Credits: Jean-François Gaultier
Shakespeare a décidemment toujours la cote en France. Quelle pièce ? Toutes.
En tout cas dans le spectacle de la compagnie foraine Attention fragile. En trois heures. Alors évidemment, ça n’est pas orthodoxe, tout ça. Mais ça marche comme rarement.
Sous une tente minuscule, devant une vieille roulotte et seul en scène, Gilles Cailleau égrène, compacte, malaxe et maltraite les trente-sept pièces du Barde pour en extraire le rire. Parfois une à une, parfois deux par deux et jusqu’à trois par trois lorsque la comparaison a du sens. Sur le ton de la confidence, il raconte l’odyssée de l’improbable compagnie d’Antoine Garamond et de ses trois acteurs, entraînés sur les routes par l’amour de Shakespeare. Les trois personnages sont tellement bien campés qu’on se prend de sympathie pour Antoine, le père, fanatique de Shakespeare, capable de jouer du violon, du violoncelle ou de l’accordéon pour accompagner ses contes, mais aussi pour ses deux fils, l’un adolescent timide, l’autre irrésistible enfant en barboteuse sphérique. Avec eux, on fait le tour des intrigues plus ou moins alambiquées ou sanglantes, drôles ou émouvantes. Parfois avec un monologue, parfois laconiquement, en une phrase ou quelques mimiques. Un objet suffit souvent à créer l’illusion et la roulotte déborde de trucs et de machins qui, adroitement utilisés, viennent suggérer telle ou telle histoire, tel ou tel personnage. Tous les plus célèbres y passent, bien sûr, Hamlet, Othello, Lear, mais aucun n’est oublié, pour peu qu’il ne fasse pas peur au petit Garamond ou qu’il intéresse son père. A force d’acrobaties (sur trois chaises), de ralenti mimé (quasi cinématographique), de pirouettes verbales bien sûr, pour le plus grand plaisir du public.
L’aspect le plus intéressant du spectacle est d’ailleurs dans l’interaction continuelle avec l’auditoire. Tous les prétextes sont bons à des improvisations, sur un incident imprévu ou une exclamation du public, et c’est parfois un miracle que la pièce puisse finir comme Shakespeare l’a écrite (Le Conte d’hiver en particulier est attaqué jusque dans ses derniers retranchements : les chasseurs refusent d’y tuer les princesses et les biches, et la mère de Bambi préfère se suicider). Surtout, les spectateurs sont invités à participer activement à l’action pour résumer une pièce ou incarner un protagoniste, ce qu’ils font avec enthousiasme, dans de grands éclats de rire. Tout peut alors arriver : vous pouvez vous retrouver à boire un philtre fatal ou être transformé en crapaud. Le Roméo de la 481e (choisi au hasard dans l’assistance) était ainsi épatant : mime excellent, après avoir reposé très soigneusement la fiole de poison sur son étagère, il est mort avec panache… et a été fort applaudi. Quant au finale du spectacle et de La Tempête, il a présenté en exclusivité une mouette effarouchée, une reinette ravie et un sous-bois inoubliable.
Décontenancés, bousculés, abasourdis, les spectateurs sont finalement enchantés et ressortent après avoir beaucoup ri et probablement avec l’envie d’aller lire au plus vite les pièces de Shakespeare pour en savoir un peu plus, et pour prolonger cet exceptionnel moment de grâce scénique.
Mais pourquoi toujours et seulement Shakespeare ? Qui relèvera le défi de monter pareillement l’intégrale Corneille, tout aussi riche, et qui pourrait être tout aussi drôle si elle rencontrait un comédien aussi prodigieux que Gilles Cailleau ?
Compte rendu par Noémie Courtès
Le spectacle a fait tente comble à la Cartoucherie au mois de janvier, mais continue sa tournée en Picardie : à Laon du 7 au 10 juin, à Erquery du 14 au 17 juin et à Soissons du 21 au 24 juin 2011.
Site de la compagnie : http://www.attentionfragile.net/
Un livre est également paru : Le Tour complet du cœur (Toutes les pièces de William Shakespeare), Les Cahiers de l’égaré, 2010, 96 p. (illustré de photographies en couleur du spectacle) (17 euros port inclus sur le site).
