Dans le cadre du séminaire de son équipe de recherche EA 3959 du 9 décembre 2010, Gilles Declercq avait invité le grand spécialiste de Molière, Claude Bourqui, pour parler de « Comédie et philosophie chez Molière ». Claude Bourqui, dont on connaît les Sources de Molière, plusieurs éditions de pièces de ce dramaturge chez LGF : les Précieuses ridicules, le Médecin malgré lui, les Femmes savantes, le Misanthrope, vient de diriger avec Georges Forestier, la nouvelle édition critique des Œuvres complètes de Molière, parue en 2010 en 2 vol., dans la collection Bibliothèque de La Pléiade de Gallimard.
Pour éclairer son propos sur la philosophie de Molière, Claude Bourqui a utilisé la base de données intertextuelle « Molière 21 », qu’il vient de créer avec Georges Forestier, en complémentarité avec l’édition papier. Il a illustré sa démonstration en utilisant des extraits de textes de Molière issus de la base de données, outil essentiel de sa démarche d’intertextualité.
Parler de l’importance du thème philosophique chez Molière est nouveau : jusqu’ici la critique de Molière et les études théâtrales ont surtout insisté sur ses qualités d’homme de théâtre, d’auteur dramatique et de comédien. Pourtant, selon Claude Bourqui, le discours philosophique est central chez Molière. Il est en interaction avec les débats contemporains, et avec des publications qu’il a pu consulter lui-même ou avoir connues, en en entendant parler autour de lui. Le public du Petit-Bourbon, puis celui du Palais-Royal, où joue Molière, comprend moins de bourgeois que de spectateurs issus des milieux mondains. C’est à eux d’abord qu’il destine son théâtre. Molière écrit pour un public mondain et cultivé, celui de la Cour, des salons et des Lettrés, qui s’intéresse à la philosophie au sens large, impliquant l’explication physique du monde. Molière veut entrer en connivences avec lui en lui proposant des communautés de valeurs qu’il dénonce ou qu’il approuve : il va le séduire par ses parodies, sa complicité, ses provocations, son humour.
Pour éclairer son propos sur la philosophie de Molière, Claude Bourqui a utilisé la base de données intertextuelle « Molière 21 », qu’il vient de créer avec Georges Forestier, en complémentarité avec l’édition papier. Il a illustré sa démonstration en utilisant des extraits de textes de Molière issus de la base de données, outil essentiel de sa démarche d’intertextualité.
Parler de l’importance du thème philosophique chez Molière est nouveau : jusqu’ici la critique de Molière et les études théâtrales ont surtout insisté sur ses qualités d’homme de théâtre, d’auteur dramatique et de comédien. Pourtant, selon Claude Bourqui, le discours philosophique est central chez Molière. Il est en interaction avec les débats contemporains, et avec des publications qu’il a pu consulter lui-même ou avoir connues, en en entendant parler autour de lui. Le public du Petit-Bourbon, puis celui du Palais-Royal, où joue Molière, comprend moins de bourgeois que de spectateurs issus des milieux mondains. C’est à eux d’abord qu’il destine son théâtre. Molière écrit pour un public mondain et cultivé, celui de la Cour, des salons et des Lettrés, qui s’intéresse à la philosophie au sens large, impliquant l’explication physique du monde. Molière veut entrer en connivences avec lui en lui proposant des communautés de valeurs qu’il dénonce ou qu’il approuve : il va le séduire par ses parodies, sa complicité, ses provocations, son humour.
Ce public connaît la Clélie de Madeleine de Scudéry et ses interminables dialogues sur la nature de l’âme et la question de la religion, le livre de René Bary, La Fine philosophie accommodée à l’intelligence des dames dans l’optique de l’aristotélisme ; il a lu le Roman des lettres de l’Abbé d’Aubignac, adepte du stoïcisme, l’œuvre de Descartes, au moins en partie, et la forme nouvelle du cartésianisme qu’est l’occasionnalisme de Gérauld de Cordemoy, La Forge et Malebranche, devenu à la mode. Il prend goût au scepticisme de La Mothe Le Vayer dont les valeurs sont en harmonie avec la sociabilité, la complaisance du milieu mondain, depuis les années 1640 ; il rejette la raideur du stoïcisme qui n’est plus en vogue, face à l’épicurisme en accord avec l’ambiance de la cour de Louis XIV, lieu de la fête et du relâchement des moeurs. Le public de Molière discute des nombreuses questions posées par ces auteurs et notamment de la condition de la femme, du pédantisme, des rapports de l’âme et du corps, de l’attitude à avoir devant la religion et se plaît à les retrouver évoqués par l’homme de théâtre.
