(c) David Ancelin
Art et science font depuis longtemps bon ménage. Que l’on songe à Léonard de Vinci ou à l’OULIPO en passant par les futuristes... Eric Duyckaerts est dans cette lignée avec son appropriation des nœuds borroméens et des anneaux de Soury, ces entrelacs dont chaque boucle est nécessaire à l’existence des autres.
Déjà présenté en 2007 au MacVal, il a persévéré dans ses obsessions en 2011, au même endroit. L’exposition commence par un scanachrome sur bâche (autrement dit une radiographie) d’une partie d’un mur du FRAC Bourgogne à l’échelle 1/1 dite Introspection, et se poursuit par des Entrelacs brunniens (des nœuds borroméens à plus de trois brins), sur des fonds fades et bicolores particulièrement déprimants. Le musée propose également, dans deux pièces faussement travesties en salons tendus de tissus criards, souvent écossais, des sculptures analogiques (autrement dit des séries d’objets liés les uns aux autres, montées en cercles) transformées en lustres qui doivent faire les délices des adeptes de l’association d’idées, mais probablement moins de la personne chargée d’éradiquer la poussière.
De fait, l’intérêt de l’exposition n’est certainement pas là. Il est dans les huit pièces ménagées dans le parcours et consacrées aux performances vidéo de l’auteur, qui donnent partiellement son nom à l’exposition : ‘ideo (sans oublier l’accent rude). Le curieux peut ainsi, pendant une durée cumulée de près de trois heures, tester successivement les pliants disposés devant les écrans dans les différentes alcôves (contrairement à l’ordinaire, on est bien assis tout au long de l’exposition), pour peu qu’il ait la patience de suivre jusqu’au bout Piano (fatigant) ou Straubisme (volontairement insupportable). Mais il y a de fortes chances qu’il reste fasciné et qu’il parte à la découverte des autres trouvailles de l’auteur qui se fait alternativement personnage dans le tableau, danseur classique ou mondain (pour une Parade amoureuse en duo avec Virginie Le Touze) et surtout professeur. Eric Duyckaerts poursuit en effet tout particulièrement son exploration du discours professoral inauguré en 1989 avec Magiter. Professeur de Tout et surtout de Rien, il dynamite la diction spécifique au chercheur pontifiant et le contenu de la logorrhée qui va avec. Pas moins de six vidéos s’attaquent en effet à ces effets de manche qui cachent, derrière une fonction phatique démesurée et une précision étymologique maniaque, le vide d’une pensée qui tourne en rond (où l’on retrouve la thématique de la courbe qui se mord la queue). De question rhétorique en bafouillement soigneusement calculé, Duyckaerts représente, mime, ridiculise la posture professorale tapie derrière un bureau ou exhibée devant une bibliothèque : Détachement, Epigone, Euristique, Génériques, Mémoire y passent les uns après les autres, jusqu’au vide du Cartographe, qui démontre sa géographie phantasmatique de la Gaule-Belgique devant un mur blanc, espace de la vacuité, de l’inanité, de la vanité des choses et accessoirement de la terra icognita.
Entre Julie Ferrier dans sa caricature de la prof’ d’arts plastiques et les divagations du Monsieur Cyclopède de Pierre Desproges, avec un soupçon de Gherasim Luca, la satire mordante de Duyckaerts ne laisse pas de poser de graves (et moins graves puisqu’elles ne sont pas mortelles) interrogations. D’une part, professeur à la Villa Arson, on se demande quelle peut bien être la teneur de ses cours et l’intérêt de ses disciples… D’autre part, de façon plus générale, on s’interroge sur l’autorité qui peut bien demeurer aux pédagogues, sur le sérieux des chercheurs et sur la validité de leurs recherches. Lorsqu’on est soi-même de ce milieu, cela fait froid dans le dos, même si l’on ne peut pas prétendre qu’être Sorbonnard soit un critère de qualité lorsqu’on se souvient de Rabelais ou de sa propre expérience d’étudiant…
Le chaland, lui, sourit et s’amuse de la charge aussi comique que farfelue contre la fausse logique du discours. Mais son ricanement, s’il peut lui apporter un certain bien-être en ces temps de morosité, sape profondément l’autorité du savoir : le professeur est nu et cela se voit… Quant au spectateur, bien malin s’il perçoit la poéticité du propos. L’artiste rejoint ainsi le laminage des valeurs de l’animateur-télé, même s’il faut reconnaître à Duyckaerts des connaissances très poussées et maîtrisées dans les domaines qu’il tourne en dérision et s’il revient toujours à Aristote : « Moi, vous commencez à connaître mon habitude, j’aime bien remonter aux antiques ». Ces vidéos sont donc d’utilité publique pour pousser à une érudition moins pédante et emphatique que celle qui est dénoncée, voire étrillée dans l’exposition puisqu’on ne peut rire que de ce qui est risible : pas si absurde que ça, tout ça, donc.
