Deux écueils principaux cernent le projet de "penser le spectateur" : d'une part, le postulat d'une pratique toujours singulière qui décourage d'emblée toute analyse ("à chaque spectateur son spectacle", "les voies de la réception sont impénétrables") ; d'autre part, l'élaboration d'un Hyperspectateur indifférent à la multiplicité des facteurs qui déterminent ses interprétations et ses affects, ses élaborations et ses errances (un spectateur réduit à la figure hypostasiée d'un pur destinataire, surface de projection conceptuelle modelée – et modelable – selon sa volonté et son désir).
En interrogeant quelques-unes des présuppositions qui irriguent les débats sur l'art et ses pouvoirs, les réflexions réunies par Jacques Rancière dans Le Spectateur émancipé fournissent des outils pour nous prémunir contre le second de ces écueils. Qu'y soient considérées la tradition de défiance exprimée depuis Platon vis-à-vis du théâtre ou les entreprises plus récentes pour en promouvoir la mission critique, c'est toute approche causaliste du champ esthétique qui se trouve ici contestée, soit la distribution inégalitaire des rôles qu'elle requiert pour faire valoir les effets – nocifs ou libérateurs – de l'art sur le spectateur et la ligne droite, descendante, unique, qu'elle trace entre l'un et l'autre.
S'il faut prendre acte des résistances que les pratiques spectatrices opposent de fait au calcul des intentions, s'il convient tout autant de veiller à ce que ces résistances nous disent des processus complexes d'appropriation que masque le terme de réception, le postulat offensif d’un "spectateur émancipé" ouvre toutefois sur un champ vertigineux de questionnements qui n'est pas sans nous rapprocher du premier écueil mentionné : que peut encore la pensée, celle de l'artiste comme celle du commentateur, une fois reconnue, légitimement, à chaque spectateur la capacité de construire sa propre trajectoire à partir d'une œuvre donnée ? que pouvons-nous encore penser du théâtre et de ses pouvoirs, dès lors que l'on accepte que l'essentiel de l'activité spectatrice se déploie indépendamment de la représentation, au gré des associations de chacun ?
Nourri par ces questionnements, ce colloque se focalisera sur les scènes du XXe et du XXIe siècles pour examiner la place et la fonction qu’y occupe le spectateur, la façon dont s’y renouvellent leurs modes de conceptualisation et d’expérimentation. Les enjeux politiques d'un tel renouvellement constitueront ici notre fil directeur : mettant à distance le paradigme d'un théâtre œuvrant à la prise de conscience du spectateur, à son "devenir actif", l’ouvrage de Rancière délie les effets politiques de la représentation de toute politique de l’effet, de tout volontarisme de la production, et exerce une force d'interpellation à la fois stimulante et exigeante pour qui veut interroger les rapports entre art et émancipation.
Dans ce cadre, trois axes pourront organiser les interventions : tout d'abord, il s’agira de revenir sur Le Spectateur émancipé pour en revisiter les articulations et les inscrire dans le champ spécifique des études et des pratiques théâtrales ; nous proposons ensuite d'élargir l'analyse aux réflexions, historiques ou immédiatement contemporaines, suscitées par la figure du spectateur dans les discours des artistes comme des théoriciens ; enfin, nous nous attarderons sur la particularité de certaines créations, qu'elles soient jugées anomales ou paradigmatiques, pour considérer tour à tour le spectateur qu'elles anticipent, celui qu'elles accueillent, celui qu'elles produisent ou qui se produit à travers elles. Par ces différentes entrées attentives à la complexité des débats et aux tensions problématiques qui résultent de leur confrontation avec les réalisations effectives, l'enjeu est aussi d'ordre épistémologique et consistera à interroger nos propres "pratiques théoriques" et les conditions sous lesquelles il nous est possible, aujourd'hui, de penser le spectateur.
