© Archives Nationales. Projet pour le prologue d'Aricie (1697, livret de l'abbé Pic et musique de Lacoste ; Archives nationales, O1 *3241, fol 46(a)
Pour illustrer la fabrique des spectacles, fêtes et cérémonies de l’âge classique, les Archives nationales proposent une nouvelle exposition où tout est lustre et sobriété. Il s’agit également de fêter le tricentenaire de la mort de Jean Bérain (ordonnateur des fêtes, ballets et opéras de Louis XIV), disparu le 24 janvier 1711, ainsi que le lancement de la base de données en ligne « Menus Plaisirs du roi », en s’appuyant sur une sélection de documents tirés pour la plupart du très riche fonds des Archives et des recueils d’Antoine Angélique Levesque (l’un des Gardes Généraux des Magasins du Roi au XVIIIe siècle) en particulier.
En six espaces sont ainsi présentés les créateurs du département de l’Argenterie, des Menus Plaisirs et de la Chambre du Roi (Bérain, Torelli, Vigarani, Gissey et les frères Slotz), l’influence de l’Italie, la scénographie de l’Opéra, les machines d’opéra, les fêtes parisiennes et versaillaises, mais aussi, pour finir, les pompes funèbres des Grands imaginées par Bérain, Jean Marot ou Sevin sur des programmes iconographiques détaillés par le père Ménestrier.
La présentation est claire et agréable, les scénographes modernes ayant en particulier la profondeur du vaisseau principal en trois axes : l’allée centrale mène à l’animation d’un dessin de Torelli à retombe (également présent dans une vitrine), qui s’ouvre numériquement devant les spectateurs et les fait entrer dans une forêt magique ; sur les deux côtés, une ouverture dans les châssis clôt la perspective sur la cérémonie funèbre de Marie-Thérèse, et l’autre sur les salons rocaille de l’Hôtel de Soubise, permettant le passage sans solution de continuité du contenu au contenant. Quant à chaque alcôve, elle offre des dessins et projets préparatoires d’une grande qualité et d’une non moins grande fraîcheur : le relief et la luxuriance du dessin de Torelli pour la Finta Pazza (1645) sont saisissants, les couleurs poudrées du palais de Jupiter par les Bibiena (1690) admirables. Certains documents sont en outre tout à fait exceptionnels, comme ce costume de scène du XVIIIe siècle (pièce rarissime en France et même dans le monde) conservé par le Musée Galliera, ou le dessin du cadre de scène du Petit Bourbon (le théâtre de Molière) en 1658.
Grâce à une maquette et à plusieurs modèles scénographiques, le spectateur peut ainsi mieux s’imaginer les manifestations luxueuses de la Cour – et les comparer aux spectacles plus modestes de la Ville esquissés dans le Mémoire de Mahelot et représentés ici par un dessin de Buffequin des années 1640. Emerveillé à son tour, à trois siècles de distance, il comprend mieux la féerie qui présidait à l’esthétique du temps, toute en dieux, magiciennes et monstres fantastiques.
Qu’on ne se méprenne cependant pas : même si les documents iconographiques sont présentés dans des cadres comme des œuvres d’art autonomes, le propos est plus fin. Il s’agit avant tout de révéler les méthodes de travail en jeu dans les monuments éphémères de l’Ancien Régime. En suivant l’épais livret donné à l’entrée, on comprend par exemple comment Bérain reprend les dessins de son prédécesseur Gissey pour créer ses propres costumes : l’aquarelle 27 décalque tout simplement le lavis 31, pour faire d’un Vent froid une Egyptienne (c'est-à-dire une bohémienne diseuse de bonne aventure) ; la plupart des projets de théâtre sont préparés en demi partie qu’il suffisait de reproduire par symétrie pour obtenir le décor complet ; quant aux esquisses de machines, elles sont annotées à profusion pour anticiper le démontage/remontage ou la distance à ménager entre les différentes coulisses afin de créer l’illusion théâtrale propre à ces spectacles.
La diversité des pièces exposées permet en outre de mieux appréhender l’interdépendance des arts sous l’Ancien Régime, puisque les artistes ici mis à l’honneur étaient à la fois décorateurs et créateurs de tous les aspects de la vie somptuaire de leurs commanditaires : non seulement des machines et des décors de fête et de divertissement, mais également de costumes, de mobilier (il faudrait compléter la visite en allant voir la commode réalisée sur le dessin de Bérain présentée à la Wallace Collection de Londres), et de monuments funéraires (les projets du même type imaginés par Charles Garnier et présentés l’an dernier à l’ENSBA en pâlissent piteusement). De la scène à l’église, c’est le même mouvement qui portait cette société en constante représentation qui se révèle : la comparaison entre le projet pour le tombeau de Merlin dans Bradamante et le monument pour le prince de Condé pour ses obsèques à Notre-Dame de Paris en 1687 se passe de commentaire. C’est aussi le travail minutieux d’artistes complets, à la fois dessinateurs, ingénieurs et pyrotechniciens, qui se dévoile sous la fantaisie et l’exubérance d’un autre temps.
Compte rendu par Noémie Courtès.
Paris, Archives nationales, jusqu’au 24 avril 2011.
