On l’a encore fait, et encore fait sans. Je m’étais pourtant promis qu’il faudrait le faire avec mais les choses ne se passant jamais comme prévues, donc minablement j’ai laissé mouler, sans même trop rechigner parce que moi aussi j’étais pressée. ―
J’ai encore rêvé de trucs pas possibles. Cette fois-ci, fête foraine. J’entendais la musique de l’orgue de barbarie résonner dans mon Ipod, alors je me demandais quel était le salaud qui m’avait piqué mon CD de Raekwon pour me le remplacer par un tube atrocement vintage. Je montais dans la chenille, les boules, j’avais trop peur qu’on remarque, pas maquillée, rien, pas même de gloss, et mes jambes ?… dignes d’un chinchilla. Le manège démarrait et je m’enfonçais dans un sous-bois, Adrien arrivait habillé en page Renaissance, jolie fraise, chapeau en velours vert surmonté d’une plume d’autruche, collant blanc et culotte bouffante, petite révérence, un verre d’Adel’ à la main, tout souriant il m’invitait à partager sa tanière. Dédalle de ruelles, maisons en carton tout droit sorties d’un studio de ciné. Alors Adrien sortait de sa poche sa télécommande et actionnait l’ouverture de la porte. Je passais le porche. Boîte branchée. Lili en robe de mariée, attachée à un pylône électrique, couronne d’œillets, tête pendante, yeux clos, très Lana del Rey Too Young to Die, et je me disais que franchement elle aurait pu trouver mieux comme lit, qu’il fallait être vraiment désespérée pour s’accrocher de cette façon-là, bonjour le mal de dos au réveil. Autour d’elle des danseuses, strip-teaseuses à tête d’Anubis, panthères noires lascives, tournaient autour de leur barre, poussant des gémissements elles semblaient copieusement prendre leur pied. J’étais étonnée que les clients ne les déchiquettent pas, d’autant que je voyais bien que leurs cocktails poudre d’huître portugaise et testicules de taureau devaient être bétonnés, leur donner la trique, que dalle, la foule restait neutre, figée, imperturbable. Alors tout ça me gavait, je gueulais qu’il y en avait MARRE DE CHEZ MARRE de CE TÉTARD DE MIOCHE, qu’il était temps de LE DÉMÉNAGER, qu’il commençait à SÉRIEUSEMENT À ME GONFLER, le porter du matin au soir, RAS LE BOL !, que TOUT CE QUE JE VOULAIS c’était QU’IL ME FOUTE LA PAIX, LA PAIX !! LA PAIX !!!
Puis soudain Adrien revenait, regard noir métallique, les dents pointues la barbe longue, il tenait un flingue, rangée de balles enroulées autour des hanches, quelqu’un criait waouh la ceinture, très fashion !, et j’y allais de mes commentaires perso sur le style militaire, le kaki une sale couleur, le treillis passable sans plus, qu’est-ce t’en penses ?, et il me disait qu’il allait tous les buter, tous sans exception et qu’ensuite il me sacrerait reine de la soirée. J’applaudissais, la remise de la Palme allait commencer, je ne voulais surtout pas la rater. Alors Alex avec son plateau en tenue de croque-mort m’apportait une paille et je sniffais sniffais SNIFFAIS jusqu’à ce que je me disloque le poignet, ma main sautait et se mettait à courir le long des murs, en faisant des signes injurieux, elle se jetait sur le public, caracolait de table en table donnait des claques, griffait, arrachait des oreilles, puis bondissante elle s’enfuyait, allait cacher son trésor dans la caisse, non sans avoir fait le V de la victoire, elle allait se reposer sur l’épaule du barman, bleu phosphorescent dans son habit de lumière, elle caressait toute gentille la nuque de Matt.
