Ce n’est pas parce que le service de presse de la fondation s’obstine, malgré des démarches répétées, à ne pas nous communiquer de photographie pour illustrer cet article qu’il faut pour autant bouder l’exposition présentée jusqu’au 15 juillet. Organisée en partenariat avec le Musée Guimet (dont le commissaire, Aurélie Samuel) et sous le patronage de l’Ambassade du Japon, elle est exceptionnelle par l’ensemble somptueux et flamboyant de costumes, accessoires et estampes prêté par la société Shôchiku Costume Ltd., dépositaire du savoir-faire traditionnel lié au kabuki.
Paradoxalement, c’est une femme, la comédienne Izumo no Okuni, qui inventa cette forme de théâtre expressif, commercial et urbain au début du XVIIe siècle, pour des troupes féminines, alors que depuis 1629 elle est uniquement interprétée par des hommes (pour éviter le scandale de l’exhibition féminine et la prostitution)… et depuis 1660 uniquement par des adultes (pour éviter la prostitution masculine des jeunes gens qui avaient pris le relais). Parallèlement, le vaudeville tourna au drame, avec des histoires archétypales fortes inspirées du théâtre de marionnettes et de la religion bouddhiste. La codification en est l’ossature et touche les moindres détails de la gestuelle ou des motifs des maquillages : le rouge est positif, le bleu l’indice d’un méchant. L’héritage des rôles au sein de quelques dynasties familiales toujours actives a cependant permis l’évolution du genre, par l’acquisition de nouvelles intrigues et de nouveaux caractères, au gré de la spécialité des différents interprètes, restés fameux. En outre, le répertoire changeant d’une saison à l’autre, chaque période de l’année ayant ses caractéristiques propres, cela a encouragé les innovations scéniques, de la même façon que les bouleversements historiques ou des auteurs importants comme Mishima. Le kabuki a de fait connu toutes les aventures et toutes les avanies liées au théâtre, quel que soit l’endroit où il s’invente : censure, contrôles, problèmes financiers, succès, triomphes et déconvenues. A l’originalité près qu’il est aujourd’hui protégé comme patrimoine immatériel par l’UNESCO.
C’est cette richesse que se propose de dévoiler l’exposition présente, à travers des portraits xylographiques d’acteurs, des éventails non montés et illustrés de scènes emblématiques, des extraits vidéo, de nombreux objets. Le plus remarquable est évidemment la collection des kimonos, d’autant plus époustouflants qu’ils sont présentés « en vol », comme en apesanteur sur leur portant, un peu au-dessus du niveau des spectateurs bouche bée. Toujours luxueux (ils peuvent occasionner jusqu’à 40% des frais de représentation, en soie, coton, voire papier), ils étaient commandés par les acteurs eux-mêmes et tellement importants pour l’individualisation d’un rôle que les programmes les détaillent minutieusement, jusque dans leur technique de fabrication (qui donne bien du souci aux costumiers d’aujourd’hui, pris entre la fidélité aux canons anciens et les contraintes environnementales contemporaines). Modernes (ils datent des années 1930, et surtout 1960 à nos jours), les costumes exposés respectent ces traditions et proposent des décors fabuleux de nuages et de dragons, de cerisiers et de glycine,… et parfois des décors à transformation puisque les changements se font à vue (un splendide kimono en satin de soie décoré de flammes en particulier retient l’attention).
La volonté didactique est évidente : des panneaux explicatifs sur les murs détaillent les intrigues et accompagnent la projection de captations scéniques en rapport direct avec les œuvres exposées. Ainsi l’opacité de cet art d’Extrême Orient se dissipe quelque peu (même si on peut regretter que les extraits de spectacle présentés ne soient pas sous-titrés pour le badaud non japonisant…), tout en gardant sa part de mystère, son charme indéfinissable et fascinant.
Compte rendu par Noémie Courtès.
Paris, fondation Bergé-Yves Saint-Laurent, jusqu’au 15 juillet. (A noter : la collection des estampes exposées change le 13 mai.)
Un livret est distribué à l’entrée.
Catalogue extrêmement bien documenté et illustré : Kabuki, Costumes de théâtre japonais, éditions Artlys, 2012, 30€. (A noter : une page écrite par Robert Wilson pour expliquer les rapports d’abord involontaires puis recherchés entre le kabuki et sa propre pratique théâtrale.)
