Dans le bilan récemment proposé par Anthony Glinoer sur les études sociocritiques (Texte. Revue de critique et de théorie littéraire, n° 45/46, 2009, « Carrefours de la sociocritique »), l'accent est porté sur la diversification et même la forte dispersion des pratiques comme des ancrages institutionnels de la recherche en sociocritique. Sa fécondité résiderait moins, selon l'état des lieux proposé près de quarante ans après la formulation de Claude Duchet, dans la fermeté des méthodes que dans sa puissance de questionnement des modes de textualisation du social. La mise en relation dialectique des phénomènes sociaux et des phénomènes littéraires constituerait toujours un champ d'expérimentation vivant et ouvert.
Les travaux menés en sociocritique, attachés à la construction discursive des représentations sociales, ont privilégié jusqu'à présent la fiction romanesque, de préférence réaliste, le texte d'idées et le discours journalistique – Alain Vaillant le rappelle avec une grande acuité critique dans la même revue (« De la sociocritique à la poétique historique »). Le théâtre a été partiellement omis du domaine d'application des lectures sociocritiques, comme si la « politique du texte » se lisait plus difficilement dans des oeuvres non encloses dans leur nature purement textuelle. Certes, des études sociocritiques de textes dramatiques ont été proposées, par Claude Duchet tout d'abord (« Théâtre, histoire et politique sous la Restauration », dans Romantisme et politique, Armand Colin, 1969). Mais ces études ont souvent concerné, symptomatiquement, un théâtre écrit au XIXe siècle pour la seule lecture : Claude Duchet, « La Saint-Barthélémy : de la “scène historique” au drame romantique », Revue d'Histoire littéraire de la France, n° 5, sept.-oct. 1973, « Théâtre et sociocritique : la crise de la parole dans deux pièces de Musset », dans Sociocritique, Nathan, 1979 ; Anne Ubersfeld, « Révolution et topique de la cité : Lorenzaccio », Littérature, N° 24, déc. 1976 ; Pierre Laforgue, « Lorenzaccio, ou Oedipe à Florence », « Fantasio, ou être bouffon en 1830 », dans L'Oedipe romantique, Ellug, 2002 ; Xavier Bourdenet, « D'une guerre à l'autre : l'histoire au miroir du présent dans Les Espagnols au Danemark, de Prosper Mérimée », Orages, n° 3, mars 2004. Le théâtre vivant, directement écrit pour être joué, serait-il soupçonné par les sociocriticiens d'obéir à des contraintes formelles imposées a priori et de reproduire des conventions telles que le discours sur la société s'en trouverait appauvri ? Surtout, si la sociocritique constitue un retour au texte et à sa « littérarité », on conçoit que le théâtre – dont le texte ouvert et troué ne fait pas toute l'oeuvre – ait été plus ou moins laissé de côté.
Pourtant, le théâtre représenté, en tant que phénomène collectif, acte social et politique, offre un champ d'observation et d'analyse privilégié des modes de symbolisation du social. Mais deux conditions sont peut-être à remplir pour mener à bien l'étude, conditions qui orienteront la constitution du projet de publication dans la revue Études littéraires. La première consiste à ne pas limiter le théâtre au seul panthéon des chefs-d'oeuvre du répertoire, et à travailler aussi sur un « corpus collectif » (Alain Vaillant), où les représentations dominantes ou contradictoires d'une époque et d'une société soient ressaisies à partir de ce que l'on jouait effectivement dans les théâtres – et non de ce que l'histoire du théâtre a retenu et « panthéonisé ». La thèse de Sylvie Vielledent, 1830 aux théâtres (Champion, 2009) offre ici un modèle méthodologique : elle ne réduit pas 1830 à Hernani, mais éclaire Hernani et, au-delà, l'ensemble des représentations symboliques dominantes, à partir de tout ce qui se jouait dans les théâtres cette année-là. La seconde condition concerne le « texte » théâtral. Une sociocritique du théâtre ouvre nécessairement une réflexion critique sur le statut strictement littéraire de l'oeuvre dramatique et sur les outils existants de la sociocritique (le « sociogramme » par exemple) forgés pour l'analyse textuelle. Comment lire et interpréter du point de vue de la socialité et du discours historique de l'oeuvre tout ce qui au théâtre ne relève pas du seul texte, mais d'un système de signes non verbaux ? Claude Duchet remarquait récemment : « La sociocritique n'est pas une sociologie de la littérature et elle n'a pas seulement la littérature pour objet mais tous les ensembles socio-sémiotiques. […] l'objectif de la sociocritique est l'étude socio-historique des représentations » (« Entretien avec Claude Duchet » par Ruth Amossy, Littérature, n° 140, déc. 2005, p. 132). On évitera donc de se limiter au seul texte théâtral écrit, comme de se cantonner à une étude contextuelle des conditions de création ou de réception du théâtre ; on dépassera, comme la sociocritique y invite, la relation mécaniste supposée mener du contexte au texte, pour privilégier les processus de symbolisation du social et de l'histoire portées par l'oeuvre théâtrale, dans la totalité des signes déployés sur scène. Enfin, même si la sociocritique a trouvé dans le siècle de la question sociale et des révolutions son premier terrain d'élection, on ouvrira la perspective en deçà et au-delà du seul XIXe siècle.
Les propositions, sous forme d'un court texte de 3000 signes et d'un titre provisoire, accompagnés d'un CV d'une page, sont à adresser avant le 1er mai 2011 à bara.olivier@wanadoo.fr Après acceptation de la proposition, l'article (30000 signes) sera à envoyer avant le 1er janvier 2012. Chaque article sera soumis, avant publication, à l'approbation du comité de lecture de la revue.