Et moi j’assistais à la scène, impuissante je la sifflais, je m’excusais platement, je bredouillais de minables excuses, mais cette garce ne voulait pas me réintégrer, alors je disais à Adrien d’aller la descendre, trahison égal PAS DE PITIÉ POUR CETTE CHIENNE, alors il prenait son scoot’ et fonçait sur le comptoir, envoyait tout valdinguer… cendriers, clopes écrabouillées, bouteilles se fracassant sur quelques caboches, ça giclait de partout, des sous-tifs atterrissant même sur le lustre Régence… intrépide il partait dans un vol plané, chantmé, mais retombait parfaitement sur ses pieds. Et c’était reparti ! Il poursuivait ma main, s’en emparait, BRAVO FAIS LUI LA PEAU et il la balançait dans une friteuse, j’entendais parfaitement le grésillement de la chair dans l’huile, cette putain d’odeur de poulet grillé, infecte comme un bubon explosant son pus, puis il sautait sur Matt lui assénait de bons gros coups de poings dans la gueule en hurlant que MAINTENANT j’étais SA MEUF, qu’il devait SE TENIR À L’ÉCART, LOIN, TRÈS LOIN, qu’il ne LE CONNAISSAIT PAS MAIS QUE DE TOUTE FACON IL N’AVAIT JAMAIS PU LE BLAIRER, j’y mettais du mien braillant, l’assurant que JE PORTERAIS PLAINTE POUR DÉRÈGLEMENT MENSTRUEL ET HARCÈLEMENT SPIRITUEL, qu’il le paierait CHER - TRÈS CHER…
Je me suis réveillée avec un sentiment intense de jouissance… ―
Puis le choc.
Adrien ? Filé en douce.
Reste de petite déchirure suintante tout au fond de moi, énervante. Pas de bruit juste un pincement cuisant, la peur de ne plus le revoir et ce sentiment curieux d’abandon qui m’étreignait bien fort la poitrine.
Prévenue tout de même, il ne voulait manquer sous aucun prétexte sa propre vie. L’audition de juin approchait, pas question de la foirer. Il avait besoin de thune. D’autant qu’il s’était fait choper à 160 km/h sur le périph, son permis retiré illico, d’où le scoot’ soit dit en passant, et qu’avec les cours…, alors fallait bien se démerder. Son biz ? Pas question de laisser tomber, juste repérer cash toutes les arnaques, surtout ne pas se faire gauler, surtout pas en ce moment qu’il s’était embrouillé avec des mecs pas clairs.
Il avait laissé un mot sur le bureau. Quelques mots griffonnés à la hâte. A plus, rencart aujourd’hui, m’attends pas, m’appelle pas, un truc à régler.
Super. Je me suis dit : ça promet. Très encourageant ses relations avec les fournisseurs. Je rigolerais moins le jour où les flics débarqueraient chez moi, vue la quantité de came qu’il transportait en permanence dans ses poches. Le danger, je fonçais dessus, à me paumer. Masochiste peut-être bien que j’y étais puisque qu’il fallait que je me foute toujours dans des plans pas possibles, c’était dans ma nature de me laisser piéger, vraie chieuse, trop rêveuse, j’avais beau tout faire pour l’enrayer, il fallait toujours que je m’en aperçoive trop tard quand j’étais in the mood for love. /
J’ai tenté vainement de joindre Lili.
À croire qu’elle me faisait la gueule.
J’ai laissé plein de messages, saturant sa boîte vocale. Sur le coup des trois heures elle m’a rappelée. Elle venait de rompre avec son mec. La fameuse soirée, assez mal terminée pour elle. Cassure définitive.
Pas osé évoquer Adrien. Je l’ai laissée déverser sa bile et son amertume, d’abord compatissante, émue, désolée, puis elle enchaîné, l’excitation à changer de logement, à revoir des trucs sortis direct de son enfance, les amis les soirées fantastiques qu’elle se promettait, la ballade qu’elle avait prévue à Deauville, le petit copain de sa cousine qui avait une super caisse, dans le genre Lamborghini Aventador, sûr qu’elle allait la tester, ils iraient se balader au casino, elle avait claqué tellement de thune aujourd’hui aux Galeries, retail therapy tu comprends ?, et ça continuait comme ça, même pas un quoi de neuf ?, toujours à me parler de ses plans de bobo, un brin décontenancée j’ai pensé, en définitive peut-être pas si malheureuse que ça. ―
Au bout d’une heure je renâclais, chiatique cette conversation m’irritait, alors j’ai fini par me contenter de faire un mouais de temps en temps, histoire de montrer que j’écoutais stoïque son bavardage qui pourtant commençait sérieusement à me gaver, j’avais l’enthousiasme qui décélérait à fond à chaque minute écoulée, l’impression que c’était programmé, on allait s’éloigner l’une de l’autre, on n’était pas du même monde, c’était clair, vu que je devais être vraiment soûlante, inintéressantes mes perpétuelles névroses, et ses potes du XVIe, ils allaient me la voler. Quand elle raccroché, il m’a semblé que c’était une part de notre amitié qui venait de se couper.
