6/ Disciplines artistiques
L’histoire de l’art, de même que l’histoire de la danse peuvent apporter des informations. La représentation picturale passe elle aussi par des codes, le peintre plaçant les personnages en attitude, devant figurer des expressions et des sentiments, organisant l’espace, composant l’action de sa toile . La lecture de théoriciens comme Le Brun, Félibien, Fréart, Lairesse… peut alors faciliter la comparaison entre l’image et la description du jeu.
La frayeur :
Quand elle est excessive, fait que celui qui l’a reçue, a le sourcil fort élevé par le milieu, & les muscles qui servent au mouvement de ces parties, fort marqués & enflés, & pressés l’un contre l’autre, s’abaissant sur le nez qui doit paraître retiré en haut & les narines de même ; les yeux doivent paraître entièrement ouverts, la paupière de dessus cachée par le sourcil, le blanc de l’œil doit être environné de rouge, la prunelle doit paraître comme égarée, située au plus bas de l’œil que du côté d’en haut, le dessous de la paupière doit paraître enflé & livide, les muscles du nez & des mains aussi enflés, les muscles des joues extrêmement marqués & formés en pointe de chaque côté des narines, la bouche sera fort ouverte, & les coins seront fort apparents, tout sera beaucoup marqué, tant à la partie du front qu’autour des yeux, les muscles & les veines du col doivent être fort rendus & apparents, les cheveux hérissés, la couleur du visage pâle & livide, comme le bout du nez, les lèvres, les oreilles, & le tour des yeux. Si les yeux paraissent extrêmement ouverts en cette passion, c’est que l’âme s’en sert pour remarquer la nature de l’objet qui cause la frayeur : le sourcil qui est abaissé d’un côté, & élevé de l’autre, fait voir que la partie élevée semble le vouloir joindre au cerveau pour le garantir du mal que l’âme aperçoit ; & le côté qui est abaissé, & qui paraît enflé, nous fait trouver dans cet état par les esprits qui viennent du cerveau en abondance, comme pour couvrir l’âme, & la défendre du mal qu’elle craint ; la bouche fort ouverte fait voir le saisissement du cœur, par le sang qui se retire vers lui, ce qui l’oblige, voulant respirer, à faire un effort qui est cause que la bouche s’ouvre extrêmement, & qui lorsqu’il passe par les organes de la voix, forme un son qui n’est point articulé ; que si les muscles & les veines paraissent enflés, ce n’est que par les esprits que le cerveau envoie en ces parties-là.
Le Brun, ibid., p. 14-18.
Quand elle est excessive, fait que celui qui l’a reçue, a le sourcil fort élevé par le milieu, & les muscles qui servent au mouvement de ces parties, fort marqués & enflés, & pressés l’un contre l’autre, s’abaissant sur le nez qui doit paraître retiré en haut & les narines de même ; les yeux doivent paraître entièrement ouverts, la paupière de dessus cachée par le sourcil, le blanc de l’œil doit être environné de rouge, la prunelle doit paraître comme égarée, située au plus bas de l’œil que du côté d’en haut, le dessous de la paupière doit paraître enflé & livide, les muscles du nez & des mains aussi enflés, les muscles des joues extrêmement marqués & formés en pointe de chaque côté des narines, la bouche sera fort ouverte, & les coins seront fort apparents, tout sera beaucoup marqué, tant à la partie du front qu’autour des yeux, les muscles & les veines du col doivent être fort rendus & apparents, les cheveux hérissés, la couleur du visage pâle & livide, comme le bout du nez, les lèvres, les oreilles, & le tour des yeux. Si les yeux paraissent extrêmement ouverts en cette passion, c’est que l’âme s’en sert pour remarquer la nature de l’objet qui cause la frayeur : le sourcil qui est abaissé d’un côté, & élevé de l’autre, fait voir que la partie élevée semble le vouloir joindre au cerveau pour le garantir du mal que l’âme aperçoit ; & le côté qui est abaissé, & qui paraît enflé, nous fait trouver dans cet état par les esprits qui viennent du cerveau en abondance, comme pour couvrir l’âme, & la défendre du mal qu’elle craint ; la bouche fort ouverte fait voir le saisissement du cœur, par le sang qui se retire vers lui, ce qui l’oblige, voulant respirer, à faire un effort qui est cause que la bouche s’ouvre extrêmement, & qui lorsqu’il passe par les organes de la voix, forme un son qui n’est point articulé ; que si les muscles & les veines paraissent enflés, ce n’est que par les esprits que le cerveau envoie en ces parties-là.
Le Brun, ibid., p. 14-18.