« Méthode, méthodologie, euristique, voilà les termes autour desquels nous tournons dans nos entretiens et qu’il va falloir élucider. Chaque fois ce sont des mots grecs issus de la science et des méditations des Grecs de l’Antiquité. […] la méthodologie, c’est aussi se donner des règles pour trouver. Trouver quoi ? On ne sait pas. »
Finalement, au terme de l’exposition, le spectateur attentif a fait une véritable expérience socratique, non par la maïeutique, mais par le jeu de massacre jubilatoire : il est définitivement confirmé qu’on ne sait rien ou du moins, pas grand-chose. Comme le dit lui-même Duyckaerts : « Mais où peut-il bien nous emmener ? On ne le saura pas parce que je ne le sais pas non plus ». Commencée avec un détour par la science, l’exposition finit en pleine philosophie, tricotant ainsi une cohérence (analogique) qui semblait à première vue faire totalement défaut.
I[Noémie Courtès]i
Vitry-sur-Seine, Mac/Val, du 5 mars au 5 juin 2011.
Les citations sont extraites du catalogue édité par le Mac/Val à l’occasion de l’exposition (intéressant et très bien illustré malgré une mise en page calamiteuse ; la quatrième de couverture, sur la « catalogie », est remarquable de/d’im- pertinence)
Plus intéressant encore, le dossier en ligne du musée : http://www.macval.fr/editions-cqfd/cqfd_duyckaerts.pdf
Déjà présenté en 2007 au MacVal, il a persévéré dans ses obsessions en 2011, au même endroit. L’exposition commence par un scanachrome sur bâche (autrement dit une radiographie) d’une partie d’un mur du FRAC Bourgogne à l’échelle 1/1 dite Introspection, et se poursuit par des Entrelacs brunniens (des nœuds borroméens à plus de trois brins), sur des fonds fades et bicolores particulièrement déprimants. Le musée propose également, dans deux pièces faussement travesties en salons tendus de tissus criards, souvent écossais, des sculptures analogiques (autrement dit des séries d’objets liés les uns aux autres, montées en cercles) transformées en lustres qui doivent faire les délices des adeptes de l’association d’idées, mais probablement moins de la personne chargée d’éradiquer la poussière.
De fait, l’intérêt de l’exposition n’est certainement pas là. Il est dans les huit pièces ménagées dans le parcours et consacrées aux performances vidéo de l’auteur, qui donnent partiellement son nom à l’exposition : ‘ideo (sans oublier l’accent rude). Le curieux peut ainsi, pendant une durée cumulée de près de trois heures, tester successivement les pliants disposés devant les écrans dans les différentes alcôves (contrairement à l’ordinaire, on est bien assis tout au long de l’exposition), pour peu qu’il ait la patience de suivre jusqu’au bout Piano (fatigant) ou Straubisme (volontairement insupportable). Mais il y a de fortes chances qu’il reste fasciné et qu’il parte à la découverte des autres trouvailles de l’auteur qui se fait alternativement personnage dans le tableau, danseur classique ou mondain (pour une Parade amoureuse en duo avec Virginie Le Touze) et surtout professeur. Eric Duyckaerts poursuit en effet tout particulièrement son exploration du discours professoral inauguré en 1989 avec Magiter. Professeur de Tout et surtout de Rien, il dynamite la diction spécifique au chercheur pontifiant et le contenu de la logorrhée qui va avec. Pas moins de six vidéos s’attaquent en effet à ces effets de manche qui cachent, derrière une fonction phatique démesurée et une précision étymologique maniaque, le vide d’une pensée qui tourne en rond (où l’on retrouve la thématique de la courbe qui se mord la queue). De question rhétorique en bafouillement soigneusement calculé, Duyckaerts représente, mime, ridiculise la posture professorale tapie derrière un bureau ou exhibée devant une bibliothèque : Détachement, Epigone, Euristique, Génériques, Mémoire y passent les uns après les autres, jusqu’au vide du Cartographe, qui démontre sa géographie phantasmatique de la Gaule-Belgique devant un mur blanc, espace de la vacuité, de l’inanité, de la vanité des choses et accessoirement de la terra icognita.