Olivier Bara, Université Lyon 2, UMR LIRE (CNRS-Lyon 2)
Responsable : Olivier Bara
Url de référence :
http://lire.ish-lyon.cnrs.fr
Adresse : Olivier Bara, Faculté LESLA, Département des Lettres, Université Lyon 2, 18 quai Claude Bernard, 69007 Lyon
Les travaux menés en sociocritique, attachés à la construction discursive des représentations sociales, ont privilégié jusqu'à présent la fiction romanesque, de préférence réaliste, le texte d'idées et le discours journalistique – Alain Vaillant le rappelle avec une grande acuité critique dans la même revue (« De la sociocritique à la poétique historique »). Le théâtre a été partiellement omis du domaine d'application des lectures sociocritiques, comme si la « politique du texte » se lisait plus difficilement dans des oeuvres non encloses dans leur nature purement textuelle. Certes, des études sociocritiques de textes dramatiques ont été proposées, par Claude Duchet tout d'abord (« Théâtre, histoire et politique sous la Restauration », dans Romantisme et politique, Armand Colin, 1969). Mais ces études ont souvent concerné, symptomatiquement, un théâtre écrit au XIXe siècle pour la seule lecture : Claude Duchet, « La Saint-Barthélémy : de la “scène historique” au drame romantique », Revue d'Histoire littéraire de la France, n° 5, sept.-oct. 1973, « Théâtre et sociocritique : la crise de la parole dans deux pièces de Musset », dans Sociocritique, Nathan, 1979 ; Anne Ubersfeld, « Révolution et topique de la cité : Lorenzaccio », Littérature, N° 24, déc. 1976 ; Pierre Laforgue, « Lorenzaccio, ou Oedipe à Florence », « Fantasio, ou être bouffon en 1830 », dans L'Oedipe romantique, Ellug, 2002 ; Xavier Bourdenet, « D'une guerre à l'autre : l'histoire au miroir du présent dans Les Espagnols au Danemark, de Prosper Mérimée », Orages, n° 3, mars 2004. Le théâtre vivant, directement écrit pour être joué, serait-il soupçonné par les sociocriticiens d'obéir à des contraintes formelles imposées a priori et de reproduire des conventions telles que le discours sur la société s'en trouverait appauvri ? Surtout, si la sociocritique constitue un retour au texte et à sa « littérarité », on conçoit que le théâtre – dont le texte ouvert et troué ne fait pas toute l'oeuvre – ait été plus ou moins laissé de côté.
Pourtant, le théâtre représenté, en tant que phénomène collectif, acte social et politique, offre un champ d'observation et d'analyse privilégié des modes de symbolisation du social. Mais deux conditions sont peut-être à remplir pour mener à bien l'étude, conditions qui orienteront la constitution du projet de publication dans la revue Études littéraires. La première consiste à ne pas limiter le théâtre au seul panthéon des chefs-d'oeuvre du répertoire, et à travailler aussi sur un « corpus collectif » (Alain Vaillant), où les représentations dominantes ou contradictoires d'une époque et d'une société soient ressaisies à partir de ce que l'on jouait effectivement dans les théâtres – et non de ce que l'histoire du théâtre a retenu et « panthéonisé ». La thèse de Sylvie Vielledent, 1830 aux théâtres (Champion, 2009) offre ici un modèle méthodologique : elle ne réduit pas 1830 à Hernani, mais éclaire Hernani et, au-delà, l'ensemble des représentations symboliques dominantes, à partir de tout ce qui se jouait dans les théâtres cette année-là. La seconde condition concerne le « texte » théâtral. Une sociocritique du théâtre ouvre nécessairement une réflexion critique sur le statut strictement littéraire de l'oeuvre dramatique et sur les outils existants de la sociocritique (le « sociogramme » par exemple) forgés pour l'analyse textuelle. Comment lire et interpréter du point de vue de la socialité et du discours historique de l'oeuvre tout ce qui au théâtre ne relève pas du seul texte, mais d'un système de signes non verbaux ? Claude Duchet remarquait récemment : « La sociocritique n'est pas une sociologie de la littérature et elle n'a pas seulement la littérature pour objet mais tous les ensembles socio-sémiotiques. […] l'objectif de la sociocritique est l'étude socio-historique des représentations » (« Entretien avec Claude Duchet » par Ruth Amossy, Littérature, n° 140, déc. 2005, p. 132). On évitera donc de se limiter au seul texte théâtral écrit, comme de se cantonner à une étude contextuelle des conditions de création ou de réception du théâtre ; on dépassera, comme la sociocritique y invite, la relation mécaniste supposée mener du contexte au texte, pour privilégier les processus de symbolisation du social et de l'histoire portées par l'oeuvre théâtrale, dans la totalité des signes déployés sur scène. Enfin, même si la sociocritique a trouvé dans le siècle de la question sociale et des révolutions son premier terrain d'élection, on ouvrira la perspective en deçà et au-delà du seul XIXe siècle.
Les propositions, sous forme d'un court texte de 3000 signes et d'un titre provisoire, accompagnés d'un CV d'une page, sont à adresser avant le 1er mai 2011 à bara.olivier@wanadoo.fr Après acceptation de la proposition, l'article (30000 signes) sera à envoyer avant le 1er janvier 2012. Chaque article sera soumis, avant publication, à l'approbation du comité de lecture de la revue.
Olivier Bara, Université Lyon 2, UMR LIRE (CNRS-Lyon 2)
Responsable : Olivier Bara
Url de référence :
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Adresse : Olivier Bara, Faculté LESLA, Département des Lettres, Université Lyon 2, 18 quai Claude Bernard, 69007 Lyon