Le Roi Cymbeline (la foret) @ Antoine Agoudjian.jpg
La question se pose indubitablement après le spectacle Le Roi Cymbeline, mis en scène par Hélène Cinque à la Cartoucherie.
Les spectateurs sont heureux en sortant : ils ont ri, ils ont vu une drôle d’histoire (échevelée, mais c’est ça qui la rend drôle) et ils n’ont pas perdu leur temps malgré les quatre heures de représentation.
Mais ce n’est plus du Shakespeare…
La première difficulté, c’est le texte. La traduction-adaptation modernisée d’Ariane Bégoin fait des coupes claires dans cette pièce inclassable, qui passe d’un statut approximatif de « masque » à celui de « conte fantastique » au Théâtre du Soleil ; en fait, plutôt de comédie (au sens français contemporain). Toute la poésie de l’original est supprimée dans le transfert ; il n’y a plus de monologue. Finalement, le texte ne fait plus « sens » que dans les commentaires des critiques puisqu’il n’y a plus la moindre épaisseur dans les personnages : et de fait, la gestuelle remplace le contenu des répliques sabrées (d’où la longueur, pour ne pas dire les longueurs : chasse à l’ours et accueil de l’émissaire romain en particulier).
Ensuite, il y a la mise en scène. Pourquoi transformer Imogène, la jeune première (résolument femme forte chez Shakespeare malgré sa fragilité obligée) en Bécassine avant l’entracte, puis en Princesse Léia après (cascades comprises dans la scène de la bataille) ? Le spectacle tourne alors à la parodie, mais pas du texte original puisque les spectateurs ne peuvent le connaître : ils rient davantage aux clins d’œil culturels actuels qu’aux facéties originales, aplaties, du Prince Cloten (le comédien a probablement été embarrassé par ce rôle de « clown », de pleutre vantard obsédé par le viol d’Imogène).
Cela tourne au burlesque, à la grosse farce parce qu’il n’y a plus que cela à faire d’un texte énervé. Contre-sens pour les puristes, cas d’école pour les autres : comment représenter une œuvre inconnue du public, traduite, à quatre cents ans d’écart ? Passe encore lorsqu’il s’agit d’un texte devenu canonique par une tradition ininterrompue de reprises et de réécritures (qu’on pense au Roméo et Juliette sidérant vu récemment à une heure impossible à la télévision, interprété par deux lycées parisiens). Mais lorsque le texte a perdu son contexte et complètement son actualité ? Cymbeline devient dans la note d’intention un « kaléidoscope », les pensées des personnages deviennent « déroutantes, voire déconcertantes comme le sont les contes »… alors même que les « aspects politiques » (!) de la pièce sont mis en avant… La question ne vaut pas que pour Shakespeare (même si la traduction amplifie évidemment le problème) et pour 1610 : comment représenter les premières « comédies » de Pierre Corneille (grinçantes, avant Anouilh) ou tenter de ressusciter La Muette de Portici ? C’est pourtant écrit en français et cela a connu un succès énorme en son temps…
Alors, faut-il se résoudre à ne plus représenter ces textes anciens ? à ne plus les moderniser ? à ne plus chercher à les rendre accessibles au public d’aujourd’hui ? Evidemment que non. Mais un peu plus de rigueur dans la présentation devrait au moins obliger à signaler plus clairement le « librement adapté de ». Parce que la bonne foi de la metteuse en scène n’est pas en cause : elle croit visiblement à son projet. Mais c’est une autre pièce qui a été jouée que le Cymbeline, King of Britain écrit par le grand Will.
L’interrogation est-elle sans solution ? probablement. Elle n’est pourtant pas sans réponses heureusement. A chaque fois qu’on remet sur la scène une pièce, même la plus oubliée (parce qu’il y a des injustices dans le tri de l’histoire), avec intelligence et fantaisie (parce qu’on est tout de même libre d’interpréter sur nouveaux frais un texte ancien) ! Avec un génie surtout, qui n’est pas donné à tout le monde, parce qu’il respecte l’intégrité du texte et oblige le public à davantage d’exigence.
Compte rendu par Noémie Courtès
Paris, Cartoucherie de Vincennes, Théâtre du Soleil, reprise du 8 mars au 29 avril 2012.
Informations en ligne sur le site de la compagnie : http://compagnie.idr.free.fr/IDR/index.php?option=com_content&task=view&id=54&Itemid=79
Note d’intention : http://compagnie.idr.free.fr/IDR/index.php?option=com_content&task=view&id=55&Itemid=82
Une critique parmi d’autres (des représentations de 2011) : http://unfauteuilpourlorchestre.com/le-roi-cymbeline-tragi-comedie-dapres-shakespeare-au-theatre-du-soleil/
Entretien avec Hélène Cinque : http://www.youtube.com/watch?v=WV9DlcaSUG8
A propos du Roméo et Juliette d’Alain Sachs sur une idée de la BBC : http://www.actualitte.com/actualite/culture-arts-lettres/theatre/france-2-nocturne-ratee-pour-romeo-et-juliette-33746.htm et vidéo : http://www.youtube.com/watch?v=gPdSGMVKtHo
Les spectateurs sont heureux en sortant : ils ont ri, ils ont vu une drôle d’histoire (échevelée, mais c’est ça qui la rend drôle) et ils n’ont pas perdu leur temps malgré les quatre heures de représentation.
