Présentation de l'éditeur
Après Paroles de Hugo et Le Théâtre et la cité, cet ouvrage est le troisième recueil d'articles choisis dans la production critique d'Anne Ubersfeld. Conçu avec sa collaboration pendant la dernière année de sa vie, il réunit des articles sur les oeuvres de Molière, Beaumarchais, Goethe, Hugo, Dumas, Musset, Gautier, Claudel, Adamov, Vinaver, sur la réception de Corneille au XIXe siècle, une étude fondatrice sur le mélodrame et un tour d'horizon du théâtre contemporain (Calaferte, Durringer, Lagarce, Koltès, Reza, Minyana, Vinaver). Cette sélection reflète le dialogue qu'Anne Ubersfeld avait instauré avec maints auteurs contemporains et sa proximité avec les oeuvres du passé qu'Antoine Vitez comparait à des « galions engloutis ».
Les textes de ce volume ont été réunis par Pierre Frantz, professeur à l'université Paris-Sorbonne, Isabelle Moindrot, professeur à l'université Paris 8 et Florence Naugrette, professeur à l'université de Rouen, du vivant d'Anne Ubersfeld et avec son assentiment pour le choix des textes.
Contributions et hommages de Yannis Kokkos, Jean-Marie Villégier, Michel Vinaver et Guy Rosa.
Les textes de ce volume ont été réunis par Pierre Frantz, professeur à l'université Paris-Sorbonne, Isabelle Moindrot, professeur à l'université Paris 8 et Florence Naugrette, professeur à l'université de Rouen, du vivant d'Anne Ubersfeld et avec son assentiment pour le choix des textes.
Contributions et hommages de Yannis Kokkos, Jean-Marie Villégier, Michel Vinaver et Guy Rosa.
Sur Anne Ubersfeld
Anne Ubersfeld est rocheuse. Ici sédimentaire, là éruptive. Sédimentaire dans ses écrits théoriques majeurs, où elle dépose, compose, organise son savoir avec un rugueux esprit de géométrie à partir de quelques idées-force aux prolongements multiples (philosophiques, sociologiques, historiques, esthétiques). Éruptive, elle l’est dans ses monographies et articles critiques, riches en intuitions fulgurantes où la pensée fuse, bouscule, surprend. Double : réfl échie et impulsive, délibérée et impétueuse. Campée un pied dans le rationnel, l’autre dans le sensible jusqu’aux confi ns de la raison.
Pourtant, tout d’une pièce. Qu’est-ce que cette « pièce » ? Peut-être faut-il évoquer la chevalerie et ses penchants, ses vertus. La vaillance et la fi délité, l’endurance. Ni prudence ni frayeur. Rien ne lui plaît davantage qu’une joute, un assaut, une quête périlleuse, un défi , un engagement, la liberté de s’aventurer dans une forêt où les chemins ne sont pas tracés. Mais dans la « pièce Ubersfeld » il y a d’autres ingrédients, qui ont tous à voir avec le goût. Qu’il s’agisse des gens, du théâtre, de la vie, de la cuisine, des continents, là où Anne va, il y a du goût dans l’air. Et de la jouissance. Même quand elle est contre, c’est l’envers de l’amour. Voisin du goût, il y a l’appétit. Voisine de l’appétit, la curiosité. Anne est insatiable dans la recherche de ce qui est innovant, hors champ. Écoutons-la. Je la cite : « Hors de toute mode, les spectateurs voyaient là quelque chose de radicalement nouveau. Ce qu’ils n’avaient jamais vu, peut-être : un théâtre de la réalité crue, dénudée, dénuée. » C’est la conclusion du chapeau de son article sur Wielopole, Wielopole de Tadeusz Kantor aux Bouffes du Nord, paru dans Th éâtre Public, n° 39, mai-juin 1981.
Impétueuse, disais-je, et d’autres épithètes affl uent : bondissante, ardente, bouillonnante, bouillante, chaleureuse. Toutes qualités liées au mouvement et à la température, qui marquaient par exemple la conduite d’un séminaire qu’elle a créé et animé à Paris 3, réservé à une poignée d’enseignants de son choix, provenant de diverses disciplines. Sujet : la poétique du texte théâtral. Les aff rontements n’y ont pas manqué. Mais non plus les découvertes. Le groupe informel, dont j’étais, avançait par petits bonds en territoire « chaud » et inexploré. Ce qui était vécu comme une expérience privilégiée dans un monde déjà en train de se fi ger dans un sur-place et de se refroidir.
J’étais, à l’époque, un enseignant novice, invité par Bernard Dort à le remplacer le temps d’une année sabbatique (ça a duré plus longtemps), et je me souviens d’Anne venant assister à mon cours et m’apportant, chaudement, la contradiction. Je me souviens de ma panique. Il a fallu que je lui demande, ce qui l’a fort chagrinée, de me laisser seul avec mes étudiants.
Parmi les ingrédients du « tout d’une pièce Ubersfeld », il y a la gaîté et l’optimisme. Quelque chose d’absolument naturel, y compris dans l’exception. Un accord avec elle-même. Ce qui revient à dire : une aptitude au bonheur. Une résistance aux cahots, une façon de résorber les déceptions, voire les trahisons. De l’indignation, de la colère parfois. Plus fort que tout, constitutive de son être, une générosité. Revenant à la dualité de l’oeuvre comme de la personne, je pense aux bifaces en pierre taillée de l’âge paléolithique, qui étaient d’un seul tenant ; il n’est pas indiff érent que la surface des deux côtés de ces premiers outils humains soit faite de multiples facettes obtenues par éclats. Ainsi travaille, telle est, Anne Ubersfeld.
