à l’art dramatique 1657-1750, Paris, Honoré Champion, 2001, p. 732.
(3) « Au reste la question dont il s’agit a été autrefois entamée entre un médiocre littérateur, Rémond de Sainte Albine, et un grand comédien Riccoboni : le littérateur était pour la sensibilité, et le comédien était contre ; c’est une anecdote que j’ignorais et que je viens d’apprendre : vous pouvez comparer leurs idées avec les miennes » (Diderot, Observations sur une brochure intitulée Garrick ou les acteurs anglais, 1769, p. 156).
(4) L’Art du Théâtre ; dans op. cit., Sept Traités sur le jeu du comédien, p. 733.
(5) Ibid., p. 734.
(6) Id., p. 734.
(7) Jeu fondé à la fois sur la subjectivité de l’acteur et sur l’objectivité des règles de l’art. En référence à Longin qui définit le sublime comme le fruit possible de la passion combinée à l’art. La composition représente l’alliance entre la technique (figures d’expression) et le pathétique. Transposé sur le plan théâtral, le jeu de composition représente un jeu équilibré, idéalement plaisant parce qu’associant à la mise en scène (l’encadrement du jeu par l’art, par des règles), l’instinct et la sensibilité de l’acteur (le jeu « inspiré », la passion naturelle active).
(8) Garrick ou les acteurs anglais, Paris, Lacombe, 1769, p. 43.
(9) Op. cit., Garrick ou les acteurs anglais, p. 65-66.
(10) Op. cit., Observations sur une brochure intitulée Garrick ou les acteurs anglais, p. 139.
(11) Et qui le demeurera. Cf. à cette réflexion de Talma en 1825 : « Pour arriver à ce but, il fallait que l’acteur eût reçu de la nature une sensibilité extrême et une profonde intelligence ; et Lekain possédait ces qualités à un degré éminent. En effet, les impressions profondes que les acteurs produisent sur la scène ne sont que le résultat de l’alliance de ces deux facultés essentielles. Il faut que j’explique ce que j’entends. Selon moi, la sensibilité n’est pas seulement cette faculté que l’acteur a de s’émouvoir facilement lui-même, d’ébranler son être au point d’imprimer à ses traits, et surtout à sa voix, cette expression, ces accents de douleur qui viennent réveiller toute la sympathie du cœur, et provoquer les larmes de ceux qui l’écoutent ; j’y comprends encore l’effet qu’elle produit, l’imagination dont elle est la source, non cette imagination qui consiste à avoir des souvenirs tels que les objets semblent actuellement présents, ce n’est proprement là que la mémoire ; mais cette imagination qui, créatrice, active, puissante, consiste à rassembler dans un seul objet fictif les qualités de plusieurs objets réels, qui associe l’acteur aux inspirations du poète, le transporte à des temps qui ne sont plus, le fait assister à la vie des personnages historiques ou à celle des êtres passionnés créés par le génie, lui révèle comme par magie leur physionomie, leur stature héroïque, leur langage, leurs habitudes, toutes les nuances de leur caractère, tous les mouvements de leur âme, et jusqu’à leurs singularités spéciales. » (Mémoires ; dans Collection des mémoires sur l’art dramatique, vol. XIV, Paris, Ledoux, 1825 ; réed. Genève, Slatkine reprints, 1968, p. 29-30).
(12) Voir, Longin, Du sublime, traduction, présentation et notes de J. Pigeaud, Paris, Rivages, Petite Bibliothèque, n°105, 1991/1993, § VIII.1-4, p. 61-64.
(13) Op. cit., Garrick ou les acteurs anglais, p. 66-67.
(14) Laquelle sera définie comme telle par Talma dans sa préface aux Mémoires de Lekain : « J’appelle encore sensibilité cette faculté d’exaltation qui agite l’acteur, s’empare de ses sens, l’ébranle jusqu’à l’âme, et le fait entrer dans les situations les plus tragiques, dans les passions les plus terribles, comme si elles étaient les siennes propres. » (op. cit., Mémoires ; dans Collection des mémoires sur l’art dramatique, p. 30).