La tristesse :
est une langueur désagréable, où l’âme reçoit des incommodités du mal ou du défaut que les impressions du cerveau lui représentent. Cette passion se figure ainsi par des mouvements qui semblent marquer l’inquiétude du cerveau, & l’abattement du cœur, car les côtés des sourcils sont plus élevés vers le milieu du front, que du côté des joues ; & celui qui est agité de cette passion, a les prunelles troubles, le blanc de l’œil jaune, les paupières abattues & un peu enflées, le tour des yeux livide, les narines tirant en bas, la bouche entrouverte & les coins abaissés, la tête paraît nonchalamment penchée sur une des épaules, toute la couleur du visage est plombée, & les lèvres pâles & sans couleur . »
Le Brun, id., p. 31-32
est une langueur désagréable, où l’âme reçoit des incommodités du mal ou du défaut que les impressions du cerveau lui représentent. Cette passion se figure ainsi par des mouvements qui semblent marquer l’inquiétude du cerveau, & l’abattement du cœur, car les côtés des sourcils sont plus élevés vers le milieu du front, que du côté des joues ; & celui qui est agité de cette passion, a les prunelles troubles, le blanc de l’œil jaune, les paupières abattues & un peu enflées, le tour des yeux livide, les narines tirant en bas, la bouche entrouverte & les coins abaissés, la tête paraît nonchalamment penchée sur une des épaules, toute la couleur du visage est plombée, & les lèvres pâles & sans couleur . »
Le Brun, id., p. 31-32
On voit avec quelle précision Le Brun décrit l’effet de la passion sur le visage, notamment la direction des yeux et leur brillance, la teinte que prend la chair avec l’afflux de sang.
On peut s’interroger sur l’utilisation du maquillage par l’acteur pour marquer les traits. Mlle Clairon en fait allusion dans ses Réflexions sur l’art dramatique : « J’adoucissais ou noircissais mes sourcils d’après le caractère que mon rôle exigeait : avec des poudres de différentes couleurs je faisais la même chose à mes cheveux ; mais loin de cacher les ressorts qui font mouvoir la physionomie, j’avais fait une étude particulière de l’anatomie de la tête pour les mettre plus facilement en valeur. Une peau blanche est sans doute agréable, elle communique son éclat à toute la figure, elle donne l’air plus frais, plus net ; les veines qu’elle découvre sont presque toujours des beautés, mais elle donne aussi quelquefois l’air languissant et lâche . »
Mlle Clairon, Réflexions sur l’art dramatique, 1794 ; [in] Ecrits sur l’art théâtral (1753-1801), II. Acteurs, Paris, Champion, p. 60-61 (pagination originale).
Cette actrice s’inspira de ce genre de cours d’expression pour bâtir son propre système de jeu. Elle apprendra à ses disciples à imiter les marques des passions :
« ― Un jour elle s’assit dans un fauteuil, et sans proférer une seule parole, sans faire un seul geste, elle peignit, avec le visage seul, toutes les passions : la haine, la colère, l’indignation, l’indifférence, la tristesse, la douleur, l’amour, l’humanité, la nature, la gaieté, la joie, etc. Elle peignit non seulement les passions en elles-mêmes, mais encore toutes les nuances et toutes les différences qui les caractérisent. Par exemple, dans la crainte, elle exprima la frayeur, la peur, l’émotion, le saisissement, l’inquiétude, la terreur, etc. ; sur ce qu’on lui témoignait de l’admiration, elle répondit qu’elle avait fait une étude particulière de l’anatomie, qu’elle savait quels muscles elle devait faire agir, et qu’ensuite, la grande habitude l’avait mise en état de faire, pour ainsi dire, agir tous ces fils . »
Hérault de Séchelles, Réflexions sur la déclamation, 1794 ; op. cit., Ecrits sur l’art théâtral II, Acteurs, p. 164 (pagination originale).
L’acteur doit avoir, au même titre que le peintre, un vrai talent de physionomiste (ce que certains, comme le Prince de Ligne, appellent « jouer du masque »). Les représentations picturales ont pu ainsi servir de modèles aux comédiens soucieux de s’instruire des effets des passions sur le visage.
On peut s’interroger sur l’utilisation du maquillage par l’acteur pour marquer les traits. Mlle Clairon en fait allusion dans ses Réflexions sur l’art dramatique : « J’adoucissais ou noircissais mes sourcils d’après le caractère que mon rôle exigeait : avec des poudres de différentes couleurs je faisais la même chose à mes cheveux ; mais loin de cacher les ressorts qui font mouvoir la physionomie, j’avais fait une étude particulière de l’anatomie de la tête pour les mettre plus facilement en valeur. Une peau blanche est sans doute agréable, elle communique son éclat à toute la figure, elle donne l’air plus frais, plus net ; les veines qu’elle découvre sont presque toujours des beautés, mais elle donne aussi quelquefois l’air languissant et lâche . »
Mlle Clairon, Réflexions sur l’art dramatique, 1794 ; [in] Ecrits sur l’art théâtral (1753-1801), II. Acteurs, Paris, Champion, p. 60-61 (pagination originale).