Mais ce n’est plus du Shakespeare…
La première difficulté, c’est le texte. La traduction-adaptation modernisée d’Ariane Bégoin fait des coupes claires dans cette pièce inclassable, qui passe d’un statut approximatif de « masque » à celui de « conte fantastique » au Théâtre du Soleil ; en fait, plutôt de comédie (au sens français contemporain). Toute la poésie de l’original est supprimée dans le transfert ; il n’y a plus de monologue. Finalement, le texte ne fait plus « sens » que dans les commentaires des critiques puisqu’il n’y a plus la moindre épaisseur dans les personnages : et de fait, la gestuelle remplace le contenu des répliques sabrées (d’où la longueur, pour ne pas dire les longueurs : chasse à l’ours et accueil de l’émissaire romain en particulier).
Ensuite, il y a la mise en scène. Pourquoi transformer Imogène, la jeune première (résolument femme forte chez Shakespeare malgré sa fragilité obligée) en Bécassine avant l’entracte, puis en Princesse Léia après (cascades comprises dans la scène de la bataille) ? Le spectacle tourne alors à la parodie, mais pas du texte original puisque les spectateurs ne peuvent le connaître : ils rient davantage aux clins d’œil culturels actuels qu’aux facéties originales, aplaties, du Prince Cloten (le comédien a probablement été embarrassé par ce rôle de « clown », de pleutre vantard obsédé par le viol d’Imogène).
Cela tourne au burlesque, à la grosse farce parce qu’il n’y a plus que cela à faire d’un texte énervé. Contre-sens pour les puristes, cas d’école pour les autres : comment représenter une œuvre inconnue du public, traduite, à quatre cents ans d’écart ? Passe encore lorsqu’il s’agit d’un texte devenu canonique par une tradition ininterrompue de reprises et de réécritures (qu’on pense au Roméo et Juliette sidérant vu récemment à une heure impossible à la télévision, interprété par deux lycées parisiens). Mais lorsque le texte a perdu son contexte et complètement son actualité ? Cymbeline devient dans la note d’intention un « kaléidoscope », les pensées des personnages deviennent « déroutantes, voire déconcertantes comme le sont les contes »… alors même que les « aspects politiques » (!) de la pièce sont mis en avant… La question ne vaut pas que pour Shakespeare (même si la traduction amplifie évidemment le problème) et pour 1610 : comment représenter les premières « comédies » de Pierre Corneille (grinçantes, avant Anouilh) ou tenter de ressusciter La Muette de Portici ? C’est pourtant écrit en français et cela a connu un succès énorme en son temps…
Alors, faut-il se résoudre à ne plus représenter ces textes anciens ? à ne plus les moderniser ? à ne plus chercher à les rendre accessibles au public d’aujourd’hui ? Evidemment que non. Mais un peu plus de rigueur dans la présentation devrait au moins obliger à signaler plus clairement le « librement adapté de ». Parce que la bonne foi de la metteuse en scène n’est pas en cause : elle croit visiblement à son projet. Mais c’est une autre pièce qui a été jouée que le Cymbeline, King of Britain écrit par le grand Will.
L’interrogation est-elle sans solution ? probablement. Elle n’est pourtant pas sans réponses heureusement. A chaque fois qu’on remet sur la scène une pièce, même la plus oubliée (parce qu’il y a des injustices dans le tri de l’histoire), avec intelligence et fantaisie (parce qu’on est tout de même libre d’interpréter sur nouveaux frais un texte ancien) ! Avec un génie surtout, qui n’est pas donné à tout le monde, parce qu’il respecte l’intégrité du texte et oblige le public à davantage d’exigence.
Compte rendu par Noémie Courtès
Paris, Cartoucherie de Vincennes, Théâtre du Soleil, reprise du 8 mars au 29 avril 2012.
Informations en ligne sur le site de la compagnie : http://compagnie.idr.free.fr/IDR/index.php?option=com_content&task=view&id=54&Itemid=79
Note d’intention : http://compagnie.idr.free.fr/IDR/index.php?option=com_content&task=view&id=55&Itemid=82
Une critique parmi d’autres (des représentations de 2011) : http://unfauteuilpourlorchestre.com/le-roi-cymbeline-tragi-comedie-dapres-shakespeare-au-theatre-du-soleil/
Entretien avec Hélène Cinque : http://www.youtube.com/watch?v=WV9DlcaSUG8
A propos du Roméo et Juliette d’Alain Sachs sur une idée de la BBC : http://www.actualitte.com/actualite/culture-arts-lettres/theatre/france-2-nocturne-ratee-pour-romeo-et-juliette-33746.htm et vidéo : http://www.youtube.com/watch?v=gPdSGMVKtHo