Cléopâtre, Médée, Iphigénie… Le Musée des Beaux-Arts de Nantes explore avec « Le Théâtre des passions (1697-1759) » la relation féconde au XVIIIe siècle entre théâtralité et peinture. Quatre peintres, dont trois furent directeur de l’Académie royale de Peinture, Antoine et Charles Coypel, Carle Van Loo, et le dernier directeur de l’Académie de France à Rome, Jean-François de Troy, sont mis tout particulièrement à l’honneur autour de leur grande peinture d’histoire inspirée des thèmes des pièces contemporaines, dans les bornes chronologiques du bannissement des Comédiens Italiens et de l’éradication des spectateurs de la scène de la Comédie-Française.
Dans la lignée de Charles Lebrun et de ses dessins des Expressions des passions de l’âme, et pour rivaliser avec l’expressivité des comédiens qui illustrent toujours Corneille, Racine et l’opéra à la française, ces peintres trouvèrent en effet des sujets de prédilection dans les héroïnes de la tragédie parlée et chantée, le « grand genre » en peinture répondant aux « grands genres » scéniques. Quant ils ne firent pas tout simplement le portrait des tragédiennes à la mode dans leur plus grand rôle, comme ce fut le cas pour Mlle Clairon par exemple qui supervisa (et fit refaire plusieurs fois) son portrait en Médée impétueusement enlevée dans les airs dans un char endragonné. On ne sait plus alors si le tableau est portrait ou peinture d’histoire, si le sujet mythologique l’emporte encore sur la ressemblance individuelle.
L’objectif est surtout de donner la parole à l’image : « Le peintre ne pouvant malheureusement donner la parole à ses figures, doit y suppléer par la vive expression des gestes et des actions dont se servent ordinairement les muets pour se faire entendre », explique Coypel (Charles) lors d’une des conférences de l’Académie intitulée « Réflexions sur l’art de peindre en le comparant à l’art de bien dire » (1749). Il faut faire sortir les mouvements de l’âme du silence, créer une rhétorique des passions, au risque du stéréotype.
L’exposition, bien documentée, juxtapose une large sélection de ces grandes toiles (autonomes ou préparatoires à des séries de tapisseries très prisées à l’époque, Histoire d’Esther, Histoire de Jason, etc.), des dessins, ainsi que deux marbres de René-Michel Slotz (celui des cinq frères qu’on surnomma « Michel-Ange » à cause de son long séjour à Rome). On peut également admirer un charmant autoportrait d’Antoine Coypel en peintre avec son fils aîné, apprécié par le Régent au point de le conserver dans ses appartements privés. Et prolonger la visite dans les collections permanentes du musée pour y voir l’Arlequin empereur dans la lune de Watteau ou encore La Camargo par Nicolas Lancret.
Le tout émerveille lorsqu’on extrapole le luxe de ces représentations à la scène française, mais peut faire aussi sourire aujourd’hui par son côté irrémédiablement démodé : Jason semple plus vaniteux que consumé par d’invisibles flammes, Alceste paraît devoir manquer Admète, emporté qu’il est dans un élan impétueux vers son épouse tout juste ramenée des Enfers par Alcide...
L’exposition donne en tout cas une résonance passionnée et passionnante à celle des Menus Plaisirs qui continue aux Archives nationales à Paris, ainsi qu’à celle du Musée d’Orsay sur Manet, réputé avoir, lui, aboli l’esthétique de cette peinture d’histoire aux sujets littéraires et à la perspective mise en scène.
Compte rendu par Noémie Courtès.
Nantes, Musée des Beaux-Arts, jusqu’au 22 mai 2011.
A prolonger par le colloque « Le tableau et la scène », 16-17 mai. Voir l’annonce dans The French Mag.
Dans la lignée de Charles Lebrun et de ses dessins des Expressions des passions de l’âme, et pour rivaliser avec l’expressivité des comédiens qui illustrent toujours Corneille, Racine et l’opéra à la française, ces peintres trouvèrent en effet des sujets de prédilection dans les héroïnes de la tragédie parlée et chantée, le « grand genre » en peinture répondant aux « grands genres » scéniques. Quant ils ne firent pas tout simplement le portrait des tragédiennes à la mode dans leur plus grand rôle, comme ce fut le cas pour Mlle Clairon par exemple qui supervisa (et fit refaire plusieurs fois) son portrait en Médée impétueusement enlevée dans les airs dans un char endragonné. On ne sait plus alors si le tableau est portrait ou peinture d’histoire, si le sujet mythologique l’emporte encore sur la ressemblance individuelle.
L’objectif est surtout de donner la parole à l’image : « Le peintre ne pouvant malheureusement donner la parole à ses figures, doit y suppléer par la vive expression des gestes et des actions dont se servent ordinairement les muets pour se faire entendre », explique Coypel (Charles) lors d’une des conférences de l’Académie intitulée « Réflexions sur l’art de peindre en le comparant à l’art de bien dire » (1749). Il faut faire sortir les mouvements de l’âme du silence, créer une rhétorique des passions, au risque du stéréotype.
L’exposition, bien documentée, juxtapose une large sélection de ces grandes toiles (autonomes ou préparatoires à des séries de tapisseries très prisées à l’époque, Histoire d’Esther, Histoire de Jason, etc.), des dessins, ainsi que deux marbres de René-Michel Slotz (celui des cinq frères qu’on surnomma « Michel-Ange » à cause de son long séjour à Rome). On peut également admirer un charmant autoportrait d’Antoine Coypel en peintre avec son fils aîné, apprécié par le Régent au point de le conserver dans ses appartements privés. Et prolonger la visite dans les collections permanentes du musée pour y voir l’Arlequin empereur dans la lune de Watteau ou encore La Camargo par Nicolas Lancret.
Le tout émerveille lorsqu’on extrapole le luxe de ces représentations à la scène française, mais peut faire aussi sourire aujourd’hui par son côté irrémédiablement démodé : Jason semple plus vaniteux que consumé par d’invisibles flammes, Alceste paraît devoir manquer Admète, emporté qu’il est dans un élan impétueux vers son épouse tout juste ramenée des Enfers par Alcide...
L’exposition donne en tout cas une résonance passionnée et passionnante à celle des Menus Plaisirs qui continue aux Archives nationales à Paris, ainsi qu’à celle du Musée d’Orsay sur Manet, réputé avoir, lui, aboli l’esthétique de cette peinture d’histoire aux sujets littéraires et à la perspective mise en scène.
Compte rendu par Noémie Courtès.
Nantes, Musée des Beaux-Arts, jusqu’au 22 mai 2011.
A prolonger par le colloque « Le tableau et la scène », 16-17 mai. Voir l’annonce dans The French Mag.