Dossier en ligne :http://www.fondation-pb-ysl.net/medias/fichiers/DP_Kabuki_2012_FR_LwR_WEB.pdf
Paradoxalement, c’est une femme, la comédienne Izumo no Okuni, qui inventa cette forme de théâtre expressif, commercial et urbain au début du XVIIe siècle, pour des troupes féminines, alors que depuis 1629 elle est uniquement interprétée par des hommes (pour éviter le scandale de l’exhibition féminine et la prostitution)… et depuis 1660 uniquement par des adultes (pour éviter la prostitution masculine des jeunes gens qui avaient pris le relais). Parallèlement, le vaudeville tourna au drame, avec des histoires archétypales fortes inspirées du théâtre de marionnettes et de la religion bouddhiste. La codification en est l’ossature et touche les moindres détails de la gestuelle ou des motifs des maquillages : le rouge est positif, le bleu l’indice d’un méchant. L’héritage des rôles au sein de quelques dynasties familiales toujours actives a cependant permis l’évolution du genre, par l’acquisition de nouvelles intrigues et de nouveaux caractères, au gré de la spécialité des différents interprètes, restés fameux. En outre, le répertoire changeant d’une saison à l’autre, chaque période de l’année ayant ses caractéristiques propres, cela a encouragé les innovations scéniques, de la même façon que les bouleversements historiques ou des auteurs importants comme Mishima. Le kabuki a de fait connu toutes les aventures et toutes les avanies liées au théâtre, quel que soit l’endroit où il s’invente : censure, contrôles, problèmes financiers, succès, triomphes et déconvenues. A l’originalité près qu’il est aujourd’hui protégé comme patrimoine immatériel par l’UNESCO.
C’est cette richesse que se propose de dévoiler l’exposition présente, à travers des portraits xylographiques d’acteurs, des éventails non montés et illustrés de scènes emblématiques, des extraits vidéo, de nombreux objets. Le plus remarquable est évidemment la collection des kimonos, d’autant plus époustouflants qu’ils sont présentés « en vol », comme en apesanteur sur leur portant, un peu au-dessus du niveau des spectateurs bouche bée. Toujours luxueux (ils peuvent occasionner jusqu’à 40% des frais de représentation, en soie, coton, voire papier), ils étaient commandés par les acteurs eux-mêmes et tellement importants pour l’individualisation d’un rôle que les programmes les détaillent minutieusement, jusque dans leur technique de fabrication (qui donne bien du souci aux costumiers d’aujourd’hui, pris entre la fidélité aux canons anciens et les contraintes environnementales contemporaines). Modernes (ils datent des années 1930, et surtout 1960 à nos jours), les costumes exposés respectent ces traditions et proposent des décors fabuleux de nuages et de dragons, de cerisiers et de glycine,… et parfois des décors à transformation puisque les changements se font à vue (un splendide kimono en satin de soie décoré de flammes en particulier retient l’attention).
La volonté didactique est évidente : des panneaux explicatifs sur les murs détaillent les intrigues et accompagnent la projection de captations scéniques en rapport direct avec les œuvres exposées. Ainsi l’opacité de cet art d’Extrême Orient se dissipe quelque peu (même si on peut regretter que les extraits de spectacle présentés ne soient pas sous-titrés pour le badaud non japonisant…), tout en gardant sa part de mystère, son charme indéfinissable et fascinant.
Compte rendu par Noémie Courtès.
Paris, fondation Bergé-Yves Saint-Laurent, jusqu’au 15 juillet. (A noter : la collection des estampes exposées change le 13 mai.)
Un livret est distribué à l’entrée.
Catalogue extrêmement bien documenté et illustré : Kabuki, Costumes de théâtre japonais, éditions Artlys, 2012, 30€. (A noter : une page écrite par Robert Wilson pour expliquer les rapports d’abord involontaires puis recherchés entre le kabuki et sa propre pratique théâtrale.)
Dossier en ligne :http://www.fondation-pb-ysl.net/medias/fichiers/DP_Kabuki_2012_FR_LwR_WEB.pdf