(c) J.-C. Yon
Professeur à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, Jean-Claude Yon a exploré minutieusement la culture, la politique, la société mais aussi cet empire que fut le théâtre au XIXe siècle. Il a apporté une contribution majeure aux études théâtrales et à l'histoire culturelle en développant une recherche de nature pluridisplinaire. On lui doit ainsi des ouvrages fondamentaux qui ont éclairé l'univers des spectacles tels que Eugène Scribe, la fortune et la liberté (2000), Jacques Offenbach (2000), Histoire culturelle de la France au XIXe siècle (2010), Le Second Empire, politique, société, culture (2012), Une Histoire du théâtre à Paris de la Révolution à la Grande Guerre (2012) ainsi que des directions ouvrages qui ont fait date comme par exemple Le Théâtre français à l’étranger au XIXe siècle. Histoire d’une suprématie culturelle (2008), Les Spectacles sous le Second Empire (2010), et Tréteaux et paravents. Le théâtre de société au XIXe siècle (2012).
S.C. - Pourriez-vous décrire brièvement votre parcours ?
Jean-Claude Yon. - J’ai un parcours assez classique : Ecole Normale Supérieure de Fontenay-Saint-Cloud, agrégation, doctorat et habilitation à diriger des recherches. J’ai eu la chance d’être rapidement élu maître de conférences et de trouver dans le Centre d’Histoire culturelle des sociétés contemporaines (CHCSC) de l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines un laboratoire qui correspondait parfaitement à mes recherches. J’en suis depuis 2006 le directeur adjoint. Dès 1996, j’ai pu créer (avec Emmanuelle Loyer) le séminaire d’histoire du spectacle vivant (XIXe-XXe siècles) que j’anime désormais avec Graça Dos Santos et qui a lieu à la Société d’Histoire du Théâtre à Paris. Seule une « jeune » université offre de telles opportunités aux chercheurs débutants. Le CHCSC a été et reste pionnier en histoire culturelle et c’est formidable de participer à cette aventure. Par ailleurs, en parallèle à ma carrière universitaire, j’ai eu la possibilité d’être durant une douzaine d’années chargé de recherches au musée d’Orsay où j’ai organisé douze expositions-dossiers sur les spectacles. Cela m’a beaucoup appris.
Pourquoi avoir choisi le XIXe siècle et en particulier Eugène Scribe et Offenbach ?
Le XIXe siècle, c’est une passion depuis l’enfance ! Je me définis avant tout comme dix-neuviémiste et j’apprécie de pouvoir traiter dans mes cours d’histoire tous les aspects de cette période d’une richesse extraordinaire. En maîtrise, j’ai travaillé sur le notariat parisien. Cela peut sembler un sujet austère mais j’ai beaucoup aimé étudier cette profession et mon mémoire m’a très bien préparé au dépouillement d’archives. Ma directrice de recherche était Adeline Daumard, la spécialiste de la bourgeoisie au XIXe siècle, et c’est elle qui m’a signalé l’existence d’un fonds Scribe. Comme j’avais envie de travailler sur les spectacles, j’ai saisi cette occasion et j’ai consacré ma thèse à Eugène Scribe, un auteur fondamental pour comprendre les spectacles au XIXe siècle. Pour Offenbach, que j’ai découvert adolescent, j’ai d’abord eu la possibilité de faire en 1996 une exposition sur lui au musée d’Orsay. L’éditeur Georges Liébert m’a ensuite proposé d’écrire la biographie du musicien en m’offrant d’excellentes conditions de travail et en m’ouvrant les portes de Gallimard. Avec Scribe et Offenbach, j’ai disposé de deux remarquables « postes d’observation » pour étudier les spectacles de cette époque. La biographie a longtemps été un genre décrié dans le monde universitaire mais le rythme particulier qu’elle induit permet de comprendre finement des phénomènes complexes.
Qu’est-ce qui caractérise les spectacles sous le Second Empire ? Comment définiriez-vous cette période ?
J’étudie le « long XIXe siècle », de 1789 à 1914. Mais il est difficile d’avoir une compétence égale sur 130 années et j’ai privilégié l’étude du Second Empire (1851-1870), période qui constitue mon deuxième thème de spécialisation après l’histoire des spectacles. J’ai travaillé sur le Second Empire en général et plus particulièrement sur l’histoire culturelle de ce régime envers lequel l’histoire universitaire a longtemps eu des préventions. En 2009, j’ai voulu réunir mes deux thèmes de recherche à travers un colloque publié l’année suivante chez Armand Colin. Les études réunies dans ce volume montrent que le Second Empire est une période de transition pour les spectacles. Ce que j’ai appelé dans mon dernier livre (Une histoire du théâtre à Paris de la Révolution à la Grande Guerre, Aubier, 2012) la « dramatocratie » commence à décliner face aux prémices d’une culture de masse dont l’opérette d’Offenbach est l’une des incarnations. Les modalités de ce passage sont passionnantes à analyser et le livre cherche à dresser un panorama le plus complet possible, des cafés-concerts à l’architecture théâtrale, des marionnettes à la législation.