Un dossier est accessible en ligne : http://www.archivesnationales.culture.gouv.fr/chan/chan/musee/musee-expositions.html
Le catalogue (255 p.) reproduit la totalité des œuvres présentées, accompagnées d’un commentaire qui couronne le labeur de dix années de recherche de Jérôme de La Gorce dans le cadre du laboratoire Pierre Chastel (CNRS).
La base de données est consultable à partir de l’interface ARCHIM à l’adresse http://www.culture.gouv.fr/documentation/archim.accueil.html
En six espaces sont ainsi présentés les créateurs du département de l’Argenterie, des Menus Plaisirs et de la Chambre du Roi (Bérain, Torelli, Vigarani, Gissey et les frères Slotz), l’influence de l’Italie, la scénographie de l’Opéra, les machines d’opéra, les fêtes parisiennes et versaillaises, mais aussi, pour finir, les pompes funèbres des Grands imaginées par Bérain, Jean Marot ou Sevin sur des programmes iconographiques détaillés par le père Ménestrier.
La présentation est claire et agréable, les scénographes modernes ayant en particulier la profondeur du vaisseau principal en trois axes : l’allée centrale mène à l’animation d’un dessin de Torelli à retombe (également présent dans une vitrine), qui s’ouvre numériquement devant les spectateurs et les fait entrer dans une forêt magique ; sur les deux côtés, une ouverture dans les châssis clôt la perspective sur la cérémonie funèbre de Marie-Thérèse, et l’autre sur les salons rocaille de l’Hôtel de Soubise, permettant le passage sans solution de continuité du contenu au contenant. Quant à chaque alcôve, elle offre des dessins et projets préparatoires d’une grande qualité et d’une non moins grande fraîcheur : le relief et la luxuriance du dessin de Torelli pour la Finta Pazza (1645) sont saisissants, les couleurs poudrées du palais de Jupiter par les Bibiena (1690) admirables. Certains documents sont en outre tout à fait exceptionnels, comme ce costume de scène du XVIIIe siècle (pièce rarissime en France et même dans le monde) conservé par le Musée Galliera, ou le dessin du cadre de scène du Petit Bourbon (le théâtre de Molière) en 1658.
Grâce à une maquette et à plusieurs modèles scénographiques, le spectateur peut ainsi mieux s’imaginer les manifestations luxueuses de la Cour – et les comparer aux spectacles plus modestes de la Ville esquissés dans le Mémoire de Mahelot et représentés ici par un dessin de Buffequin des années 1640. Emerveillé à son tour, à trois siècles de distance, il comprend mieux la féerie qui présidait à l’esthétique du temps, toute en dieux, magiciennes et monstres fantastiques.
Qu’on ne se méprenne cependant pas : même si les documents iconographiques sont présentés dans des cadres comme des œuvres d’art autonomes, le propos est plus fin. Il s’agit avant tout de révéler les méthodes de travail en jeu dans les monuments éphémères de l’Ancien Régime. En suivant l’épais livret donné à l’entrée, on comprend par exemple comment Bérain reprend les dessins de son prédécesseur Gissey pour créer ses propres costumes : l’aquarelle 27 décalque tout simplement le lavis 31, pour faire d’un Vent froid une Egyptienne (c'est-à-dire une bohémienne diseuse de bonne aventure) ; la plupart des projets de théâtre sont préparés en demi partie qu’il suffisait de reproduire par symétrie pour obtenir le décor complet ; quant aux esquisses de machines, elles sont annotées à profusion pour anticiper le démontage/remontage ou la distance à ménager entre les différentes coulisses afin de créer l’illusion théâtrale propre à ces spectacles.
La diversité des pièces exposées permet en outre de mieux appréhender l’interdépendance des arts sous l’Ancien Régime, puisque les artistes ici mis à l’honneur étaient à la fois décorateurs et créateurs de tous les aspects de la vie somptuaire de leurs commanditaires : non seulement des machines et des décors de fête et de divertissement, mais également de costumes, de mobilier (il faudrait compléter la visite en allant voir la commode réalisée sur le dessin de Bérain présentée à la Wallace Collection de Londres), et de monuments funéraires (les projets du même type imaginés par Charles Garnier et présentés l’an dernier à l’ENSBA en pâlissent piteusement). De la scène à l’église, c’est le même mouvement qui portait cette société en constante représentation qui se révèle : la comparaison entre le projet pour le tombeau de Merlin dans Bradamante et le monument pour le prince de Condé pour ses obsèques à Notre-Dame de Paris en 1687 se passe de commentaire. C’est aussi le travail minutieux d’artistes complets, à la fois dessinateurs, ingénieurs et pyrotechniciens, qui se dévoile sous la fantaisie et l’exubérance d’un autre temps.
Compte rendu par Noémie Courtès.
Paris, Archives nationales, jusqu’au 24 avril 2011.
Un dossier est accessible en ligne : http://www.archivesnationales.culture.gouv.fr/chan/chan/musee/musee-expositions.html
Le catalogue (255 p.) reproduit la totalité des œuvres présentées, accompagnées d’un commentaire qui couronne le labeur de dix années de recherche de Jérôme de La Gorce dans le cadre du laboratoire Pierre Chastel (CNRS).
La base de données est consultable à partir de l’interface ARCHIM à l’adresse http://www.culture.gouv.fr/documentation/archim.accueil.html