En attendant l’appel d’Adrien, je me suis attelée à un truc beaucoup plus lénifiant mais tout aussi casse-couilles : la recherche d’un taf. J’ai fait ça à la moderne. Surfé sur la toile le reste de l’après-midi. Océan de données, je pataugeais à m’en griller les neurones. Sites job online, cadres online, emploi online, branchée cash sur la vibe online. J’ai passé en revue des tas d’annonces bien chiantes, du style n’importe quoi, réceptionniste, vendeuse, caissière, que des trucs qui n’avaient rien à voir avec moi. J’ai dû encore m’inventer un cv, une expérience professionnelle pile-poil dans l’esprit du job, comme si j’étais née direct pour me taper des boulots à la con, avec la vocation et tout, un instinct qui m’a poussée à me spécialiser dans la sous-merde, ultra motivée à me faire toujours sous-payer, super énergique en prime à l’idée que les diplômes servent que dalle. Réussir pour une beurette ? Possible… mais à moins de beaucoup... ―
J’ai préféré éviter la rubrique secrétaire. Une fois m’avait suffi, je n’allais pas remettre ça, non merci. Puis j’ai rédigé hyper vite téléchargé mes lettres, histoire de me déculpabiliser, pressée d’en finir. Finalement je me suis dit, RSA+allocs pourquoi pas, ou alors supplier Lili et taper dans son carnet d’adresse, autre option même si quémander j’abhorrais, les choses se décanteraient forcément…, enfin si je devais finir clocharde à squatter chez tout le monde, version Subutex, et bien, je serais clocharde…, ou pute, c’était envisageable, avant qu’il ne soit trop tard mon cul pouvait toujours encore me servir à défaut de mon cerveau, que c’était même très lucratif, la seule activité qui rapporte vraiment. Et puis, si les choses allaient de mal en pis et viraient même catastrophiques, aucune raison que je ne trafique pas moi aussi. /
Mon IPhone s’est mis à me siffler sa mélodie. Je me suis jetée dessus et avant que je réagisse que ça ne pouvait pas être Adrien, la bonne nouvelle tombait.
Cousine de Mat. Elle m’avait vue à la soirée. Matt aussi. Il allait se marier. Une fille qu’il connaissait depuis un an. Sublime. Mannequin. Son cousin avait pensé que.
Qui lui avait filé mon numéro ?... Qui ? Louisa ?...
La joie.
Il ne pouvait pas appeler ?
Bien sûr que non. Égal à lui-même.
Liquéfiée sur place. J’ai fait des genres d’exercices de respiration, écoutant à moitié je tentais de refréner l’élan de colère qui montait, violent, radical, j’avais envie d’exploser ce putain de téléphone contre le mur !
J’étais même invitée à les revoir elle et son cousin, ça leur ferait plaisir.
Je n’aurais pourtant pas cru.
Le truc qui vraiment me faisait fondre de jouissance.
Nan… Du grand n’importe quoi. Elle se foutait de ma gueule la salope. Jamais elle avait pu me supporter.
J’ai remercié, d’un air détaché, très touchée, très contente d’avoir des nouvelles, vraiment gentil de leur part, mais désolée, bien trop busy en ce moment, impossible de me libérer, beaucoup de déplacements prévus pour couvrir les élections, impossible d’annuler…, oui, pour une chaîne télé, avant de défoncer la touche raccroche.
J’ai bloqué cette chienne. Dans le genre sadique, pas mieux.
Deux secondes après je m’effondrais, regrettant de ne pas avoir le courage de la voir elle et Matt, pourtant l’occase idéale pour se venger. Je m’insupportais.
Adrien n’a pas daigné appeler.
Attendu pendant des heures.
Du coup tout a foiré. Je me suis ratatinée sur moi-même comme une belle et grosse merde. À coups de pétards, de vodka et encore un peu de vodka, je me suis défoncée la gueule c’était limite le coma éthylique. Tout ce que je voulais c’était me dégager de là une bonne fois pour toutes. Je pleurais et je riais de moi-même, de ma propre connerie, les yeux archi gonflés le nez bouché, je ne ressemblais plus qu’à cela, un tas de fientes moisies agglutinée sur mon Futon. Tourbillon d’idées, danse macabre, mes veines je voulais les couper d’un coup de rasoir sec incisif, sentir la vie couler hors de moi, j’aurais aimé voir ma propre pourriture se déverser avant de pouvoir crever.