Qu’est-ce qui vous étonne ou fascine le plus par rapport à la vie culturelle de l’époque ?
Ce qui est fascinant dans le XIXe siècle, c’est la puissance. La vie culturelle n’y échappe pas et on reste confondu devant la productivité des artistes, des écrivains, des musiciens. 32.000 pièces ont été créées à Paris entre 1800 et 1900 ! C’est vraiment tout un continent à découvrir, non en explorateurs coloniaux convaincus de la supériorité du XXIe siècle mais avec l’humilité du chercheur qui n’impose pas abruptement ses grilles de lecture. Le XIXe siècle peut sembler très proche et ce qu’il nous a légué dans tous les domaines est encore très présent dans notre vie quotidienne, sans même que nous en soyons conscients. Mais ce XIXe siècle apparemment si familier est aussi très loin de nous et beaucoup plus différent qu’on ne le pense. En ce moment, je prépare un livre de photographies sur le patrimoine des salles de théâtre parisiennes du XIXe siècle. Ce sont des salles où nous avons tous l’habitude d’aller assister à des représentations et qui peuvent nous sembler banales. Mais elles ont été conçues pour des usages qui ne sont plus les nôtres et c’est passionnant de les redécouvrir en prenant en compte ces usages.
Vous animez un séminaire intitulé « histoire du spectacle vivant – XIXe-XXe siècles » qui a donné lieu à de nombreux colloques et journées d’études. Quels sont vos prochains projets et qu’aimeriez-vous développer dans le futur ?
Ce séminaire est avant tout un lieu de rencontre et d’échange et Graça et moi veillons à ce qu’il soit pluridisciplinaire et ouvert à tous les chercheurs, de toutes générations. Recevoir Robert Abirached est un privilège. Le mois suivant, l’invité peut être un doctorant. Pour ce qui est des projets de colloques et de journées d’études, nous sommes impliqués dans un programme de recherche sur la mondialisation culturelle au XIXe siècle, développé notamment avec le Brésil. La circulation internationale des répertoires au XIXe siècle est un champ de recherche où il reste beaucoup à faire. J’y ai consacré en 2008 une publication collective et il y a encore de longues études à mener, notamment en mettant sur pied des réseaux de chercheurs sur tous les continents. Le prochain Congrès de la Société des Etudes Romantiques et Dix-neuviémistes (SERD), dont je suis vice-président, est consacré aux « mondes du spectacle au XIXe siècle » et ce thème y sera bien sûr traité. Par ailleurs, je co-dirige avec Joël Huthwhol, directeur du département des Arts du spectacle de la Bibliothèque nationale de France, et avec Isabelle Moindrot, professeur à Paris 8, un programme de recherche intitulé « Patrimoine du spectacle : en scène ! », dans le cadre du Labex Patrima et du Labex Arts H2H. Nous réfléchissons notamment à la valorisation par les outils numériques de ce patrimoine par essence éphémère.
Quels sont les aspects de la vie culturelle du XIXe siècle qui restent selon vous mal interprétés ou peu étudiés ?
Il y en a plein car le XIXe siècle a longtemps pâti d’a priori tellement ancrés en nous qu’on ne s’en aperçoit plus. En ce sens, le passage au XXIe siècle est une bonne chose car il instaure une certaine distance. Les réflexions sur le genre et la mondialisation, les études post-coloniales, les interrogations sur les liens entre fiction et histoire, bref tous ces questionnements à la mode peuvent donner des résultats intéressants quand on les utilise pour étudier la vie culturelle du XIXe siècle, du moins si on les manie avec délicatesse et subtilité et sans esprit partisan. Je crois aussi beaucoup, pour l’histoire du spectacle, à l’intérêt de rencontres entre spécialistes des différentes périodes. Du fait du fonctionnement universitaire, ces rencontres sont encore assez rares. Mais cela commence. Dans le cadre d’un cycle de conférences sur « Paris sur scène » que j’ai co-organisé à l’Ecole du Louvre en 2011-2012, j’ai pu ainsi faire intervenir des chercheurs d’horizons variés ; la conférence de Darwin Smith sur le théâtre médiéval, par les comparaisons qu’elle suscitait, m’a aidé à approfondir ma compréhension de ce qui se passait au XIXe siècle.
Quelles sont les meilleures méthodes à adopter lorsque l’on mène à la fois des études historiques et théâtrales ?