Entre Julie Ferrier dans sa caricature de la prof’ d’arts plastiques et les divagations du Monsieur Cyclopède de Pierre Desproges, avec un soupçon de Gherasim Luca, la satire mordante de Duyckaerts ne laisse pas de poser de graves (et moins graves puisqu’elles ne sont pas mortelles) interrogations. D’une part, professeur à la Villa Arson, on se demande quelle peut bien être la teneur de ses cours et l’intérêt de ses disciples… D’autre part, de façon plus générale, on s’interroge sur l’autorité qui peut bien demeurer aux pédagogues, sur le sérieux des chercheurs et sur la validité de leurs recherches. Lorsqu’on est soi-même de ce milieu, cela fait froid dans le dos, même si l’on ne peut pas prétendre qu’être Sorbonnard soit un critère de qualité lorsqu’on se souvient de Rabelais ou de sa propre expérience d’étudiant…
Le chaland, lui, sourit et s’amuse de la charge aussi comique que farfelue contre la fausse logique du discours. Mais son ricanement, s’il peut lui apporter un certain bien-être en ces temps de morosité, sape profondément l’autorité du savoir : le professeur est nu et cela se voit… Quant au spectateur, bien malin s’il perçoit la poéticité du propos. L’artiste rejoint ainsi le laminage des valeurs de l’animateur-télé, même s’il faut reconnaître à Duyckaerts des connaissances très poussées et maîtrisées dans les domaines qu’il tourne en dérision et s’il revient toujours à Aristote : « Moi, vous commencez à connaître mon habitude, j’aime bien remonter aux antiques ». Ces vidéos sont donc d’utilité publique pour pousser à une érudition moins pédante et emphatique que celle qui est dénoncée, voire étrillée dans l’exposition puisqu’on ne peut rire que de ce qui est risible : pas si absurde que ça, tout ça, donc.
« Méthode, méthodologie, euristique, voilà les termes autour desquels nous tournons dans nos entretiens et qu’il va falloir élucider. Chaque fois ce sont des mots grecs issus de la science et des méditations des Grecs de l’Antiquité. […] la méthodologie, c’est aussi se donner des règles pour trouver. Trouver quoi ? On ne sait pas. »
Finalement, au terme de l’exposition, le spectateur attentif a fait une véritable expérience socratique, non par la maïeutique, mais par le jeu de massacre jubilatoire : il est définitivement confirmé qu’on ne sait rien ou du moins, pas grand-chose. Comme le dit lui-même Duyckaerts : « Mais où peut-il bien nous emmener ? On ne le saura pas parce que je ne le sais pas non plus ». Commencée avec un détour par la science, l’exposition finit en pleine philosophie, tricotant ainsi une cohérence (analogique) qui semblait à première vue faire totalement défaut.
I[Noémie Courtès]i
Vitry-sur-Seine, Mac/Val, du 5 mars au 5 juin 2011.
Les citations sont extraites du catalogue édité par le Mac/Val à l’occasion de l’exposition (intéressant et très bien illustré malgré une mise en page calamiteuse ; la quatrième de couverture, sur la « catalogie », est remarquable de/d’im- pertinence)
Plus intéressant encore, le dossier en ligne du musée : http://www.macval.fr/editions-cqfd/cqfd_duyckaerts.pdf