Cette actrice s’inspira de ce genre de cours d’expression pour bâtir son propre système de jeu. Elle apprendra à ses disciples à imiter les marques des passions :
« ― Un jour elle s’assit dans un fauteuil, et sans proférer une seule parole, sans faire un seul geste, elle peignit, avec le visage seul, toutes les passions : la haine, la colère, l’indignation, l’indifférence, la tristesse, la douleur, l’amour, l’humanité, la nature, la gaieté, la joie, etc. Elle peignit non seulement les passions en elles-mêmes, mais encore toutes les nuances et toutes les différences qui les caractérisent. Par exemple, dans la crainte, elle exprima la frayeur, la peur, l’émotion, le saisissement, l’inquiétude, la terreur, etc. ; sur ce qu’on lui témoignait de l’admiration, elle répondit qu’elle avait fait une étude particulière de l’anatomie, qu’elle savait quels muscles elle devait faire agir, et qu’ensuite, la grande habitude l’avait mise en état de faire, pour ainsi dire, agir tous ces fils . »
Hérault de Séchelles, Réflexions sur la déclamation, 1794 ; op. cit., Ecrits sur l’art théâtral II, Acteurs, p. 164 (pagination originale).
L’acteur doit avoir, au même titre que le peintre, un vrai talent de physionomiste (ce que certains, comme le Prince de Ligne, appellent « jouer du masque »). Les représentations picturales ont pu ainsi servir de modèles aux comédiens soucieux de s’instruire des effets des passions sur le visage.
La danse, quant à elle, apprend à se déplacer gracieusement, à avoir un maintien noble. Elle est recommandée dans les écrits sur l’art théâtral du 18e siècle. Elle n’est donc pas à négliger non plus (d’autant que la pantomime se développe à l’âge des Lumières). D’ailleurs, la définition même de l’action en danse, donnée par Compan, est très proche de celle de l’action théâtrale :
« L’Action, en matière de danse, est l’art de faire passer par l’expression vraie de nos mouvements, de nos gestes, & de la physionomie, nos sentiments & nos passions dans l’âme des Spectateurs. L’Action n’est autre chose que la pantomime ; tout doit peindre, tout doit parler, chez le Danseur; la vraie Pantomime en tout genre suit la nature dans toutes ses nuances. […] Ainsi ce n’est pas assez qu’un Danseur sache bien exécuter les mouvements ordinaires des bras, tous les pas difficiles, brillants, & toutes les positions élégantes de la danse ; il faut encore de la variété & de l’expression dans les bras. Ils peignent le sentiment, il faut encore qu’ils peignent la jalousie, la fureur, le dépit, l’inconstance, la douleur, la vengeance, l’ironie, toutes les passions qui sont dans l’homme, & que, d’accord avec les yeux, la physionomie & les pas, ils me fassent entendre le cri de la nature. On veut encore que les pas soient placés avec autant d’esprit que d’art, & qu’ils répondent à l’action, & à l’âme du danseur. On exige que dans une expression vive on ne forme point de pas lents ; que dans une scène grave, on n’en fasse point de légers... »
(Paris, Cailleau, 1787, p. 3).
Ce domaine est donc aussi à explorer.
« L’Action, en matière de danse, est l’art de faire passer par l’expression vraie de nos mouvements, de nos gestes, & de la physionomie, nos sentiments & nos passions dans l’âme des Spectateurs. L’Action n’est autre chose que la pantomime ; tout doit peindre, tout doit parler, chez le Danseur; la vraie Pantomime en tout genre suit la nature dans toutes ses nuances. […] Ainsi ce n’est pas assez qu’un Danseur sache bien exécuter les mouvements ordinaires des bras, tous les pas difficiles, brillants, & toutes les positions élégantes de la danse ; il faut encore de la variété & de l’expression dans les bras. Ils peignent le sentiment, il faut encore qu’ils peignent la jalousie, la fureur, le dépit, l’inconstance, la douleur, la vengeance, l’ironie, toutes les passions qui sont dans l’homme, & que, d’accord avec les yeux, la physionomie & les pas, ils me fassent entendre le cri de la nature. On veut encore que les pas soient placés avec autant d’esprit que d’art, & qu’ils répondent à l’action, & à l’âme du danseur. On exige que dans une expression vive on ne forme point de pas lents ; que dans une scène grave, on n’en fasse point de légers... »
(Paris, Cailleau, 1787, p. 3).
Ce domaine est donc aussi à explorer.
Conclusion
Tous ces champs permettent non seulement de diversifier les recherches mais aussi d’accroître ses compétences (idéal d’un chercheur multidisciplinaire). Une fois ces champs explorés, il est nécessaire de mettre en relation les savoirs acquis avec le monde théâtral. En d’autres termes, il faut désormais penser le jeu.