Il me semble d’abord primordial de travailler dans une optique pluridisciplinaire et de collaborer avec les spécialistes de lettres, de musicologie, de langues, d’études théâtrales, etc. Les approches se complètent et s’enrichissent les unes les autres. Au sein de cette collaboration des disciplines, l’historien me semble être plus spécialement destiné à opérer la mise en contexte des œuvres. Il ne s’agit pas de nier le phénomène particulièrement mystérieux de la création mais de le contextualiser, de comprendre comment il est en partie tributaire de certaines contingences. Par exemple, il est impossible d’étudier la carrière d’Offenbach si on ne connaît rien au « système du privilège » qui encadrait la vie théâtrale en France au XIXe siècle. Sans cette clé de lecture, on n’y comprend rien ! L’historien, de plus, est bien placé, du fait de sa formation, pour trouver de nouvelles archives qui vont venir éclairer l’activité théâtrale. J’ai par exemple consulté des sources judiciaires pour étudier le droit de siffler dans les salles au XIXe siècle, un droit auquel le public – beaucoup plus réactif que de nos jours – était très attaché. Dans le traitement de ces différentes sources, enfin, l’historien fait preuve d’une grande prudence et d’une grande modestie. Tout est toujours plus compliqué qu’on ne le pense. Un événement n’est pas le produit d’une seule cause et les théories les plus brillantes résistent rarement à l’épreuve d’une étude minutieuse et « honnête » des faits. Cela peut sembler décevant mais c’est en fait exaltant !
Entretien par Sabine Chaouche.
Entretien par Sabine Chaouche.
Bibliographie : principales publications
Ouvrages
Offenbach, catalogue d’exposition rédigé avec Laurent Fraison, Réunion des Musées Nationaux, Les Dossiers du Musée d’Orsay n°58, 1996.
Théophile Gautier, la critique en liberté, catalogue d’exposition rédigé avec Stéphane Guégan, Réunion des Musées Nationaux, Les Dossiers du Musée d’Orsay n°62, 1997.
Eugène Scribe, la fortune et la liberté, Librairie Nizet, 2000.
Jacques Offenbach, Gallimard, coll. NRF Biographies, 2000, réédition 2010.
Histoire culturelle de la France au XIXe siècle, Armand Colin, coll. U, 2010.
Une Histoire du théâtre à Paris de la Révolution à la Grande Guerre, Paris, Aubier, 2012.
Le Second Empire, politique, société, culture, Armand Colin, coll. U, 2004, 2e édition revue et augmentée, 2012.
Offenbach, catalogue d’exposition rédigé avec Laurent Fraison, Réunion des Musées Nationaux, Les Dossiers du Musée d’Orsay n°58, 1996.
Théophile Gautier, la critique en liberté, catalogue d’exposition rédigé avec Stéphane Guégan, Réunion des Musées Nationaux, Les Dossiers du Musée d’Orsay n°62, 1997.
Eugène Scribe, la fortune et la liberté, Librairie Nizet, 2000.
Jacques Offenbach, Gallimard, coll. NRF Biographies, 2000, réédition 2010.
Histoire culturelle de la France au XIXe siècle, Armand Colin, coll. U, 2010.
Une Histoire du théâtre à Paris de la Révolution à la Grande Guerre, Paris, Aubier, 2012.
Le Second Empire, politique, société, culture, Armand Colin, coll. U, 2004, 2e édition revue et augmentée, 2012.
Direction d’ouvrages
[Avec Pascale Goetschel], Directeurs de théâtre (XIXe-XXe siècles), Histoire d’une profession, Paris, Publications de la Sorbonne, 2008.
Le Théâtre français à l’étranger au XIXe siècle. Histoire d’une suprématie culturelle, Paris, Nouveau Monde Editions, 2008.
Les Spectacles sous le Second Empire, Paris, Armand Colin, 2010.
[Avec Nathalie Le Gonidec], Tréteaux et paravents. Le théâtre de société au XIXe siècle, Paris, Créaphis Editions, 2012.
[Avec Pascale Goetschel], Directeurs de théâtre (XIXe-XXe siècles), Histoire d’une profession, Paris, Publications de la Sorbonne, 2008.
Le Théâtre français à l’étranger au XIXe siècle. Histoire d’une suprématie culturelle, Paris, Nouveau Monde Editions, 2008.
Les Spectacles sous le Second Empire, Paris, Armand Colin, 2010.
[Avec Nathalie Le Gonidec], Tréteaux et paravents. Le théâtre de société au XIXe siècle, Paris, Créaphis Editions, 2012.
Divers
Réédition et introduction de : Félix Clément et Pierre Larousse, Dictionnaire des opéras, [1905], Bibliothèque des Introuvables, 1999
Réédition et introduction de : Charles Nuitter, Le Nouvel Opéra, [1875], Bibliothèque des Introuvables, 2001.
Etablissement du livret de La Belle Hélène d’Offenbach, Meilhac et Halévy et introduction de la partition (texte traduit en allemand et en anglais) pour les éditions Bärenreiter (Kassel, Allemagne), 2008.
Edition d’Un fil à la patte de Georges Feydeau en Folio-Théâtre (n°145), Gallimard, 2013.
Réédition et introduction de : Félix Clément et Pierre Larousse, Dictionnaire des opéras, [1905], Bibliothèque des Introuvables, 1999
Réédition et introduction de : Charles Nuitter, Le Nouvel Opéra, [1875], Bibliothèque des Introuvables, 2001.
Etablissement du livret de La Belle Hélène d’Offenbach, Meilhac et Halévy et introduction de la partition (texte traduit en allemand et en anglais) pour les éditions Bärenreiter (Kassel, Allemagne), 2008.
Edition d’Un fil à la patte de Georges Feydeau en Folio-Théâtre (n°145), Gallimard, 2013.