FIN DE LA SECONDE PARTIE
En mon esprit, la nuit, novel (c) Sabine Chaouche/TFM 2017
J’ai encore rêvé de trucs pas possibles. Cette fois-ci, fête foraine. J’entendais la musique de l’orgue de barbarie résonner dans mon Ipod, alors je me demandais quel était le salaud qui m’avait piqué mon CD de Raekwon pour me le remplacer par un tube atrocement vintage. Je montais dans la chenille, les boules, j’avais trop peur qu’on remarque, pas maquillée, rien, pas même de gloss, et mes jambes ?… dignes d’un chinchilla. Le manège démarrait et je m’enfonçais dans un sous-bois, Adrien arrivait habillé en page Renaissance, jolie fraise, chapeau en velours vert surmonté d’une plume d’autruche, collant blanc et culotte bouffante, petite révérence, un verre d’Adel’ à la main, tout souriant il m’invitait à partager sa tanière. Dédalle de ruelles, maisons en carton tout droit sorties d’un studio de ciné. Alors Adrien sortait de sa poche sa télécommande et actionnait l’ouverture de la porte. Je passais le porche. Boîte branchée. Lili en robe de mariée, attachée à un pylône électrique, couronne d’œillets, tête pendante, yeux clos, très Lana del Rey Too Young to Die, et je me disais que franchement elle aurait pu trouver mieux comme lit, qu’il fallait être vraiment désespérée pour s’accrocher de cette façon-là, bonjour le mal de dos au réveil. Autour d’elle des danseuses, strip-teaseuses à tête d’Anubis, panthères noires lascives, tournaient autour de leur barre, poussant des gémissements elles semblaient copieusement prendre leur pied. J’étais étonnée que les clients ne les déchiquettent pas, d’autant que je voyais bien que leurs cocktails poudre d’huître portugaise et testicules de taureau devaient être bétonnés, leur donner la trique, que dalle, la foule restait neutre, figée, imperturbable. Alors tout ça me gavait, je gueulais qu’il y en avait MARRE DE CHEZ MARRE de CE TÉTARD DE MIOCHE, qu’il était temps de LE DÉMÉNAGER, qu’il commençait à SÉRIEUSEMENT À ME GONFLER, le porter du matin au soir, RAS LE BOL !, que TOUT CE QUE JE VOULAIS c’était QU’IL ME FOUTE LA PAIX, LA PAIX !! LA PAIX !!!
Puis soudain Adrien revenait, regard noir métallique, les dents pointues la barbe longue, il tenait un flingue, rangée de balles enroulées autour des hanches, quelqu’un criait waouh la ceinture, très fashion !, et j’y allais de mes commentaires perso sur le style militaire, le kaki une sale couleur, le treillis passable sans plus, qu’est-ce t’en penses ?, et il me disait qu’il allait tous les buter, tous sans exception et qu’ensuite il me sacrerait reine de la soirée. J’applaudissais, la remise de la Palme allait commencer, je ne voulais surtout pas la rater. Alors Alex avec son plateau en tenue de croque-mort m’apportait une paille et je sniffais sniffais SNIFFAIS jusqu’à ce que je me disloque le poignet, ma main sautait et se mettait à courir le long des murs, en faisant des signes injurieux, elle se jetait sur le public, caracolait de table en table donnait des claques, griffait, arrachait des oreilles, puis bondissante elle s’enfuyait, allait cacher son trésor dans la caisse, non sans avoir fait le V de la victoire, elle allait se reposer sur l’épaule du barman, bleu phosphorescent dans son habit de lumière, elle caressait toute gentille la nuque de Matt.
