Adrien s’est pointé une semaine après. Évidemment, sans prévenir. Il était accompagné d’un pote, le mec que j’avais dû voir la première fois au café après l’accident. Plus facile de fuir. D’éviter de s’attarder, de s’expliquer.
Je les ai fait entrer. Ça se voyait qu’il était bourré.
Il ne m’a même pas présenté son copain. Juste quelques mots lâchés d’un ton neutre,
– Mes affaires, je viens les récupérer.
– Pas trop tôt. Tiens, tout est là, ai-je balancé sèchement.
– Okay, a-t-il répliqué d’une voix éteinte.
Il a ramassé le petit carton et le sac de sapes, titubant légèrement, il me faisait penser à Gainsbarre, encore plus négligé que d’habitude, cheveux ternes remontés par des lunettes de soleil, sa barbe qui d’habitude le rendait si sexy bizarrement le vieillissait, on aurait dit qu’il avait pris dix ans d’un coup.
Je me suis contentée de l’observer.
Il a laissé les clés sur la petite table. Pas un mot. Pas un geste affectueux. Rien. Pas même un regret.
Quand la porte s’est refermée, à nouveau je me suis mise à chialer. /
Je les ai fait entrer. Ça se voyait qu’il était bourré.
Il ne m’a même pas présenté son copain. Juste quelques mots lâchés d’un ton neutre,
– Mes affaires, je viens les récupérer.
– Pas trop tôt. Tiens, tout est là, ai-je balancé sèchement.
– Okay, a-t-il répliqué d’une voix éteinte.
Il a ramassé le petit carton et le sac de sapes, titubant légèrement, il me faisait penser à Gainsbarre, encore plus négligé que d’habitude, cheveux ternes remontés par des lunettes de soleil, sa barbe qui d’habitude le rendait si sexy bizarrement le vieillissait, on aurait dit qu’il avait pris dix ans d’un coup.
Je me suis contentée de l’observer.
Il a laissé les clés sur la petite table. Pas un mot. Pas un geste affectueux. Rien. Pas même un regret.
Quand la porte s’est refermée, à nouveau je me suis mise à chialer. /
Surlendemain, direction planning familial. Je traînais des pieds. ―
La bonne femme m’a bassinée pendant une heure avec la réalité du fœtus, la beauté d’avoir un gamin, de procréer, de pondre la vie, avec le danger de ne pas avoir mûrement pensé à la chose, l’avortement ça laisse des traces psychologiques pendant des années, des fois on regrette toute la vie, je devais discuter avec le père de l’enfant, de toutes façons les filles-mères il y en avait plein maintenant, donc que ce n’était pas une tare d’élever seule un bambin, l’amour étant le plus important, l’essentiel même, et sans compter les aides, les alloc., fallait sérieusement que je pense si j’étais en droit d’éliminer la chair de ma chair, en gros d’être une vraie connasse, Médée l’infanticide, étais-je en droit d’ôter à ce petit être tout espoir de vivre sa propre vie, maintenant qu’il était installé en moi fallait-il lui retirer toute chance de découvrir le monde ?….
Putain j’étais déprimée comme jamais en sortant de l’hosto. J’avais l’impression d’être passée au tribunal et de m’en être pris pour cinquante ans de blâme. ―
Du coup mes rêves sont revenus, plus perturbés encore, cortège de morveux, plus infects les uns que les autres, je voyais leurs yeux, leur effronterie, leur nez retroussé, j’entendais leur babillage, ils braillaient rappaient de drôles de sons, je me voyais entourée de milliers de mouflets, le tas de couches qui formait une montagne, la ligne infinie des biberons, l’énorme stérilisateur avec la vapeur qui s’élevait sortait dans un tuf tuf continu, la pile de bavoirs à laver repasser, je les berçais, je les embrassais, je prenais soin d’eux une vraie petite mère poule, tous, les traits d’Adrien. Je passais mon sommeil à pouponner, ce n’était plus de l’affabulation, des trucs sans queue ni tête comme j’avais l’habitude de rêver, mais de la véritable persécution.