En tout cas dans le spectacle de la compagnie foraine Attention fragile. En trois heures. Alors évidemment, ça n’est pas orthodoxe, tout ça. Mais ça marche comme rarement.
Sous une tente minuscule, devant une vieille roulotte et seul en scène, Gilles Cailleau égrène, compacte, malaxe et maltraite les trente-sept pièces du Barde pour en extraire le rire. Parfois une à une, parfois deux par deux et jusqu’à trois par trois lorsque la comparaison a du sens. Sur le ton de la confidence, il raconte l’odyssée de l’improbable compagnie d’Antoine Garamond et de ses trois acteurs, entraînés sur les routes par l’amour de Shakespeare. Les trois personnages sont tellement bien campés qu’on se prend de sympathie pour Antoine, le père, fanatique de Shakespeare, capable de jouer du violon, du violoncelle ou de l’accordéon pour accompagner ses contes, mais aussi pour ses deux fils, l’un adolescent timide, l’autre irrésistible enfant en barboteuse sphérique. Avec eux, on fait le tour des intrigues plus ou moins alambiquées ou sanglantes, drôles ou émouvantes. Parfois avec un monologue, parfois laconiquement, en une phrase ou quelques mimiques. Un objet suffit souvent à créer l’illusion et la roulotte déborde de trucs et de machins qui, adroitement utilisés, viennent suggérer telle ou telle histoire, tel ou tel personnage. Tous les plus célèbres y passent, bien sûr, Hamlet, Othello, Lear, mais aucun n’est oublié, pour peu qu’il ne fasse pas peur au petit Garamond ou qu’il intéresse son père. A force d’acrobaties (sur trois chaises), de ralenti mimé (quasi cinématographique), de pirouettes verbales bien sûr, pour le plus grand plaisir du public.
L’aspect le plus intéressant du spectacle est d’ailleurs dans l’interaction continuelle avec l’auditoire. Tous les prétextes sont bons à des improvisations, sur un incident imprévu ou une exclamation du public, et c’est parfois un miracle que la pièce puisse finir comme Shakespeare l’a écrite (Le Conte d’hiver en particulier est attaqué jusque dans ses derniers retranchements : les chasseurs refusent d’y tuer les princesses et les biches, et la mère de Bambi préfère se suicider). Surtout, les spectateurs sont invités à participer activement à l’action pour résumer une pièce ou incarner un protagoniste, ce qu’ils font avec enthousiasme, dans de grands éclats de rire. Tout peut alors arriver : vous pouvez vous retrouver à boire un philtre fatal ou être transformé en crapaud. Le Roméo de la 481e (choisi au hasard dans l’assistance) était ainsi épatant : mime excellent, après avoir reposé très soigneusement la fiole de poison sur son étagère, il est mort avec panache… et a été fort applaudi. Quant au finale du spectacle et de La Tempête, il a présenté en exclusivité une mouette effarouchée, une reinette ravie et un sous-bois inoubliable.
Décontenancés, bousculés, abasourdis, les spectateurs sont finalement enchantés et ressortent après avoir beaucoup ri et probablement avec l’envie d’aller lire au plus vite les pièces de Shakespeare pour en savoir un peu plus, et pour prolonger cet exceptionnel moment de grâce scénique.
Mais pourquoi toujours et seulement Shakespeare ? Qui relèvera le défi de monter pareillement l’intégrale Corneille, tout aussi riche, et qui pourrait être tout aussi drôle si elle rencontrait un comédien aussi prodigieux que Gilles Cailleau ?
Compte rendu par Noémie Courtès
Le spectacle a fait tente comble à la Cartoucherie au mois de janvier, mais continue sa tournée en Picardie : à Laon du 7 au 10 juin, à Erquery du 14 au 17 juin et à Soissons du 21 au 24 juin 2011.
Site de la compagnie : http://www.attentionfragile.net/
Un livre est également paru : Le Tour complet du cœur (Toutes les pièces de William Shakespeare), Les Cahiers de l’égaré, 2010, 96 p. (illustré de photographies en couleur du spectacle) (17 euros port inclus sur le site).
credits: Jean-François Gaultier