Sir Edward Burne-Jones (1833-1898) L'Adoration des Mages, 1904 Tapisserie haute lisse, laine et soie sur trame de coton, 258 x 377,5 cm Paris, musée d'Orsay, don de M. Pierre Bergé, 2009 © Musée d'Orsay, dist. RMN / Patrice Schmidt
« L’art ne doit jamais chercher à être populaire ; c’est au public de se faire artiste lui-même. »
« On reconnaît le véritable artiste à la façon dont il utilise ce qu’il s’annexe, et il s’annexe tout. », ... Au fil de citations souvent mordantes signées Oscar Wilde, pris comme figure emblématique (auto-proclamée) du mouvement, l’exposition d’Orsay nous introduit à l’esthétique qui conquit l’Angleterre entre 1860 et 1900, dans le sillage des Préraphaélites, et jusqu’à la Grande Guerre.
La réussite de cette exposition est autant documentaire que visuelle. Le soin apporté à la présentation « en situation », les murs revêtus de lés imprimés inspirés de ceux créés par William Morris, tout concourt à faire ressortir les meubles et les objets comme à leur époque. Il en découle une impression d’opulence sereine tout à fait propre à la contemplation des visiteurs.
La volonté didactique est aussi nette que le discours : le mouvement esthétique est étudié chronologiquement, autour de thèmes privilégiés qui explorent arts plastiques et art de vivre avec autant d’enthousiasme (une petite vitrine de bijoux et une grande de vêtements permettent de saisir la spécificité anglaise de la mode par exemple). Sont présentés non seulement tableaux et sculptures, mais également photographies et sièges (un ébouriffant fauteuil d’Alma-Tadema en acajou plaqué de cèdre et d’ébène, avec pagne de passementerie), voire échantillons de tissus d’ameublement (un remarquable velours Jonquille de 1888 ; un sublime tissu aux plumes de paons de 1887) et plans d’architecte. Il s’agit de recréer une époque, une ambiance, un état d’esprit, à travers le foisonnement des amitiés et des relations de mécénat, dans l’éclectisme qui préside à ces créations visionnaires et à leur collection : un film introduit par exemple le visiteur au japonisme de la Peacock Room de Whistler, aujourd’hui exposée au Smithsonian Institute de Washington alors qu’un carton explicite la difficile gestation de cette pièce d’art total, et que le reste de l’exposition nous convainc de l’importance des plumes d’oiseau dans cette esthétique.
La sensualité du mouvement est largement mise en évidence, que ce soit dans l’épanouissement un peu vulgaire de la Bocca baciata de Rossetti, ou dans l’alanguissement vénitien de l’Etude aux plumes de paons de George Frederick Watts. Quant à la beauté idéale, à l’harmonie recherchée par ces artistes qui rejetaient le matérialisme contemporain, elle n’est nulle part aussi évidente que dans Le Bain de Psyché de Frederic Leighton qui présente un effet de reflet et de symétrie mémorable et qui se poursuit jusque dans son encadrement de colonnes ioniques.
L’humour n’est cependant pas absent, que ce soit dans les références à Wilde qui courent sur les murs ou dans la prise en compte des railleries qui prennent le mouvement pour cible à son crépuscule (l’opéra comique de Gilbert et Sullivan, Patience, est plusieurs fois mentionné). Quelques caricatures sont même présentées (un Leighton alangui croqué par James Tissot, mais aussi des illustrés critiques), ainsi que des objets dérivés (une drôle de théière anthropomorphe par exemple), pour expliquer l’absence de réelle décadence du mouvement, mais au contraire l’apport d’une nouvelle génération qui poursuit la quête de raffinement de ses aînés.
La visite se termine sur des œuvres tout particulièrement superbes, comme Le Paresseux de Leighton qui, comme nous, a l’air de quitter un beau rêve au sortir de l’exposition.
Enfin, il est à noter que cet ensemble est d’autant mieux venu au Musée d’Orsay que le curieux qui aurait encore un peu d’énergie, sous le prétexte de voir le rajeunissement coloré du reste du lieu, peut aller comparer Whistler à Monet ou les portraits de Millais à la manière parisienne contemporaine un peu plus loin. Le face-à-face France-Grande Bretagne suggéré dans l’exposition prend alors tout son sens.
Compte rendu par Noémie Courtès.
Paris, Musée d’Orsay, jusqu’au 15 janvier 2012.
Catalogue : Beauté, morale et volupté dans l’Angleterre d’Oscar Wilde, sous la direction d’Yves Badetz, Musée d’Orsay/Skira, 25 euros.
A lire aussi : le numéro 188 de Dossier de l’art pour l’intérêt des contributions et la découverte photographique des maisons des artistes présentés dans l’exposition.