(15) Le « sublime » est en effet défini comme tel : « Haut, relevé. Il n’est d’usage que dans les choses morales, ou qui regardent l’esprit ; se met aussi substantivement ; & alors il se dit De ce qu’il y a de grand & d’excellent dans les sentiments, dans les actions vertueuses, dans le style. Il y a du sublime dans ces sentiments-là. Il y a du sublime dans cette action. Longin a fait un Traité du Sublime. » (Acad.)
(16) Du sublime, traduction, présentation et notes de J. Pigeaud, Paris, Rivages, Petite Bibliothèque, n°105, 1991/1993, § VIII.1-4, p. 64.
(17) Op. cit., Du sublime, p. 62.
(18) Idée que reprendra Talma en 1825 : « On conçoit qu’un tel individu doit avoir reçu de la nature une organisation toute particulière : car la sensibilité, cette propriété de notre être, tout le monde la possède à un plus ou moins haut degré d’intensité ; mais chez l’homme que la nature a destiné à peindre les passions dans leurs plus grands excès, à rendre toutes leurs violences, à les montrer dans tout leur délire, on conçoit qu’elle doit avoir une bien plus grande énergie ; et comme toutes nos émotions ont avec nos nerfs un rapport intime, il faut que le système nerveux soit chez l’acteur tellement mobile et impressionnable, qu’il s’ébranle aux inspirations du poète aussi facilement que la harpe éolienne résonne au moindre souffle de l’air qui la touche. » (op. cit., Mémoires ; dans Collection des mémoires sur l’art dramatique, p. 31-32).
(19) Op. cit., Garrick ou les acteurs anglais, p. 67-69.
(20) Comme Les Pensées sur la déclamation de L. Riccoboni (1738), Le Comédien de Sainte-Albine (1747), La Déclamation théâtrale de Dorat (1766) mais aussi Seconde Lettre du Souffleur de la Comédie de Rouen, au garçon de café, ou entretiens sur les défauts de la déclamation d’Aigueberre (1730), Essai sur la connaissance des Théâtres français de Maillet Duclairon (1751) etc…
(21) Op. cit., Garrick ou les acteurs anglais, p. 135-136.
(22) Op. cit., Mémoires ; dans Collection des mémoires sur l’art dramatique, p. 37-38.
(2) L’Art du Théâtre, 1750 ; dans S. Chaouche (éd.), Sept Traités sur le jeu du comédien, de l’art oratoire à l’art dramatique 1657-1750, Paris, Honoré Champion, 2001, p. 732.
(3) « Au reste la question dont il s’agit a été autrefois entamée entre un médiocre littérateur, Rémond de Sainte Albine, et un grand comédien Riccoboni : le littérateur était pour la sensibilité, et le comédien était contre ; c’est une anecdote que j’ignorais et que je viens d’apprendre : vous pouvez comparer leurs idées avec les miennes » (Diderot, Observations sur une brochure intitulée Garrick ou les acteurs anglais, 1769, p. 156).
(4) L’Art du Théâtre ; dans op. cit., Sept Traités sur le jeu du comédien, p. 733.
(5) Ibid., p. 734.
(6) Id., p. 734.
(7) Jeu fondé à la fois sur la subjectivité de l’acteur et sur l’objectivité des règles de l’art. En référence à Longin qui définit le sublime comme le fruit possible de la passion combinée à l’art. La composition représente l’alliance entre la technique (figures d’expression) et le pathétique. Transposé sur le plan théâtral, le jeu de composition représente un jeu équilibré, idéalement plaisant parce qu’associant à la mise en scène (l’encadrement du jeu par l’art, par des règles), l’instinct et la sensibilité de l’acteur (le jeu « inspiré », la passion naturelle active).
(8) Garrick ou les acteurs anglais, Paris, Lacombe, 1769, p. 43.
(9) Op. cit., Garrick ou les acteurs anglais, p. 65-66.
(10) Op. cit., Observations sur une brochure intitulée Garrick ou les acteurs anglais, p. 139.