Et je me suis mise à réfléchir. J’ai même passé beaucoup de temps à uniquement réfléchir. J’ai tellement réfléchi que la chose m’est apparue comme une évidence. J’aimais mon embryon. J’aimais Adrien. C’est une part de lui de nous qui allait mourir si j’avortais. Alors je ne pouvais pas, je ne devais pas le faire. Je voulais connaître mon môme, je voulais savoir s’il serait par exemple aussi chiatique que son père, aussi flamboyant, aussi passionné. Je ne pouvais pas me résigner à l’envoyer comme ça à la poubelle. Au fond lui donner la vie allait me ramener à la vie. Quand j’ai découvert ça, je me suis sentie libérée du réseau inextricable de complexes, de désillusions que j’avais eues. Je n’allais plus jamais être seule maintenant, tout ce que j’avais en moi j’allais le donner, cash, sans même vouloir quelque chose en retour. Aimer très fort, et ça, c’est ce qu’il y a de plus beau.
(c) S. Chaouche/TFM
La bonne femme m’a bassinée pendant une heure avec la réalité du fœtus, la beauté d’avoir un gamin, de procréer, de pondre la vie, avec le danger de ne pas avoir mûrement pensé à la chose, l’avortement ça laisse des traces psychologiques pendant des années, des fois on regrette toute la vie, je devais discuter avec le père de l’enfant, de toutes façons les filles-mères il y en avait plein maintenant, donc que ce n’était pas une tare d’élever seule un bambin, l’amour étant le plus important, l’essentiel même, et sans compter les aides, les alloc., fallait sérieusement que je pense si j’étais en droit d’éliminer la chair de ma chair, en gros d’être une vraie connasse, Médée l’infanticide, étais-je en droit d’ôter à ce petit être tout espoir de vivre sa propre vie, maintenant qu’il était installé en moi fallait-il lui retirer toute chance de découvrir le monde ?….
Putain j’étais déprimée comme jamais en sortant de l’hosto. J’avais l’impression d’être passée au tribunal et de m’en être pris pour cinquante ans de blâme. ―
Du coup mes rêves sont revenus, plus perturbés encore, cortège de morveux, plus infects les uns que les autres, je voyais leurs yeux, leur effronterie, leur nez retroussé, j’entendais leur babillage, ils braillaient rappaient de drôles de sons, je me voyais entourée de milliers de mouflets, le tas de couches qui formait une montagne, la ligne infinie des biberons, l’énorme stérilisateur avec la vapeur qui s’élevait sortait dans un tuf tuf continu, la pile de bavoirs à laver repasser, je les berçais, je les embrassais, je prenais soin d’eux une vraie petite mère poule, tous, les traits d’Adrien. Je passais mon sommeil à pouponner, ce n’était plus de l’affabulation, des trucs sans queue ni tête comme j’avais l’habitude de rêver, mais de la véritable persécution.
Et je me suis mise à réfléchir. J’ai même passé beaucoup de temps à uniquement réfléchir. J’ai tellement réfléchi que la chose m’est apparue comme une évidence. J’aimais mon embryon. J’aimais Adrien. C’est une part de lui de nous qui allait mourir si j’avortais. Alors je ne pouvais pas, je ne devais pas le faire. Je voulais connaître mon môme, je voulais savoir s’il serait par exemple aussi chiatique que son père, aussi flamboyant, aussi passionné. Je ne pouvais pas me résigner à l’envoyer comme ça à la poubelle. Au fond lui donner la vie allait me ramener à la vie. Quand j’ai découvert ça, je me suis sentie libérée du réseau inextricable de complexes, de désillusions que j’avais eues. Je n’allais plus jamais être seule maintenant, tout ce que j’avais en moi j’allais le donner, cash, sans même vouloir quelque chose en retour. Aimer très fort, et ça, c’est ce qu’il y a de plus beau.
(c) S. Chaouche/TFM