Et moi j’assistais à la scène, impuissante je la sifflais, je m’excusais platement, je bredouillais de minables excuses, mais cette garce ne voulait pas me réintégrer, alors je disais à Adrien d’aller la descendre, trahison égal PAS DE PITIÉ POUR CETTE CHIENNE, alors il prenait son scoot’ et fonçait sur le comptoir, envoyait tout valdinguer… cendriers, clopes écrabouillées, bouteilles se fracassant sur quelques caboches, ça giclait de partout, des sous-tifs atterrissant même sur le lustre Régence… intrépide il partait dans un vol plané, chantmé, mais retombait parfaitement sur ses pieds. Et c’était reparti ! Il poursuivait ma main, s’en emparait, BRAVO FAIS LUI LA PEAU et il la balançait dans une friteuse, j’entendais parfaitement le grésillement de la chair dans l’huile, cette putain d’odeur de poulet grillé, infecte comme un bubon explosant son pus, puis il sautait sur Matt lui assénait de bons gros coups de poings dans la gueule en hurlant que MAINTENANT j’étais SA MEUF, qu’il devait SE TENIR À L’ÉCART, LOIN, TRÈS LOIN, qu’il ne LE CONNAISSAIT PAS MAIS QUE DE TOUTE FACON IL N’AVAIT JAMAIS PU LE BLAIRER, j’y mettais du mien braillant, l’assurant que JE PORTERAIS PLAINTE POUR DÉRÈGLEMENT MENSTRUEL ET HARCÈLEMENT SPIRITUEL, qu’il le paierait CHER - TRÈS CHER…
Je me suis réveillée avec un sentiment intense de jouissance… ―
Puis le choc.
Adrien ? Filé en douce.
Reste de petite déchirure suintante tout au fond de moi, énervante. Pas de bruit juste un pincement cuisant, la peur de ne plus le revoir et ce sentiment curieux d’abandon qui m’étreignait bien fort la poitrine.
Prévenue tout de même, il ne voulait manquer sous aucun prétexte sa propre vie. L’audition de juin approchait, pas question de la foirer. Il avait besoin de thune. D’autant qu’il s’était fait choper à 160 km/h sur le périph, son permis retiré illico, d’où le scoot’ soit dit en passant, et qu’avec les cours…, alors fallait bien se démerder. Son biz ? Pas question de laisser tomber, juste repérer cash toutes les arnaques, surtout ne pas se faire gauler, surtout pas en ce moment qu’il s’était embrouillé avec des mecs pas clairs.
Il avait laissé un mot sur le bureau. Quelques mots griffonnés à la hâte. A plus, rencart aujourd’hui, m’attends pas, m’appelle pas, un truc à régler.
Super. Je me suis dit : ça promet. Très encourageant ses relations avec les fournisseurs. Je rigolerais moins le jour où les flics débarqueraient chez moi, vue la quantité de came qu’il transportait en permanence dans ses poches. Le danger, je fonçais dessus, à me paumer. Masochiste peut-être bien que j’y étais puisque qu’il fallait que je me foute toujours dans des plans pas possibles, c’était dans ma nature de me laisser piéger, vraie chieuse, trop rêveuse, j’avais beau tout faire pour l’enrayer, il fallait toujours que je m’en aperçoive trop tard quand j’étais in the mood for love. /
J’ai tenté vainement de joindre Lili.
À croire qu’elle me faisait la gueule.
J’ai laissé plein de messages, saturant sa boîte vocale. Sur le coup des trois heures elle m’a rappelée. Elle venait de rompre avec son mec. La fameuse soirée, assez mal terminée pour elle. Cassure définitive.
Pas osé évoquer Adrien. Je l’ai laissée déverser sa bile et son amertume, d’abord compatissante, émue, désolée, puis elle enchaîné, l’excitation à changer de logement, à revoir des trucs sortis direct de son enfance, les amis les soirées fantastiques qu’elle se promettait, la ballade qu’elle avait prévue à Deauville, le petit copain de sa cousine qui avait une super caisse, dans le genre Lamborghini Aventador, sûr qu’elle allait la tester, ils iraient se balader au casino, elle avait claqué tellement de thune aujourd’hui aux Galeries, retail therapy tu comprends ?, et ça continuait comme ça, même pas un quoi de neuf ?, toujours à me parler de ses plans de bobo, un brin décontenancée j’ai pensé, en définitive peut-être pas si malheureuse que ça. ―
Au bout d’une heure je renâclais, chiatique cette conversation m’irritait, alors j’ai fini par me contenter de faire un mouais de temps en temps, histoire de montrer que j’écoutais stoïque son bavardage qui pourtant commençait sérieusement à me gaver, j’avais l’enthousiasme qui décélérait à fond à chaque minute écoulée, l’impression que c’était programmé, on allait s’éloigner l’une de l’autre, on n’était pas du même monde, c’était clair, vu que je devais être vraiment soûlante, inintéressantes mes perpétuelles névroses, et ses potes du XVIe, ils allaient me la voler. Quand elle raccroché, il m’a semblé que c’était une part de notre amitié qui venait de se couper.