Ainsi Claude Bourqui rappelle, dans George Dandin, acte II, 2, les déclarations d’Angélique qui revendique la liberté des femmes et conteste la tyrannie d’un mari, rejoignant ainsi les revendications des milieux mondains sur la condition de la femme ; il cite celles de Clitandre dans les Femmes savantes, IV, 3, contre le pédantisme. Molière se fait le porte - parole des philosophes du temps : ainsi dans l’acte I, sc. 1 du Misanthrope, la tirade de Philinte, répondant à Alceste qui aspire à « fuir dans un désert l’approche des humains », rappelle, par sa modération, un raisonnement qu’on retrouve dans la Prose chagrine de La Mothe Le Vayer, discours repris lui-même à la philosophie antique ; de même, à la fin de l’acte I, sc. 1 de l’Ecole des femmes, Arnolphe dit ironiquement : « Un chacun est chaussé de son opinion ». Claude Bourqui est persuadé que de tels propos ne sont pas l’expression d’une sagesse du juste milieu, comme on a eu tendance à le voir jusqu’ici, mais celle d’une reconnaissance philosophique. Molière prend parti pour l’épicurisme qu’il fait célébrer, à la fin de Monsieur de Pourceaugnac, par les masques : « La grande affaire est le plaisir » (III,8). Dans Psyché, c’est le stoïcisme que le roi récuse (II, 1, vers 650-660) ; dans la scène 4 entre Sganarelle et Pancrace du Mariage forcé, Molière hésite entre la critique de l’aristotélisme et celle du scepticisme ; l’enjeu philosophique est moins net.
Le conférencier voit dans les Amants magnifiques une autre démarche : Molière y critique la religion sous couvert d’astrologie, puisqu’on ne peut la contester ouvertement ; il utilise le principe d’analogie ; dans les scènes 2 et 3 de l’acte IV, il met en scène un astrologue auteur d’une fausse statue de Vénus, en fait une machine manipulée, qui prononce un oracle concernant le mariage de l’héroïne. L’astrologie y est contestée par le valet Clitidas, interprète de Molière et par le héros Sostrate (monologue de la fin de la scène 1 de l’acte III). En discréditant les machines et l’astrologie, le dramaturge rencontre ici la pensée libertine pour qui toutes les manifestations divines et les croyances sont trompeuses.
C’est le principe de l’analogie et du voile, selon l’expression de l’époque, qui sont aussi utilisés dans les pièces « médicales » : l’Amour médecin, le Médecin malgré lui, Monsieur de Pourceaugnac et le Malade imaginaire. La médecine est dénoncée comme une croyance faiseuse de miracles, clin d’œil s’adressant au milieu libertin, public d’initiés et non à l’ensemble du public de Molière. Elle a fait son apparition dans Don Juan, III, 1, quand, dans la discussion entre Sganarelle et Don Juan sur la médecine, le valet dit à son maître : « Comment, Monsieur, vous êtes aussi impie en Médecine ? ».(dans l’édition de la Pléiade la note 3 (II, p 1658) de Don Juan rappelle justement la même croyance d’Argan à son frère : « vous ne croyez donc point à la Médecine ».) Claude Bourqui s’élève contre la critique qui, jusqu’ici, a présenté Molière comme un malade ayant eu personnellement une expérience directe et malheureuse de la médecine et dont le discours est authentique. Molière n’était pas malade et la médecine est un voile.