Métaphore tirée, encore, du règne minéral. Serait-ce parce qu’il est le plus constant dans ses états ? Et en voici une troisième, une dernière : l’oeuvre d’Anne, prise dans son ensemble, évoque une grotte en pays calcaire avec ses salles hautes et vastes et ses galeries longues au dessin imprévisible, ses absides et ses diverticules, ses rotondes, ses puits, ses nefs, ses chatières, ses siphons et ses boyaux, le tout ponctué de stalactites et stalagmites. Rien là d’une ordonnance régulière, mais le parcours est fascinant, les écarts sont extrêmes entre les grandes formes et les étroits conduits, en alternance, qui composent les réseaux par où l’eau (chez Anne le sens) a creusé ses voies.
Michel Vinaver
http://www.pur-editions.fr/couvertures/1309530480_doc.pdf
Pourtant, tout d’une pièce. Qu’est-ce que cette « pièce » ? Peut-être faut-il évoquer la chevalerie et ses penchants, ses vertus. La vaillance et la fi délité, l’endurance. Ni prudence ni frayeur. Rien ne lui plaît davantage qu’une joute, un assaut, une quête périlleuse, un défi , un engagement, la liberté de s’aventurer dans une forêt où les chemins ne sont pas tracés. Mais dans la « pièce Ubersfeld » il y a d’autres ingrédients, qui ont tous à voir avec le goût. Qu’il s’agisse des gens, du théâtre, de la vie, de la cuisine, des continents, là où Anne va, il y a du goût dans l’air. Et de la jouissance. Même quand elle est contre, c’est l’envers de l’amour. Voisin du goût, il y a l’appétit. Voisine de l’appétit, la curiosité. Anne est insatiable dans la recherche de ce qui est innovant, hors champ. Écoutons-la. Je la cite : « Hors de toute mode, les spectateurs voyaient là quelque chose de radicalement nouveau. Ce qu’ils n’avaient jamais vu, peut-être : un théâtre de la réalité crue, dénudée, dénuée. » C’est la conclusion du chapeau de son article sur Wielopole, Wielopole de Tadeusz Kantor aux Bouffes du Nord, paru dans Th éâtre Public, n° 39, mai-juin 1981.
Impétueuse, disais-je, et d’autres épithètes affl uent : bondissante, ardente, bouillonnante, bouillante, chaleureuse. Toutes qualités liées au mouvement et à la température, qui marquaient par exemple la conduite d’un séminaire qu’elle a créé et animé à Paris 3, réservé à une poignée d’enseignants de son choix, provenant de diverses disciplines. Sujet : la poétique du texte théâtral. Les aff rontements n’y ont pas manqué. Mais non plus les découvertes. Le groupe informel, dont j’étais, avançait par petits bonds en territoire « chaud » et inexploré. Ce qui était vécu comme une expérience privilégiée dans un monde déjà en train de se fi ger dans un sur-place et de se refroidir.
J’étais, à l’époque, un enseignant novice, invité par Bernard Dort à le remplacer le temps d’une année sabbatique (ça a duré plus longtemps), et je me souviens d’Anne venant assister à mon cours et m’apportant, chaudement, la contradiction. Je me souviens de ma panique. Il a fallu que je lui demande, ce qui l’a fort chagrinée, de me laisser seul avec mes étudiants.
Parmi les ingrédients du « tout d’une pièce Ubersfeld », il y a la gaîté et l’optimisme. Quelque chose d’absolument naturel, y compris dans l’exception. Un accord avec elle-même. Ce qui revient à dire : une aptitude au bonheur. Une résistance aux cahots, une façon de résorber les déceptions, voire les trahisons. De l’indignation, de la colère parfois. Plus fort que tout, constitutive de son être, une générosité. Revenant à la dualité de l’oeuvre comme de la personne, je pense aux bifaces en pierre taillée de l’âge paléolithique, qui étaient d’un seul tenant ; il n’est pas indiff érent que la surface des deux côtés de ces premiers outils humains soit faite de multiples facettes obtenues par éclats. Ainsi travaille, telle est, Anne Ubersfeld.
Métaphore tirée, encore, du règne minéral. Serait-ce parce qu’il est le plus constant dans ses états ? Et en voici une troisième, une dernière : l’oeuvre d’Anne, prise dans son ensemble, évoque une grotte en pays calcaire avec ses salles hautes et vastes et ses galeries longues au dessin imprévisible, ses absides et ses diverticules, ses rotondes, ses puits, ses nefs, ses chatières, ses siphons et ses boyaux, le tout ponctué de stalactites et stalagmites. Rien là d’une ordonnance régulière, mais le parcours est fascinant, les écarts sont extrêmes entre les grandes formes et les étroits conduits, en alternance, qui composent les réseaux par où l’eau (chez Anne le sens) a creusé ses voies.
Michel Vinaver
http://www.pur-editions.fr/couvertures/1309530480_doc.pdf