Comité scientifique :
Christian Biet (PR Etudes théâtrales, Paris Ouest Nanterre La Défense – IUF), Jean-Marc Lachaud (PR Arts du spectacle, Uds), Mireille Losco (PR Arts du spectacle, Lyon II), Sophie Lucet (PR Etudes théâtrales, Rennes 2), Jacob Rogozinski (PR, Philosophie, Uds)
Leïla Adham (MCF Arts du spectacle, Poitiers), Olivier Neveux (MCF Arts du spectacle, Uds), Guillaume Sibertin-Blanc (MCF Philosophie, Toulouse-Le Mirail), Armelle Talbot (MCF Arts du spectacle, Uds), Christophe Triau (MCF Etudes théâtrales, Paris VII-Denis Diderot)
Les propositions de communication (d’environ 300 mots), accompagnées d’une courte notice biographique, sont à envoyer d'ici le 30 juin 2011 aux adresses suivantes :
- oneveux@unistra.fr
- talbot@unistra.fr
En interrogeant quelques-unes des présuppositions qui irriguent les débats sur l'art et ses pouvoirs, les réflexions réunies par Jacques Rancière dans Le Spectateur émancipé fournissent des outils pour nous prémunir contre le second de ces écueils. Qu'y soient considérées la tradition de défiance exprimée depuis Platon vis-à-vis du théâtre ou les entreprises plus récentes pour en promouvoir la mission critique, c'est toute approche causaliste du champ esthétique qui se trouve ici contestée, soit la distribution inégalitaire des rôles qu'elle requiert pour faire valoir les effets – nocifs ou libérateurs – de l'art sur le spectateur et la ligne droite, descendante, unique, qu'elle trace entre l'un et l'autre.
S'il faut prendre acte des résistances que les pratiques spectatrices opposent de fait au calcul des intentions, s'il convient tout autant de veiller à ce que ces résistances nous disent des processus complexes d'appropriation que masque le terme de réception, le postulat offensif d’un "spectateur émancipé" ouvre toutefois sur un champ vertigineux de questionnements qui n'est pas sans nous rapprocher du premier écueil mentionné : que peut encore la pensée, celle de l'artiste comme celle du commentateur, une fois reconnue, légitimement, à chaque spectateur la capacité de construire sa propre trajectoire à partir d'une œuvre donnée ? que pouvons-nous encore penser du théâtre et de ses pouvoirs, dès lors que l'on accepte que l'essentiel de l'activité spectatrice se déploie indépendamment de la représentation, au gré des associations de chacun ?
Nourri par ces questionnements, ce colloque se focalisera sur les scènes du XXe et du XXIe siècles pour examiner la place et la fonction qu’y occupe le spectateur, la façon dont s’y renouvellent leurs modes de conceptualisation et d’expérimentation. Les enjeux politiques d'un tel renouvellement constitueront ici notre fil directeur : mettant à distance le paradigme d'un théâtre œuvrant à la prise de conscience du spectateur, à son "devenir actif", l’ouvrage de Rancière délie les effets politiques de la représentation de toute politique de l’effet, de tout volontarisme de la production, et exerce une force d'interpellation à la fois stimulante et exigeante pour qui veut interroger les rapports entre art et émancipation.
Dans ce cadre, trois axes pourront organiser les interventions : tout d'abord, il s’agira de revenir sur Le Spectateur émancipé pour en revisiter les articulations et les inscrire dans le champ spécifique des études et des pratiques théâtrales ; nous proposons ensuite d'élargir l'analyse aux réflexions, historiques ou immédiatement contemporaines, suscitées par la figure du spectateur dans les discours des artistes comme des théoriciens ; enfin, nous nous attarderons sur la particularité de certaines créations, qu'elles soient jugées anomales ou paradigmatiques, pour considérer tour à tour le spectateur qu'elles anticipent, celui qu'elles accueillent, celui qu'elles produisent ou qui se produit à travers elles. Par ces différentes entrées attentives à la complexité des débats et aux tensions problématiques qui résultent de leur confrontation avec les réalisations effectives, l'enjeu est aussi d'ordre épistémologique et consistera à interroger nos propres "pratiques théoriques" et les conditions sous lesquelles il nous est possible, aujourd'hui, de penser le spectateur.
Comité scientifique :
Christian Biet (PR Etudes théâtrales, Paris Ouest Nanterre La Défense – IUF), Jean-Marc Lachaud (PR Arts du spectacle, Uds), Mireille Losco (PR Arts du spectacle, Lyon II), Sophie Lucet (PR Etudes théâtrales, Rennes 2), Jacob Rogozinski (PR, Philosophie, Uds)
Leïla Adham (MCF Arts du spectacle, Poitiers), Olivier Neveux (MCF Arts du spectacle, Uds), Guillaume Sibertin-Blanc (MCF Philosophie, Toulouse-Le Mirail), Armelle Talbot (MCF Arts du spectacle, Uds), Christophe Triau (MCF Etudes théâtrales, Paris VII-Denis Diderot)
Les propositions de communication (d’environ 300 mots), accompagnées d’une courte notice biographique, sont à envoyer d'ici le 30 juin 2011 aux adresses suivantes :
- oneveux@unistra.fr
- talbot@unistra.fr