(11) Et qui le demeurera. Cf. à cette réflexion de Talma en 1825 : « Pour arriver à ce but, il fallait que l’acteur eût reçu de la nature une sensibilité extrême et une profonde intelligence ; et Lekain possédait ces qualités à un degré éminent. En effet, les impressions profondes que les acteurs produisent sur la scène ne sont que le résultat de l’alliance de ces deux facultés essentielles. Il faut que j’explique ce que j’entends. Selon moi, la sensibilité n’est pas seulement cette faculté que l’acteur a de s’émouvoir facilement lui-même, d’ébranler son être au point d’imprimer à ses traits, et surtout à sa voix, cette expression, ces accents de douleur qui viennent réveiller toute la sympathie du cœur, et provoquer les larmes de ceux qui l’écoutent ; j’y comprends encore l’effet qu’elle produit, l’imagination dont elle est la source, non cette imagination qui consiste à avoir des souvenirs tels que les objets semblent actuellement présents, ce n’est proprement là que la mémoire ; mais cette imagination qui, créatrice, active, puissante, consiste à rassembler dans un seul objet fictif les qualités de plusieurs objets réels, qui associe l’acteur aux inspirations du poète, le transporte à des temps qui ne sont plus, le fait assister à la vie des personnages historiques ou à celle des êtres passionnés créés par le génie, lui révèle comme par magie leur physionomie, leur stature héroïque, leur langage, leurs habitudes, toutes les nuances de leur caractère, tous les mouvements de leur âme, et jusqu’à leurs singularités spéciales. » (Mémoires ; dans Collection des mémoires sur l’art dramatique, vol. XIV, Paris, Ledoux, 1825 ; réed. Genève, Slatkine reprints, 1968, p. 29-30).
(12) Voir, Longin, Du sublime, traduction, présentation et notes de J. Pigeaud, Paris, Rivages, Petite Bibliothèque, n°105, 1991/1993, § VIII.1-4, p. 61-64.
(13) Op. cit., Garrick ou les acteurs anglais, p. 66-67.
(14) Laquelle sera définie comme telle par Talma dans sa préface aux Mémoires de Lekain : « J’appelle encore sensibilité cette faculté d’exaltation qui agite l’acteur, s’empare de ses sens, l’ébranle jusqu’à l’âme, et le fait entrer dans les situations les plus tragiques, dans les passions les plus terribles, comme si elles étaient les siennes propres. » (op. cit., Mémoires ; dans Collection des mémoires sur l’art dramatique, p. 30).
(15) Le « sublime » est en effet défini comme tel : « Haut, relevé. Il n’est d’usage que dans les choses morales, ou qui regardent l’esprit ; se met aussi substantivement ; & alors il se dit De ce qu’il y a de grand & d’excellent dans les sentiments, dans les actions vertueuses, dans le style. Il y a du sublime dans ces sentiments-là. Il y a du sublime dans cette action. Longin a fait un Traité du Sublime. » (Acad.)
(16) Du sublime, traduction, présentation et notes de J. Pigeaud, Paris, Rivages, Petite Bibliothèque, n°105, 1991/1993, § VIII.1-4, p. 64.
(17) Op. cit., Du sublime, p. 62.
(18) Idée que reprendra Talma en 1825 : « On conçoit qu’un tel individu doit avoir reçu de la nature une organisation toute particulière : car la sensibilité, cette propriété de notre être, tout le monde la possède à un plus ou moins haut degré d’intensité ; mais chez l’homme que la nature a destiné à peindre les passions dans leurs plus grands excès, à rendre toutes leurs violences, à les montrer dans tout leur délire, on conçoit qu’elle doit avoir une bien plus grande énergie ; et comme toutes nos émotions ont avec nos nerfs un rapport intime, il faut que le système nerveux soit chez l’acteur tellement mobile et impressionnable, qu’il s’ébranle aux inspirations du poète aussi facilement que la harpe éolienne résonne au moindre souffle de l’air qui la touche. » (op. cit., Mémoires ; dans Collection des mémoires sur l’art dramatique, p. 31-32).
(19) Op. cit., Garrick ou les acteurs anglais, p. 67-69.
(20) Comme Les Pensées sur la déclamation de L. Riccoboni (1738), Le Comédien de Sainte-Albine (1747), La Déclamation théâtrale de Dorat (1766) mais aussi Seconde Lettre du Souffleur de la Comédie de Rouen, au garçon de café, ou entretiens sur les défauts de la déclamation d’Aigueberre (1730), Essai sur la connaissance des Théâtres français de Maillet Duclairon (1751) etc…
(21) Op. cit., Garrick ou les acteurs anglais, p. 135-136.
(22) Op. cit., Mémoires ; dans Collection des mémoires sur l’art dramatique, p. 37-38.