Ainsi Claude Bourqui rappelle, dans George Dandin, acte II, 2, les déclarations d’Angélique qui revendique la liberté des femmes et conteste la tyrannie d’un mari, rejoignant ainsi les revendications des milieux mondains sur la condition de la femme ; il cite celles de Clitandre dans les Femmes savantes, IV, 3, contre le pédantisme. Molière se fait le porte - parole des philosophes du temps : ainsi dans l’acte I, sc. 1 du Misanthrope, la tirade de Philinte, répondant à Alceste qui aspire à « fuir dans un désert l’approche des humains », rappelle, par sa modération, un raisonnement qu’on retrouve dans la Prose chagrine de La Mothe Le Vayer, discours repris lui-même à la philosophie antique ; de même, à la fin de l’acte I, sc. 1 de l’Ecole des femmes, Arnolphe dit ironiquement : « Un chacun est chaussé de son opinion ». Claude Bourqui est persuadé que de tels propos ne sont pas l’expression d’une sagesse du juste milieu, comme on a eu tendance à le voir jusqu’ici, mais celle d’une reconnaissance philosophique. Molière prend parti pour l’épicurisme qu’il fait célébrer, à la fin de Monsieur de Pourceaugnac, par les masques : « La grande affaire est le plaisir » (III,8). Dans Psyché, c’est le stoïcisme que le roi récuse (II, 1, vers 650-660) ; dans la scène 4 entre Sganarelle et Pancrace du Mariage forcé, Molière hésite entre la critique de l’aristotélisme et celle du scepticisme ; l’enjeu philosophique est moins net.
Le conférencier voit dans les Amants magnifiques une autre démarche : Molière y critique la religion sous couvert d’astrologie, puisqu’on ne peut la contester ouvertement ; il utilise le principe d’analogie ; dans les scènes 2 et 3 de l’acte IV, il met en scène un astrologue auteur d’une fausse statue de Vénus, en fait une machine manipulée, qui prononce un oracle concernant le mariage de l’héroïne. L’astrologie y est contestée par le valet Clitidas, interprète de Molière et par le héros Sostrate (monologue de la fin de la scène 1 de l’acte III). En discréditant les machines et l’astrologie, le dramaturge rencontre ici la pensée libertine pour qui toutes les manifestations divines et les croyances sont trompeuses.
C’est le principe de l’analogie et du voile, selon l’expression de l’époque, qui sont aussi utilisés dans les pièces « médicales » : l’Amour médecin, le Médecin malgré lui, Monsieur de Pourceaugnac et le Malade imaginaire. La médecine est dénoncée comme une croyance faiseuse de miracles, clin d’œil s’adressant au milieu libertin, public d’initiés et non à l’ensemble du public de Molière. Elle a fait son apparition dans Don Juan, III, 1, quand, dans la discussion entre Sganarelle et Don Juan sur la médecine, le valet dit à son maître : « Comment, Monsieur, vous êtes aussi impie en Médecine ? ».(dans l’édition de la Pléiade la note 3 (II, p 1658) de Don Juan rappelle justement la même croyance d’Argan à son frère : « vous ne croyez donc point à la Médecine ».) Claude Bourqui s’élève contre la critique qui, jusqu’ici, a présenté Molière comme un malade ayant eu personnellement une expérience directe et malheureuse de la médecine et dont le discours est authentique. Molière n’était pas malade et la médecine est un voile.
Il y a un autre Molière qui prend parti dans les dernières années contre certains choix de son public mondain : le dramaturge critique le cartésianisme, en plein essor à l’époque, et son avatar, l’occasionnalisme de Cordemoy, dans le Bourgeois gentilhomme et Don Juan. C’est que les partisans de cette philosophie sont en phase avec le pouvoir royal qui finance dans les années 1660 le développement des sciences expérimentales (Académie royale des sciences, Journal des savants, début de la construction de l’Observatoire) et nomme Bossuet, assisté de Cordemoy et de Rohault, précepteur du Dauphin. L’outil de Molière pour discréditer la nouvelle science inutile et le cartésianisme est les Femmes savantes qui, outre d’être stoïciennes, s’intéressent aux expériences scientifiques, expriment certains principes de Descartes : elles sont présentées comme des pédantes ridicules !
De même le Malade imaginaire constitue un engagement de Molière qui soutient la doctrine de Lucrèce de « De rerum natura » : il faut délivrer les hommes, et donc Argan au premier chef, de la peur de la mort. Derrière la dérision du héros, obsédé par la médecine à laquelle il croit comme à la religion, et plusieurs allusions à celle-ci à l’acte III, le conférencier croit voir pour la première fois chez Molière la défense d’une thèse à laquelle il veut convertir son public mondain.