En attendant l’appel d’Adrien, je me suis attelée à un truc beaucoup plus lénifiant mais tout aussi casse-couilles : la recherche d’un taf. J’ai fait ça à la moderne. Surfé sur la toile le reste de l’après-midi. Océan de données, je pataugeais à m’en griller les neurones. Sites job online, cadres online, emploi online, branchée cash sur la vibe online. J’ai passé en revue des tas d’annonces bien chiantes, du style n’importe quoi, réceptionniste, vendeuse, caissière, que des trucs qui n’avaient rien à voir avec moi. J’ai dû encore m’inventer un cv, une expérience professionnelle pile-poil dans l’esprit du job, comme si j’étais née direct pour me taper des boulots à la con, avec la vocation et tout, un instinct qui m’a poussée à me spécialiser dans la sous-merde, ultra motivée à me faire toujours sous-payer, super énergique en prime à l’idée que les diplômes servent que dalle. Réussir pour une beurette ? Possible… mais à moins de beaucoup... ―
J’ai préféré éviter la rubrique secrétaire. Une fois m’avait suffi, je n’allais pas remettre ça, non merci. Puis j’ai rédigé hyper vite téléchargé mes lettres, histoire de me déculpabiliser, pressée d’en finir. Finalement je me suis dit, RSA+allocs pourquoi pas, ou alors supplier Lili et taper dans son carnet d’adresse, autre option même si quémander j’abhorrais, les choses se décanteraient forcément…, enfin si je devais finir clocharde à squatter chez tout le monde, version Subutex, et bien, je serais clocharde…, ou pute, c’était envisageable, avant qu’il ne soit trop tard mon cul pouvait toujours encore me servir à défaut de mon cerveau, que c’était même très lucratif, la seule activité qui rapporte vraiment. Et puis, si les choses allaient de mal en pis et viraient même catastrophiques, aucune raison que je ne trafique pas moi aussi. /
Mon IPhone s’est mis à me siffler sa mélodie. Je me suis jetée dessus et avant que je réagisse que ça ne pouvait pas être Adrien, la bonne nouvelle tombait.
Cousine de Mat. Elle m’avait vue à la soirée. Matt aussi. Il allait se marier. Une fille qu’il connaissait depuis un an. Sublime. Mannequin. Son cousin avait pensé que.
Qui lui avait filé mon numéro ?... Qui ? Louisa ?...
La joie.
Il ne pouvait pas appeler ?
Bien sûr que non. Égal à lui-même.
Liquéfiée sur place. J’ai fait des genres d’exercices de respiration, écoutant à moitié je tentais de refréner l’élan de colère qui montait, violent, radical, j’avais envie d’exploser ce putain de téléphone contre le mur !
J’étais même invitée à les revoir elle et son cousin, ça leur ferait plaisir.
Je n’aurais pourtant pas cru.
Le truc qui vraiment me faisait fondre de jouissance.
Nan… Du grand n’importe quoi. Elle se foutait de ma gueule la salope. Jamais elle avait pu me supporter.
J’ai remercié, d’un air détaché, très touchée, très contente d’avoir des nouvelles, vraiment gentil de leur part, mais désolée, bien trop busy en ce moment, impossible de me libérer, beaucoup de déplacements prévus pour couvrir les élections, impossible d’annuler…, oui, pour une chaîne télé, avant de défoncer la touche raccroche.
J’ai bloqué cette chienne. Dans le genre sadique, pas mieux.
Deux secondes après je m’effondrais, regrettant de ne pas avoir le courage de la voir elle et Matt, pourtant l’occase idéale pour se venger. Je m’insupportais.
Adrien n’a pas daigné appeler.
Attendu pendant des heures.
Du coup tout a foiré. Je me suis ratatinée sur moi-même comme une belle et grosse merde. À coups de pétards, de vodka et encore un peu de vodka, je me suis défoncée la gueule c’était limite le coma éthylique. Tout ce que je voulais c’était me dégager de là une bonne fois pour toutes. Je pleurais et je riais de moi-même, de ma propre connerie, les yeux archi gonflés le nez bouché, je ne ressemblais plus qu’à cela, un tas de fientes moisies agglutinée sur mon Futon. Tourbillon d’idées, danse macabre, mes veines je voulais les couper d’un coup de rasoir sec incisif, sentir la vie couler hors de moi, j’aurais aimé voir ma propre pourriture se déverser avant de pouvoir crever.
FIN DE LA SECONDE PARTIE
En mon esprit, la nuit, novel (c) Sabine Chaouche/TFM 2017