Pour poursuivre l’exploration, en ligne sur le site de Ashmolean Museum, la collection de dessins de John Ruskin : http://ruskin.ashmolean.org
« On reconnaît le véritable artiste à la façon dont il utilise ce qu’il s’annexe, et il s’annexe tout. », ... Au fil de citations souvent mordantes signées Oscar Wilde, pris comme figure emblématique (auto-proclamée) du mouvement, l’exposition d’Orsay nous introduit à l’esthétique qui conquit l’Angleterre entre 1860 et 1900, dans le sillage des Préraphaélites, et jusqu’à la Grande Guerre.
La réussite de cette exposition est autant documentaire que visuelle. Le soin apporté à la présentation « en situation », les murs revêtus de lés imprimés inspirés de ceux créés par William Morris, tout concourt à faire ressortir les meubles et les objets comme à leur époque. Il en découle une impression d’opulence sereine tout à fait propre à la contemplation des visiteurs.
La volonté didactique est aussi nette que le discours : le mouvement esthétique est étudié chronologiquement, autour de thèmes privilégiés qui explorent arts plastiques et art de vivre avec autant d’enthousiasme (une petite vitrine de bijoux et une grande de vêtements permettent de saisir la spécificité anglaise de la mode par exemple). Sont présentés non seulement tableaux et sculptures, mais également photographies et sièges (un ébouriffant fauteuil d’Alma-Tadema en acajou plaqué de cèdre et d’ébène, avec pagne de passementerie), voire échantillons de tissus d’ameublement (un remarquable velours Jonquille de 1888 ; un sublime tissu aux plumes de paons de 1887) et plans d’architecte. Il s’agit de recréer une époque, une ambiance, un état d’esprit, à travers le foisonnement des amitiés et des relations de mécénat, dans l’éclectisme qui préside à ces créations visionnaires et à leur collection : un film introduit par exemple le visiteur au japonisme de la Peacock Room de Whistler, aujourd’hui exposée au Smithsonian Institute de Washington alors qu’un carton explicite la difficile gestation de cette pièce d’art total, et que le reste de l’exposition nous convainc de l’importance des plumes d’oiseau dans cette esthétique.
La sensualité du mouvement est largement mise en évidence, que ce soit dans l’épanouissement un peu vulgaire de la Bocca baciata de Rossetti, ou dans l’alanguissement vénitien de l’Etude aux plumes de paons de George Frederick Watts. Quant à la beauté idéale, à l’harmonie recherchée par ces artistes qui rejetaient le matérialisme contemporain, elle n’est nulle part aussi évidente que dans Le Bain de Psyché de Frederic Leighton qui présente un effet de reflet et de symétrie mémorable et qui se poursuit jusque dans son encadrement de colonnes ioniques.
L’humour n’est cependant pas absent, que ce soit dans les références à Wilde qui courent sur les murs ou dans la prise en compte des railleries qui prennent le mouvement pour cible à son crépuscule (l’opéra comique de Gilbert et Sullivan, Patience, est plusieurs fois mentionné). Quelques caricatures sont même présentées (un Leighton alangui croqué par James Tissot, mais aussi des illustrés critiques), ainsi que des objets dérivés (une drôle de théière anthropomorphe par exemple), pour expliquer l’absence de réelle décadence du mouvement, mais au contraire l’apport d’une nouvelle génération qui poursuit la quête de raffinement de ses aînés.
La visite se termine sur des œuvres tout particulièrement superbes, comme Le Paresseux de Leighton qui, comme nous, a l’air de quitter un beau rêve au sortir de l’exposition.
Enfin, il est à noter que cet ensemble est d’autant mieux venu au Musée d’Orsay que le curieux qui aurait encore un peu d’énergie, sous le prétexte de voir le rajeunissement coloré du reste du lieu, peut aller comparer Whistler à Monet ou les portraits de Millais à la manière parisienne contemporaine un peu plus loin. Le face-à-face France-Grande Bretagne suggéré dans l’exposition prend alors tout son sens.
Compte rendu par Noémie Courtès.
Paris, Musée d’Orsay, jusqu’au 15 janvier 2012.
Catalogue : Beauté, morale et volupté dans l’Angleterre d’Oscar Wilde, sous la direction d’Yves Badetz, Musée d’Orsay/Skira, 25 euros.
A lire aussi : le numéro 188 de Dossier de l’art pour l’intérêt des contributions et la découverte photographique des maisons des artistes présentés dans l’exposition.
Pour poursuivre l’exploration, en ligne sur le site de Ashmolean Museum, la collection de dessins de John Ruskin : http://ruskin.ashmolean.org