Tout au long de sa conférence Claude Bourqui a démontré l’importance du discours philosophique chez Molière : il connaît les philosophes, c’est un intellectuel, ce qui n’avait pas été perçu jusqu’ici. Grâce au travail considérable de Claude Bourqui sur la philosophie du XVIIe siècle, cette omission est désormais réparée. Sur ce point, comme sur bien d’autres, il faut consulter l’excellente édition de la Pléiade, qu’il vient de diriger avec Georges Forestier, et le concours de plusieurs collaborateurs ; la chronologie, les notices et les notes y sont très riches et d’une extrême précision ; (on découvre ainsi dans la chronologie que Molière connaissait Jacques Rohault, le célèbre physicien, acquis à Descartes et à l’astronomie, auteur du Traité de physique, puisque ce dernier prêta au père de Molière 10.000 livres en 1668, et que cet argent venait en fait de Molière lui-même ! Le dramaturge a donc fréquenté Rohault et pu, avec lui, aborder des questions de physique !) En tout cas, sur le thème général de la philosophie de Molière, en dehors de son rapport avec les libertins qui a intéressé la critique, la bibliographie récente est mince : il n’existe que les articles de Jean Molino déjà un peu anciens, et ceux d’Olivier Bloch qu’il utilise dans son livre, Molière / Philosophie, paru en 2000 chez Albin Michel ; ce livre est savant mais difficilement utilisable quelquefois par sa présentation et ses notes : il a travaillé, bien entendu, avec l’édition de Molière de Couton à laquelle il renvoie, mais ne précise pas toujours les références complètes des pièces, mais seulement la page de l’édition Couton.
Compte rendu par Colette Scherer
De même le Malade imaginaire constitue un engagement de Molière qui soutient la doctrine de Lucrèce de « De rerum natura » : il faut délivrer les hommes, et donc Argan au premier chef, de la peur de la mort. Derrière la dérision du héros, obsédé par la médecine à laquelle il croit comme à la religion, et plusieurs allusions à celle-ci à l’acte III, le conférencier croit voir pour la première fois chez Molière la défense d’une thèse à laquelle il veut convertir son public mondain.
Tout au long de sa conférence Claude Bourqui a démontré l’importance du discours philosophique chez Molière : il connaît les philosophes, c’est un intellectuel, ce qui n’avait pas été perçu jusqu’ici. Grâce au travail considérable de Claude Bourqui sur la philosophie du XVIIe siècle, cette omission est désormais réparée. Sur ce point, comme sur bien d’autres, il faut consulter l’excellente édition de la Pléiade, qu’il vient de diriger avec Georges Forestier, et le concours de plusieurs collaborateurs ; la chronologie, les notices et les notes y sont très riches et d’une extrême précision ; (on découvre ainsi dans la chronologie que Molière connaissait Jacques Rohault, le célèbre physicien, acquis à Descartes et à l’astronomie, auteur du Traité de physique, puisque ce dernier prêta au père de Molière 10.000 livres en 1668, et que cet argent venait en fait de Molière lui-même ! Le dramaturge a donc fréquenté Rohault et pu, avec lui, aborder des questions de physique !) En tout cas, sur le thème général de la philosophie de Molière, en dehors de son rapport avec les libertins qui a intéressé la critique, la bibliographie récente est mince : il n’existe que les articles de Jean Molino déjà un peu anciens, et ceux d’Olivier Bloch qu’il utilise dans son livre, Molière / Philosophie, paru en 2000 chez Albin Michel ; ce livre est savant mais difficilement utilisable quelquefois par sa présentation et ses notes : il a travaillé, bien entendu, avec l’édition de Molière de Couton à laquelle il renvoie, mais ne précise pas toujours les références complètes des pièces, mais seulement la page de l’édition Couton.
Compte rendu par Colette Scherer
Addendum: référence bibliographique signalée par Jean-Yves Vialleton
Nous le remercions de nous avoir obligemment signalé la référence suivante:
"Concernant cette interprétation, il faut ajouter: Antony McKenna, Molière, dramaturge et libertin, Champion, 2005 ("Champion classiques"). Chapitre VI sur la médecine comme voile de la théologie."
"Concernant cette interprétation, il faut ajouter: Antony McKenna, Molière, dramaturge et libertin, Champion, 2005 ("Champion classiques"). Chapitre VI sur la médecine comme voile de la théologie."